Présidentielle - Protéger ou disparaître, la peur et l’espérance

par Alexis Toulet
samedi 22 avril 2017

A la veille de la présidentielle, l’essentiel apparaît plus clairement que jamais. Après une génération de descente lente mais qui s’accélère vers toujours plus d’insécurité économique, alors que non seulement les emplois, mais les personnes sont lourdement menacées en même temps que l’avenir du pays, les élites gouvernementales sont confrontées à l’alternative soit de remplir le rôle premier de l’Etat la protection – soit de disparaître.

Placés en face de la possibilité bien réelle de perdre le contrôle, les plus puissants s’inquiètent voire paniquent, en France et ailleurs, et ils tentent de communiquer leur effroi et de le marteler pour influencer la décision des citoyens.

Qu’est-ce qui l’emportera chez les Français, de la peur ou de l’espoir ? Rien n’est joué d’avance, car à la fois peur et espérance sont des passions puissantes.

Au-delà des expressions à la fois nécessaires et convenues par chacun des candidats à la présidentielle de solidarité envers les forces de l’ordre et de détermination à lutter contre le djihadisme, l’attentat du jeudi 20 avril sur les Champs-Elysées pose une question brûlante, celle des moyens et méthodes mis en œuvre depuis plus de deux ans contre le djihadisme.

Ce qui choque le plus, c'est le passé du tueur, et les occasions manquées de le mettre hors d'état de nuire avant son attentat :

Peut-on vraiment parler de lutte déterminée contre le djihadisme et plus généralement la grande criminalité - avec lesquelles il existe souvent des passerelles - quand un individu extrêmement dangereux, signalé pour ses intentions claires de passer à l'acte, est relâché au bout de 24 heures ? La question n'est évidemment pas celle des personnes qui ont pris cette décision, c'est la politique d'ensemble mise en oeuvre pour protéger les Français.

La capacité de l’Etat à remplir sa fonction de protection revient au cœur du débat, à deux jours du premier tour, c’est-à-dire en fait la compétence des gouvernants.

Mais ce n’est pas seulement en termes de terrorisme djihadiste que la question est posée ! La protection contre chômage, déclassement et pauvreté est au moins aussi structurante dans la campagne présidentielle que celle de la protection contre djihadisme et criminalité, car en vérité les menaces se précisent de plus en plus, au plan individuel comme collectif.

"Protéger ou disparaître", un livre prémonitoire - aujourd'hui une réalité immédiate

En 1999, feu Philippe Cohen faisait paraître un livre qui éclaire crûment l'alternative maintenant imposée aux gouvernants. Dans « Protéger ou disparaître – Les élites face à la montée des insécurités », il centrait certes son propos sur les menaces économiques, car si le cancer du chômage structurel de masse rongeait déjà la société, le djihadisme n'était encore qu'embryonnaire en France.

L'histoire du progrès se confond avec l'extension de la sécurité des personnes et des biens, la conquête de la dignité dans la vie professionnelle par le droit au travail et au revenu, l'assurance croissante de vivre tranquillement ses vieux jours.

Depuis une vingtaine d'années, ces trois attributs du progrès social, garantis par le capitalisme contrôlé de l'après-guerre, sont remis en cause. L'insécurité, que l'on croyait définitivement vaincue, revient en force. Elle envahit aussi le monde du travail, où s'étendent le chômage et la précarité. Enfin, elle est en train d'hypothéquer l'avenir à cause des menaces pesant sur les systèmes de retraites et d'épargne.

Cette montée de l'insécurité urbaine, sociale et financière, les gouvernements, en France comme dans la plupart des pays occidentaux, qu'ils soient de gauche ou de droite, se révèlent impuissants à l'enrayer. Plus grave : les élites la jugent inévitable car elle est supposée nourrir le dynamisme économique de nos sociétés. Une nouvelle idéologie est apparue qui prétend dépasser le cadre national et exalte le risque pour tous, alors que seule une caste détentrice de la rente peut mettre son existence à l'abri des tumultes du monde. Or, si les gouvernants ne peuvent plus protéger les populations qui les ont élus, à quoi servent-ils ? La sécurité des personnes, des biens et de l'avenir est, depuis le Moyen Âge, le socle du contrat social. C'est sur elle que se sont fondés l'État moderne et la démocratie. Voilà pourquoi les élites seront bientôt confrontées à un choix radical : protéger ou disparaître.

Telle est la question pour les gouvernants

Après l'élimination successive des politiciens les plus en vue de LR comme du PS, de Sarkozy à Valls en passant par Juppé et Hollande, alors que deux des quatre candidats les mieux placés pour le premier tour s'opposent aux deux partis centraux de gauche et de droite, qu'un troisième cherche à se présenter comme "hors parti", que le quatrième seul représente l'un des camps traditionnels et que le représentant du PS a chuté comme une pierre dans les sondages - jusqu'à presque l'insignifiance - et alors que la plupart des thèmes de la campagne remettent en cause souvent frontalement l'un des éléments du consensus PS-LR auquel Alain Minc donna le nom de "cercle de la raison"... comment douter que c'est maintenant que ce choix s'impose - Protéger ou Disparaître ?

Protéger contre quelles menaces ?

La protection s’entend sur plusieurs plans – protection naturellement contre le terrorisme djihadiste, mais pas seulement, sans doute même pas principalement. Car les menaces, anciennes ou nouvelles, déjà évidentes ou encore discrètes, sont nombreuses :

Les Français ne s’entendent pas sur la priorité des différentes menaces, ils ne s’entendent même pas sur leur liste, notamment concernant les immigrés en masse face auxquels la solidarité est pensable tout autant que l’inquiétude - mais serait fort difficile au-delà d'un certain nombre, voir les 30 à 40 milliards que coûte annuellement à l'Allemagne l'accueil de 1,2 million de migrants décidé en 2015 - et encore concernant les risques de guerre majeure dans les années qui viennent, peu discutés dans les médias.

Mais il n'y a pas à douter que l'exigence de protection ne soit impérative, comme feu Philippe Cohen l’avait compris il y a plus de quinze ans..

... Ou disparaître ?

L'alternative, pour des forces gouvernementales qui décevraient définitivement, c'est-à-dire la disparition, se profile de plus en plus clairement :

Mais une surprise peut-être fragile, nullement assurée de la qualification le 23 avril, ni même en cas de qualification d’une victoire le 7 mai. Surtout, solution qui ne serait que de court terme, ne changeant rien à la politique économique et étrangère du pays qui l’a mis dans l’état que l’on sait, et solution qui mettrait en lumière de manière vraiment éclatante l’union fondamentale des forces économiques (« mur de l’argent ») et idéologiques qui depuis longtemps décident des grandes orientations de la politique française.

Bref, solution qui à court terme « sauverait la mise » des institutions et idéologies au pouvoir, mais risquerait fort de les condamner à moyen terme. Suivant une politique tout autant à la remorque des Grandes Orientations de la Politique Européenne définies par la Commission européenne, dans la ligne et à la suite de celle du président et du premier ministre sortant, comment ne pas soupçonner qu'un président Macron risquerait fort d'enfoncer dès la première année les records d'impopularité de François Hollande, lequel avait lui-même battu les records précédents détenus par Nicolas Sarkozy ?

Hollande, Sarkozy - Unis en 2005 pour défendre la Constitution européenne, d'accord pour suivre la politique qu'elle impose une fois mise en place sous le nom de Traité de Lisbonne en 2007 malgré le refus des Français, représentés aujourd'hui à la présidentielle chacun par un proche lieutenant Macron et Fillon

La Grande Peur des puissants

Le risque réel d'élection d'un candidat qui remette en cause les fondamentaux de la politique économique et étrangère française, lesquels deviendraient incompatibles avec les exigences de l'Union européenne, du Bloc atlantique, du libre-échangisme ou des grandes institutions bancaires, effraie véritablement les puissants. Et ce qui provoque la plus grande peur, c'est la possibilité d'un second tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.

Juncker l'avait pourtant rappelé !

Pour The Economist, c'est là "l'option cauchemardesque", pour tel journaliste allemand "le scénario de cauchemar pour l'UE", tandis que Bloomberg remarque que "les risques français augmentent".

Le journaliste britannique Ambrose Evans-Pritchard rapportait le 20 avril que "le marché des options montre l'alarme des initiés au sujet du 'Frexit'".

Forte nervosité concernant le risque d'événements surprenants portant sur l'euro

Cette Grande peur pousse à des prises de position paniquées, tel Yvon Gattaz le président du Medef prenant la décision extraordinaire d’en appeler directement aux électeurs pour leur représenter "ruine, désespoir et désolation" s'ils devaient décider de modifier la politique qu'Alain Minc appelait dès les années 1990 "le cercle de la raison", qui a mené leur pays là où il en est, et qu'un Emmanuel Macron comme un François Fillon représentent le mieux.

La Grande Peur des puissants... croisons les doigts !

Pour les citoyens, qu'est-ce qui l'emportera dans l'isoloir - la peur, ou l'espoir ?

Est-ce la peur qui en définitive guidera le choix de la majorité des Français dans l’isoloir, en particulier ceux des très nombreux indécis – d’après les sondages plus d’un quart des électeurs prévoyant de se rendre aux urnes ?

Peur de remettre en cause le cadre établi, même de plus en plus anxiogène, même de plus en plus fragile, ou encore résignation à l'inévitable ? Ou encore repli sur le seul cadre familial ou amical, laissant les destins du pays à qui se présente comme mieux qualifié pour en décider - le "cercle de la raison" est après tout décidé par les seuls gens raisonnables, et c'est ce que prétendent être les mieux en vue et les plus puissants.

Alors, c’est presque certainement Macron ou Fillon qui sera le prochain président.

La peur – ou bien l'espoir ? Ils sont en compétition. Et en réalité, rien n'est joué d'avance. Il n’y a que des probabilités, tout est encore ouvert, plus largement ouvert que jamais peut-être.

Car peur comme espoir sont des passions. Et les passions sont puissantes, l’espoir comme la peur.


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