Présidentielles, Le Pen superstar

par Bernard Lallement
mercredi 29 novembre 2006

Depuis 1984, où Laurent Fabius, alors Premier ministre, déclarait que le président du Front national posait les bonnes questions mais y apportait les mauvaises réponses, les problèmes soulevés restent, désespérément, en suspens. Au point que Jean-Marie Le Pen n’a fait que progresser, dans l’opinion publique, pour obtenir son véritable bâton de maréchal en supplantant le Parti socialiste, à l’issue du premier tour du scrutin pour la désignation du président de la République en 2002.

Au bout de vingt ans, il agrège, sur son nom, près d’un électeur sur cinq. Il a recueilli plus de 5 525 000 suffrages, au second tour, avec une progression de 720 000 voix entre les deux tours. Pour mémoire, Lionel Jospin n’avait obtenu que 4 610 000 voix au premier tour.


Lors des élections législatives qui ont suivi, le FN avait obtenu au premier tour 11,84 % des suffrages correspondant à 2 862 960 électeurs. Pourtant, ceux-ci ne sont nullement représentés au Parlement, alors que le PCF, avec seulement 4,82 % des voix, possède un groupe parlementaire composé de 26 députés et l’UDF, avec 4,85 % des suffrages, 22 élus.

Aucun système politique ne peut perdurer en enregistrant une telle distorsion entre la réalité du pays et sa traduction institutionnelle, sauf à vouloir exclure de toute vie publique un pan entier de la population. Et c’est bien ce qui se passe actuellement, générant un ressentiment, sans cesse grandissant, contre une caste présentée comme confisquant le pouvoir.

La simple application d’une dose de proportionnalité aurait permis de ne pas être confronté au faux dilemme de l’opportunité d’une présence, ou d’une absence, frontiste dans la compétition électorale pour l’Elysée.

Au demeurant, on ne peut gommer d’un simple trait près de 20 % d’une sensibilité politique, que ce soit sous le prétexte qu’elle se calquerait sur des idées nauséeuses ou qu’elle se serait laissé suborner par le leader extrémiste. Sur ce dernier point, personne aujourd’hui ne peut plus entretenir d’ambigüité sur les thèses xénophobes et ultraconservatrices qu’il propage. Croire le contraire serait une grave erreur.

Il est assez remarquable de considérer combien l’émergence de l’idéologie lepéniste est contemporaine de l’entrée en politique de nos principaux prétendants à la magistrature suprême, notamment Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, qui en vingt-cinq ans ont, à plusieurs reprises, occupé des responsabilités gouvernementales.

Il leur aurait donc fallu plus de vingt ans pour se rendre compte que la progression de l’extrême droite pouvait être une menace pour nos institutions républicaines. Et le remède proposé serait tout simplement de faire en sorte que le peuple français soit empêché, par une mesure tout arbitraire, (le refus de parrainage), de se prononcer sur son actuelle persistance.

Ce n’est pas en cachant le thermomètre qu’on soigne la fièvre du malade. Exclure Le Pen de la compétition électorale serait une médecine pire que le mal qu’il désigne. Il est le symbole d’une société en mal d’idéal qui génère, durablement, exclusions sociales et inégalités de revenus de plus en plus flagrantes. De cette triste réalité, nous sommes tous responsables. Ne serait-ce que pour avoir laissé faire et pour nous satisfaire d’un monde, arraisonné à la technique, sans transcendance ni réflexion.

Une telle situation délétère demande tout autre chose qu’une simple substituabilité d’offres électoralistes fondées sur une surenchère sécuritaire. Pourtant, c’est l’hypothèse retenue par nos deux principaux challengers que valide une étude du CSA. L’absence du président du FN profiterait, pour 8 % au président de l’UMP et pour 5 % à l’égérie de nos désirs d’avenir.

Un lepénisme sans Le Pen, n’est-ce pas la meilleure des consécrations pour le FN, mais un triste naufrage pour la démocratie ?

Dessin : Delize


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