Primaires, acte III : entre la poire et les deux fromages, le doute préside

par LM
mercredi 8 novembre 2006

Troisième match et troisième nul entre les trois camarades en route pour l’Elysée. Pas d’occasions, peu d’engagement, deux arbitres scrupuleux : un bouquet final loin de la Ligue des champions.

C’est souvent le cas avec les meilleures séries venues des Etats-Unis : quand on commence à ne plus s’en passer, la saison touche à sa fin. La course à l’investiture socialiste a ainsi livré hier son dernier épisode télévisé, toujours dans ce même décor spartiate d’outre planète, toujours avec ces deux mêmes journalistes, l’un chauve et l’autre moins, visiblement heureux d’être là, en pleine célébrité, reprenant de temps à autre un des trois larrons pour veiller à la stricte équité du temps de parole. Toujours ce même canal étrange, celui de la chaîne parlementaire, LCP, ou de la chaîne Public Sénat, monstres de non audimat où jamais notre télécommande, jusqu’ici, ne nous avait mené.

Hier donc, fin des haricots, en tout cas des débats « visibles », vous savez comme ces femmes qui sortent tout juste de la salle de bain et qui ne vous ouvrent pas tout de suite parce qu’elles ne le sont pas, justement, « visibles ». Parce qu’il y a, figurez-vous, au sein même du PS, réservés uniquement aux membres (comme les photos vraiment explicites des sites classés X), il y a donc au sein même de cette organisation démocratique et néanmoins de gauche des débats sortis tout juste de la salle de bain, jugés « non visibles », et dans lesquels nulle caméra, nul micro, nul photographe n’est convié. Pourtant il s’en passe des choses, dans ces débats clos (comme les maisons ?), il s’en passe des vertes et des pas mûres, des sifflantes et des vexantes, pour Ségolène, comme pour Julien Dray, on frise parfois le coup de boule à la sortie de certains meetings à la salle un peu trop « faite » (ivre ?) par DSK pour ne pas le citer. Hier soir donc, pour revenir à nos moutons poitevins, le pensionnat Chavagne fermait ses portes sur l’aventure de Ségolène, Dominique et Laurent. Et comme bouquet final, c’était l’international qui se trouvait au menu. L’international, sans e, pas cette chansonnette « révolutionnaire » qu’entonne tout gréviste entre la porte de Clignancourt et Châtelet les Halles, mais l’international, ce terme générique regroupant tous ces évènements qui font la planète et déchirent les peuples, qui secouent les gouvernements et pendent les dictateurs. L’international. C’est-à-dire vous, nous, et ce qu’il y a autour.

On attendait beaucoup Ségolène Royal là-dessus. Elle qu’on prétend inexpérimentée, incompétente, limite innocente sur tout ce qui s’éloigne de plus de dix kilomètre du Poitou, allait sans doute chavirer sur (au hasard) Israël, L’Iran, l’Europe, l’arme nucléaire. Autant de sujets sur lesquels on ne peut répondre uniquement par le sacro saint mantra « travail, famille, ordre juste » qui est l’empreinte de la dame d’Hollande. Eh bien Ségolène ne s’est pas pris les pieds dans le tapis. Bien briefée, bien préparée, les fiches bien apprises, et jamais poussée dans ses retranchements par les questionneurs, Royal s’est plutôt bien débrouillée avec sa pelote. Elle a trouvé quelques platitudes à ânonner sur le conflit israélo palestinien, invitant tous les protagonistes « à s’asseoir autour d’une table », les mêmes platitudes que ses deux collègues et néanmoins adversaires, DSK et Fabius. Elle a su se défaire sans mal de la question (singulière) du « deuxième porte-avion ». En voilà, avouons-le, une bien belle question pour un candidat à la présidence de la République : faut-il ou non un deuxième porte-avion pour la marine française ? Non, dit Royal, on peut en partager un avec les Britanniques. Une manière de faire des « économies » sans « réduire le budget militaire ». Tous les trois se montreront d’ailleurs d’accord sur ce point : ne pas réduire mais dépenser mieux. Fabius, lui, toujours un crâne d’avance, ajoutera combien il est important pour toute grande puissance de « contrôler le ciel », avec des satellites, des missiles. Il parlera d’ « open sky », jargon tape à l’œil auquel Ségolène répliquera d’un subtil « opex » pour « opérations extérieures ». Guerre des mots, petites amabilités lexicales entre deux des protagonistes, les deux qui se supportent le moins.

Un peu avant, dans ce match à trois très « bon esprit » comme dirait Guy Roux, Fabius avait dénoncé ces « groupes industriels qui sont à la fois des fabricants d’armes et des propriétaires de médias », rejoignant ainsi les propos (ou les inquiétudes) des grandes oreilles du centre de rien, j’ai nommé François Bayrou. Une ouverture ? Un appel du pied ? Pas évident, si l’on en juge par la profession de foi rose faite ensuite par Fafa qui affirmera vouloir gouverner avec la gauche, toute la gauche, uniquement la gauche. Un « grand rassemblement du peuple de gauche » que « l’ancien premier ministre » n’a aucune chance de voir se réaliser tant il est largué dans les sondages. Mais Fabius ne s’est pas arrêté à cette roucoulade, insistant aussi dans son petit laïus sur l’environnement sur le poids d’un éventuel « numéro 2 du gouvernement » qui agirait « de manière transversale » et qui proposerait « une vraie politique environnementale » : « Le vingt-et-unième siècle sera environnemental ou ne sera pas », malrauisera Fafa. On sait qu’il pense quand il se rase à Nicolas Hulot pour ce rôle de numéro 2. Le chouette Hulot, courtisée également par Sarkozy, ne devrait pas être super emballée par les œillades fabiusiennes. Le ridicule ne tue pas, Fabius le sait, et il tente ce qu’il peut dans ce baroud qui lui sauvera peut-être l’honneur.

Et DSK dans tout ça ? Celui qui a progressé dans les « intentions de vote », si l’on en croit la presse autorisée, et qui aurait poussé au sifflet quelques poignées de militants socialistes il y a dix jours, n’a pas été mal non plus hier, très prévisible, sans surprise, mais tout de même souvent « d’accord avec Laurent Fabius ». On récupère les voix où l’on peut, et DSK n’a plus trop le choix : son ancien copain Lang ayant tourné sept fois son nom dans sa bouche avant de revenir à la niche Royal, Strauss-Kahn ne peut qu’espérer que les fabiusiens et les jospiniens se rallient massivement et bruyamment à lui dans la grosse semaine qui vient, afin de pousser au moins au second Marie Ségolène, future première dame de gauche qui a été élevée par un père sévère mais juste, si l’on en croit L’Express. DSK savait qu’il ne jouerait pas grand-chose sur ce dernier débat télévisé, trop rigide, trop ORTF pour vraiment trancher dans le vif et départager qui que ce soit, et mise sans doute beaucoup sur le prochain meeting à Toulouse, jeudi. Dans une salle peut-être aussi bien préparée par Jospin que celle du Zénith de Paris par DSK, ce dernier peut faire vaciller Royal, ou pousser Dray dans les cordes une nouvelle fois, histoire de voir s’il y a du sang-froid à perdre dans la dernière ligne droite.

Hier donc, pour la dernière représentation des Muppets socialistes, Carthage n’a pas tremblé, en chiens de faïence les candidats à la candidature se sont regardés, de biais, sans se toiser. Et à force de ne pas vouloir montrer de divisions, de proposer un débat « digne, respectueux et loyal », ils rendent une copie identique, neutre et impersonnelle, qui laisse sur sa faim le militant socialiste que je ne suis pas. Entre la poire et les deux fromages, difficile de choisir, difficile de se prononcer.

Plus que l’incertitude (Ségolène sera sans doute investie), c’est le doute qui préside.


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