Proposition de loi 2895 : instauration du délit de blasphème

par Xanadu
lundi 20 mars 2006

Certaines craintes de voir l’Occident échanger ses valeurs contre une paix illusoire et temporaire sont nées pendant la conflagration islamiste qui a suivi la polémique autour des caricatures de Mahomet. Au cri de "Freedom go to hell", des nuées de fondamentalistes ont défilé dans les rues du monde musulman, brûlant drapeaux, ambassades et consulats. Ce même cri de ralliement a pu être entendu sur le sol européen, comme à Londres, accompagné d’appels à la "décapitation de ceux qui insultent l’islam". Si l’Europe a fait preuve d’une invraisemblable apathie devant la mise à sac des représentations diplomatiques de certains de ses membres, le Vieux Continent a au moins, jusqu’à présent, eu le mérite de ne pas céder aux exigences islamistes d’imposer le délit de blasphème.

Mais voilà qu’il y a quelques jours, le député UMP du Gar, Jean-Marc Roubaud, a déposé à l’Assemblée nationale une proposition de loi (n°2895) visant à "interdire les propos et les actes injurieux contre toutes les religions". Concrètement, M. Roubaud souhaite ajouter la ligne suivante à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : "Tout discours, cri, menace, écrit, imprimé, dessin outrageant, ou affiche, portant atteinte volontairement aux fondements des religions, est une injure" et est par conséquent passible d’une condamnation juridique.

Ce n’est donc plus simplement l’appel à la haine qui serait condamné, ce qui est bien sûr compréhensible, mais toute critique formulée à l’encontre d’un quelconque dogme religieux. C’est la liberté d’expression, le droit élémentaire de remettre en question tout système idéologique, religieux ou non, que le député souhaite amputer, reniant ainsi l’héritage des Lumières et les fondements de la république démocratique laïque. Faudrait-il donc interdire les Lettres persanes de Montesquieu, Mahomet le prophète ou le fanatisme de Voltaire ou la Généalogie de la morale de Nietzsche ?

M. Roubaud justifie son initiative en ces termes : "La récente polémique sur les caricatures soulève le délicat problème des libertés d’opinion et de la presse face aux libertés de religion et de pensée, qui font elles aussi partie des principes démocratiques de notre pays". Il ajoute donc ensuite que "la liberté d’expression ne saurait donner le droit de bafouer, de désinformer ou de calomnier les sentiments religieux d’aucune communauté ou d’aucun Etat quel qu’il soit". Dans un tel cadre légal, affirmer que Dieu n’existe pas serait-il considéré comme de la désinformation ou comme un outrage à la croyance religieuse ? Mais qu’est-ce qu’une religion ? Une simple idéologie qui incorpore le surnaturel dans son discours. Et ce caractère mystique seul suffirait donc à donner un statut inviolable à n’importe quelle doctrine ? Ceci est bien sûr totalement inacceptable.

Mais selon le député, "l’heure n’est pas à alimenter ou entretenir la discorde par la vexation ou la diffamation, les événements récents le prouvent. Il faut protéger les nations contre toutes les dérives qui nourrissent la haine. Telles sont les raisons de cette proposition de loi qui se veut une contribution à la lutte contre les propos et les actes injurieux pour construire une société fondée sur la tolérance et le respect". Mais que faire lorsqu’une religion est ontologiquement source de haine et d’intolérance ? Comment réagir lorsqu’un dogme religieux génère lui-même de telles dérives ? La lecture de certains ouvrages fondateurs est sur ce point probante.

En conclusion, c’est une véritable idéologie d’Etat que M. Roubaud, dans son inconséquence candide, tente d’instituer, trahissant de fait les valeurs humanistes immuables de notre civilisation. Le texte est encore dans la phase préparatoire préalable à la soumission en première lecture aux parlementaires et ses chances de passer sont minces. Mais il constitue néanmoins un premier pas fort inquiétant, prélude d’un avenir incertain.


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