Punir, une passion contemporaine

par Orélien Péréol
jeudi 11 janvier 2018

Punir une passion contemporaine de Didier Fassin Editions du Seuil 189p 17€

Didier Fassin est professeur de sciences sociales à l’Institut d’études avancées de Princeton et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, et il pose le constat que l’on punit de plus en plus sans faire baisser le taux de délinquance, tout en ayant l’impression d’un (trop) grand laxisme et en réclamant une augmentation de la sévérité des peines. Son livre est structuré de façon très simple : qu’est-ce que punir ? Pourquoi punit-on ? Qui punit-on ? Il est structuré aussi par les divergences, voire les oppositions, entre les sentiments qu’ont les agents des institutions, tels qu’ils les disent (comment ils voient leur travail) et le rôle dévolu auxdites institutions, en leur intitulé. Il ne se place pas à l'intérieur de l'institution, à l'intérieur de l'institué ; il se place un peu (pas seulement) à l’endroit « de la composante émotionnelle et pulsionnelle qui existe toujours dans le châtiment et les débordements auxquels elle peut donner lieu. » P110 Il traite des institutions dont la tâche est la sanction et ne parle ni de la famille ni de l'école. Il saisit la parole des acteurs (policiers, juges) et la confronte à ce qui devrait être, à la fonction prévue de l'institution. Il parle de ce qui se passe vraiment. Le système judiciaire est censé punir les coupables avérés avec une idée de proportionnalité entre la faute et la peine. Didier Fassin inverse la proposition et voit que l'on est coupable parce que l'on est puni. Les délinquances des riches échappent fréquemment à la sanction judiciaire, tandis que des peines fortes sont appliquées à des personnes n'ayant pas commis les délits dont on les accable. Le constat n'est guère nouveau, mais il a le mérite d'être très documenté et présenté clairement et calmement. Les parquets se montrent plus sévères pour la détention de petites quantités de cannabis que pour l'abus de biens sociaux. Néanmoins, tout le monde continue à considérer que la police et la justice globalement disent le droit et le mettent en application dans la société et le populisme juridique (demander toujours plus) est prégnant et en augmentation.

La compensation d'une faute est décrite dans la première partie, comme ayant deux registres possibles : la réparation du dommage ou la souffrance du coupable. La réparation tient la faute pour une dette, elle est dite utilitariste, elle s'occupe principalement des conséquences de la peine sur la société. Elle est plutôt progressiste. L'autre est dite rétributiviste, elle veut donner une souffrance équivalente à la souffrance née du crime. Elle est morale et plus pratiquée dans les sociétés conservatrices. Nombre de sociétés établissent des mixtes, ou des alternances. Nous sommes plutôt dans une logique rétributive de la peine.

Le ministère de la justice, dans tous les pays, ne sait pas prendre en compte les conditions de son exercice. L'individuation du délit et de la peine ne permet pas de voir que mettre un père en prison, dans des milieux défavorisés, augmente les difficultés de la mère et des enfants, crée un sentiment d'injustice tout-à-fait fondé et des désirs de rébellion tout azimut et déconstruits.

Or la société continue d'appréhender la justice comme un outil créant de la justice, avec des erreurs des à-peu-près, des accidents, alors que ces erreurs ou à-peu-près ne relèvent pas de l'imperfection qui entache toute activité humaine mais d'une structuration, d'une essence hors de celle déclarée et crue par les juges, les avocats, les policiers, les gardiens de prison.

C'est la tâche de ce livre que de nous montrer la réalité du système policier-judiciaire sans emphase, sans indignation énorme, avec une tranquille et sèche objectivité. La solution serait de modérer la volonté pénale comme certains pays européens ont commencé modestement à le faire.


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