Que faire pour aider les agriculteurs ?
par jean le guévellou
jeudi 20 mai 2010
D’autres solutions que celles proposées par le directeur général de Carrefour ?
Dans un article du Monde du 14.05.10, Monsieur Lars Olofsson, directeur général de Carrefour, tente de nous éclairer sur les solutions à apporter pour soutenir le monde agricole en crise.
En guise d’introduction, il affirme, en se référant à la volonté du gouvernement de modérer les marges des distributeurs sur les fruits et les légumes, que « Carrefour, partenaire du monde agricole, s’engagera naturellement à soutenir cette démarche ». Le 8 décembre 2009, l’UFC-Que choisir publiait son étude sur l’évolution des prix des produits agricoles dans les rayons des supermarchés et pointait du doigt l’opacité des grandes marques de distribution quant aux marges réalisées sur ces produits (« l’opacité qui existe au niveau national, on l’a vérifiée au niveau local », s’écriait Gérard Barbier, administrateur de l’association, à la sortie de l’étude(Le Monde)) . On peut donc légitimement s’interroger sur l’engagement « naturel » de ces mêmes distributeurs dans la lutte pour la modération des marges. Parallèlement, l’UFC-Que choisir révélait le résultat de calculs effectués sur l’évolution du prix du lait entre septembre ? 2007 et septembre 2009. Ces calculs montrent que durant cette période le prix du lait payé à l’éleveur a reculé de 7%, tandis que celui de la brique vendue en grande surface a augmenté de 5% pour le lait Candia et de 11% pour le lait de marques de distributeurs (MDD). Monsieur Olofsson affirme pourtant dans Le Monde du 14.05.10 que les agriculteurs sont les « partenaires » de Carrefour et que Carrefour désire les « soutenir ». Ainsi, nous dit-il, « depuis 1992, nous [Carrefour] développons avec 20 000 d’entre eux [les agriculteurs] des filières qualité Carrefour, nous permettant à la fois de mieux les rémunérer et d’offrir aux consommateur des produits de qualités supérieures ».
Quelles solutions nous propose-t-il donc pour remédier à cette crise, et améliorer la situation des agriculteurs ?
Première mesure : un prix minimum d’achat à l’agriculteur en période de crise, mesure limitée dans le temps pour être en accord avec les règles européennes. On peut effectivement imaginer que cela permettra aux agriculteurs de survivre en période de crise et de rester dans la même situation en période « normale » jusqu’à la crise suivante. Mais comment espérer un instant qu’une mesure temporaire et destinée à être mise en place uniquement « en période de crise » puisse être efficace quand on sait que le secteur agricole est en crise depuis plusieurs années et qu’il s’agit là d’un problème structurel de fond ?
Deuxième mesure : créer un fond d’investissement pour augmenter la production du bio. Une initiative qui peut être intéressante. Un tel fond suppose un accord avec les producteurs afin de déterminer les modalité d’attribution de telles aides de manière équitable et démocratique. Mais pourquoi depuis ces dernières années Carrefour n’aide pas ses « partenaires » et continue de pratiquer de telles marges sur les produits ? Enfin, on sait le peu de cas que fait le gouvernement de l’agriculture bio, il suffit pour s’en convaincre de relire l’article de la Sénatrice Marie-Christine Blandin publié dans Rue 89 le 04.05.10 à propos du vote du texte sur les pesticides.
Troisième mesure : « libéralisation de la communication publicitaire sur les fruits et légumes ». Chers concitoyens, préparez-vous. Vous vous sentiez envahis par la pub ? La situation ne devrait pas s’améliorer. Et rassurez vous car si le trou de la sécu augmente nous devrions être à l’avenir en meilleur santé car Carrefour nous informera sur les produits que nous devrons manger pour que nous nous alimentions d’une manière plus saine. Enfin, Carrefour s’engage car si « aujourd’hui, un seul Français sur dix consomme cinq fruits et légumes par jour », Carrefour désire « encourager un second Français sur dix à adopter ces principes d’hygiène de vie » (Lars Olofsson).
Quatrième mesure : « soutenir la consommation », « le gouvernement pourrait, comme il l’a déjà fait pour les chèques emplois services universels, proposer aux Français les plus défavorisés des coupons produits frais d’un montant de 200 euros, pour leur permettre de manger sainement et soutenir la production agricole ». Aujourd’hui beaucoup de Français qui travaillent ne peuvent se permettre d’acheter des fruits et légumes tout les jours car pour beaucoup de personnes, il s’agit là d’un luxe tant les prix sont élevés. Nous savons tous ce que les études nous disent par exemple sur l’alimentation des étudiants français, beaucoup d’entre eux ne peuvent s’alimenter correctement tant les prix sont élevés. Or si l’on en croit les études de l’UFC-Que choisir les responsables de ces prix exorbitants sont les distributeurs, étant donné que les prix d’achat aux agriculteurs ont diminué et que les prix de vente aux consommateurs ont augmenté. Ainsi, que nous propose Monsieur Olofsson ? Tout simplement que l’état, ou en d’autre termes la société, paye afin que les plus démunis (dont beaucoup travaillent) puissent se payer des fruits et légumes sur lesquels les marques de la grande distribution de font des marges plus que confortables comme le rapportent la plupart des études. Et de conclure, cela permettra de « soutenir la production agricole ».
Ne serait-il pas le moment de trouver de nouvelles solutions en ouvrant un réel débat démocratique, en donnant la parole aux agriculteurs et aux consommateurs ? Si on prend la peine d’écouter ce que nous disent les agriculteurs, il est manifeste qu’il existe un malaise mais, nous disent-ils, cela n’est pas seulement dû à la difficulté de s’en sortir économiquement. Comme nous l’explique Pierre Priolet sur Canal Plus, les agriculteurs se sentent aujourd’hui exclus de la société, il serait probablement intéressant de prendre au sérieux l’appel qu’il lance sur le plateau du grand journal en voulant dire « aux gens » que les agriculteurs sont là. Ce qu’il demande et souhaite n’est ni plus ni moins qu’une réintégration des agriculteurs dans le tissus social.
N’existe-t-il pas des solutions qui permettraient de recréer un lien social entre les agriculteurs et les consommateurs, d’augmenter les revenus des agriculteurs et de baisser les prix pour les consommateurs ? Il existe les Amap qui offrent des solutions. Les collectivités des villes et quartiers défavorisés ne pourraient-elles pas s’appuyer sur ces exemples en créant des partenariats entre des groupements d’agriculteurs et des quartiers défavorisés. On pourrait simplement imaginer des structures montées par les mairies employant des jeunes qui recherchent aujourd’hui désespérément un emploi qui ferait ainsi le lien en allant chercher les produits directement chez les producteurs pour les vendre dans des locaux, mis à dispositions par la commune, aux consommateurs à un prix raisonnable. Le prix de vente inclurait le prix de revient des produits, une part destinée aux salaires des producteurs, aux salaires des jeunes et une parcelle pour la collectivité. Des emplois non délocalisables seraient ainsi créés, des quartier aujourd’hui exclus et en difficulté se sentiraient à nouveau impliqués dans la société et non plus isolés, les plus démunis auraient accès à des produits de qualités et vendus à des prix attractifs, enfin les agriculteurs auraient des revenus décents et se sentiraient également à nouveau impliqués dans un projet de société.
L’heure est peut-être venue de créer un véritable débat citoyen, trouver de vrais solutions pérennes et socialement correctes. Cela suppose peut-être une autre vision de la société, mais les perspectives moroses auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui sont surement le signal que ce travail devient de plus en plus nécessaire.
Jean Le Guévellou.