Que penser de la modération de Salvini et Le Pen ?

par Laurent Herblay
vendredi 12 mars 2021

 

En 2015, Tsipras a été le premier opposant radical au système dominant élu par son peuple. Mais après quelques mois, il a fini par poursuivre les politiques qu’il dénonçait. Depuis, bien des alternatifs européens modèrent leur discours, au point de se rapprocher de la doxa dominante. Nouveaux exemples avec le gouvernement Draghi en Italie et la tribune de Marine Le Pen dans L’Opinion.

 

Ces alternatifs qui ne le sont qu’à la marge

La situation italienne était intéressante, quand le M5S et La Lega s’étaient alliés pour gouverner. Ce qui pouvait réunir des partis presque aussi dissembables que La France Insoumise et le Rassemblement National semblait être la remise en cause du cadre européen. Las, quand la commission retoqua leur premier budget, qui ne réduisait pas suffisamment le déficit à son goût, pour tenir les promesses de la campagne électorale, les deux partis ont rapidement accepté de revoir leur copie, alors même que Macron, en France, présentait un budget bien plus déficitaire qu’eux ! Cet épisode montrait déjà que la rupture avec le cadre européen ne passerait pas par eux. Et aujourd’hui, le M5S et Lega ont accepté de faire partie de la nouvelle équipe dirigée par Mario Draghi, dont on se demande pourtant quel est le point commun politique avec ces partis qui se présentaient comme des alternatives.

En France, j’ai toujours douté de la capacité de Marine Le Pen à rompre avec le cadre européen. Le virage à 180° sur l’euro réalisé entre les deux tours de 2017 a confirmé ce que je pensais d’elle depuis longtemps, puisqu’elle a rénoncé à l’élément le plus important de son programme économique, celui qui redonnait vraiment des marges de manœuvres à notre pays. Et depuis, elle ne cesse de dériver vers un conformisme bien-pensant sur beaucoup de sujets, ne voulant suspendre Schengen que pour les non européens et finissant par paraître un peu molle au ministre de l’intérieur. Macron et Le Pen sont engagés dans une course à l’asphyxie des dits Républicains, auxquels ils ne laissent plus le moindre espace politique, en se droitisant pour Macron, et en se modérant pour Marine Le Pen.

Nouvel épisode dans ce périple électoraliste avec la tribune sur la dette de Marine Le Pen dans L’Opinion au sujet du débat sur la dette et son remboursement. Si le papier, écrit par un autre, est assez solide techniquement, en revanche, idéologiquement, il est d’un conformisme stupéfiant. Pas une ligne de cette tribune ne pourrait pas être signée par la majorité actuelle. Après le livre de Darmanin que Le Pen dit pouvoir signer, voici la tribune économique de Le Pen que Bruno Le Maire pourrait signerLa monétisation des dettes publiques par les banques centrales est expédiée bien brièvement, en oubliant que c’est un choix, politique, sur lequel la France n’a plus de prise. Pourtant, le niveau de monétisation devrait être décidé démocratiquement, et non de manière arbitraire par des fonctionnaires. L’appel à davantage soutenir l’investissement est d’une banalité sans nom qui pourrait être signée par une grande part du spectre politique. Marine Le Pen donne ici des gages de continuité.

Certains y verront une forme de tactique un peu cynique pour faciliter l’accession au pouvoir, sans préjuger de la détermination à changer les choses s’ils y arrivaient. Ce qui se passe depuis 2015 me semble plutôt indiquer que trop de modération ou d’ambiguités dans l’opposition est en général un signe d’absence de détermination à changer les choses. Beaucoup de ces alternatifs ne valent pas mieux que ceux qu’ils disent vouloir remplacer. Ils veulent se réaliser eux-mêmes, n’ont que faire du fond, et se positionnent seulement comme des alternatifs, sans véritablement l’être. C’est ce qui relie Tsipras, Salvini et Le Pen : une quête de pouvoir totalement creuse, où tous les compromis semblent possibles pour servir leurs petits intérêts personnels, d’où une plasticité intellectuelle assez stupéfiante…

Mais de même que les tenants du système déçoivent, ces alternatifs en carton sont de moins en moins convaincants, ce qui explique, en France, que les citoyens ne se satisfont pas d’un nouveau duel Macron-Le Pen. Sous les cendres des débats superficiels ou des postures, les braises du changement sont plus ardentes que jamais. Et gageons que le tri entre les alternatifs de pacotille et les vrais défenseurs d’un changement de système se fera rapidement, de bonne manière.

 


Lire l'article complet, et les commentaires