Qui arrêtera le populisme à Poitiers ?

par Voris : compte fermé
jeudi 9 novembre 2006

« Aller contre moi, c’est aller contre l’opinion publique », énonce Nicolas Sarkozy. Ségolène Royal explique que, sur la Turquie, son opinion sera celle du peuple. Tout est dit en ces deux citations : nul n’a le droit de dire quelque chose qui irait à contre-courant du mouvement populaire. Assistera-t-on impuissants au rouleau compresseur populiste ? Qui sera le Charles Martel ? Dans le camp socialiste, Lionel Jospin aurait pu tenter de stopper le populisme de Royal à Poitiers. Il a renoncé à se présenter aux suffrages. A droite, Jacques Chirac dit qu’il n’exclut pas un troisième mandat. Il pourrait donc faire barrage, sauf si François Bayrou s’en chargeait, à condition toutefois d’obtenir le crédit suffisant auprès de l’électorat.

Qu’est-ce que le populisme ?

M’inspirant des idées du politologue et essayiste Guy Hermet, je définirai le populisme comme une forme de démagogie qui prétend régler rapidement tous les problèmes et dénonce, lors de tribunes populaires, les systèmes en place comme autant d’obstacles au changement nécessaire. Le populiste veut aller très vite et marquer les esprits (mais pas les plus fins d’entre eux) et il défend une image trompeuse : « Je suis comme tout le monde » (souvenez-vous de Jean-Pierre Raffarin qui voulait incarner la France d’en-bas et multipliait les petites phrases aux allures de sagesse proverbiale). Le populisme à la française était incarné depuis des décennies par Jean-Marie Le Pen. Il s’agit aujourd’hui dans les deux camps politiques de chasser sur les terres du Front national en usant de cette manière très primaire et contestable d’attirer des électeurs. L’avantage pour celui ou celle qui manœuvre ce type de démagogie, c’est qu’il peut se situer hors clivage. Le populisme de Le Pen, par exemple, a capté des votes d’ouvriers bien éloignés du libéralisme défendu par le chef d’extrême-droite. Des pauvres de banlieue voteront pour Sarkozy, représentant du grand capital soutenu par les grands patrons. Du coup, plus besoin de s’en tenir à la ligne stricte définie par son propre parti, même quand cette ligne a été élaborée par des voies démocratiques internes. Le populisme « transcende » les divisions sociales. Coller au plus près aux sondages et aux inquiétudes est la préoccupation principale des deux candidats pour parvenir à leurs fins.

Le populisme est aussi, selon moi, un moyen de contrôler la « révolte du pronétariat » et les influences de la sphère Internet où des citoyens d’un niveau d’instruction assez élevé et disposant d’assez de temps et de désir de débattre expriment leurs idées. Il ratisse plus large que cet espace pour contourner l’action de ce contre-pouvoir en lui opposant la légitimité du Peuple.

Selon le penseur précité, il existerait un bon populisme, un « populisme contrôlé ». Est-ce de celui-ci que Ségolène Royal se réclame ?

Jugez-en : Ségolène Royal : « [...] Je suis de près, depuis quelques années les diverses formes et mécanismes de démocratie participative : les budgets participatifs, les jurys de citoyens, les conférences de consensus à la suédoise. J’organise, à Poitiers, depuis deux ans, un colloque annuel consacré a la démocratie participative. Avec des chercheurs, des praticiens et des chercheurs venus du monde entier. Tous ces dispositifs de démocratie participative ont en commun de reconnaître la capacité d’expertise légitime des citoyens et de créer les conditions d’une délibération informée. La démocratie participative ne s’arrête pas à la seule phase “amont” : préparation de la décision, décision, action : “écouter pour agir juste”. Pourquoi ne pas l’utiliser pour évaluer les résultats de l’action publique ? La responsabilité politique est mise en cause à chaque renouvellement électoral puisque les citoyens peuvent sanctionner les élus qui n’ont pas rempli leurs obligations. Il n’y a aujourd’hui pas d’évaluation au long cours de l’action publique. J’ai proposé de créer des jurys de citoyens qui évalueraient les politiques publiques, par rapport à la satisfaction des besoins, ou par rapport au juste diagnostic des difficultés qui se posent, non pas dans un sens de sanction, mais pour améliorer les choses. Ces jurys de citoyens pourraient être constitués par tirage au sort. Comme dans la Grèce antique. »

Insuffisante et mal posée, l’idée de jury de citoyens présentée par Ségolène Royal apparaît comme une surenchère populiste et démagogique, après celle de jury populaire émise par Sarkozy pour le Tribunal correctionnel. C’est encore une idée issue des sondages et de l’émotion suscitée par certains faits divers, une expression de la démocratie d’opinion, et non de la démocratie des citoyens.

Il faut former les citoyens à remplir pleinement leur rôle pour qu’ils contrôlent vraiment l’action politique (sans toutefois exercer une sorte de tutelle sur les élus). Sans quoi nous resterons dans un système de pure démocratie représentative où les élus oublient la notion de mandat et ne raisonnent qu’en termes de carrière. Quelques moyens : introduire des procédés de démocratie directe ou renforcer ceux qui existent déjà comme la pétition, créer une troisième chambre sur la base du Conseil économique et social en y adjoignant une formation de gens issus de la société civile formés préalablement et rétribués pour la période de leur mission. Cette chambre n’aurait pas voix délibérative, comme l’Assemblée et le Sénat, elle ne pourrait pas être dissoute par le chef de l’Etat, et elle serait à l’abri des pressions du gouvernement et des partis. Ses membres ne seraient pas élus mais tirés au sort, afin qu’ils ne puissent pas se revendiquer de la légitimé des urnes pour contrer les pouvoirs du Parlement et du président.

Je vous invite à lire deux articles que j’ai écrits sur ce sujet : De Gaulle, Mitterrand, Internet, et la démocratie participative participative et L’Ecole nationale des citoyens (ENC).

Beaucoup de solutions sont imaginables entre, d’une part, la démocratie représentative qui ignore le peuple (et méprise assez la représentation populaire du Parlement devenu chambre d’enregistrement des lois), une démocratie représentative qui montre des signes de dépassement voire d’essoufflement, et, d’autre part, une pseudo-démocratie participative qui ne s’adresserait qu’au peuple au sens de masse, et qui ne serait qu’un leurre, une béquille au vieux système, un tremplin pour arrivistes.


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