Rapport Hetzel, ou le savoir au service de l’économie marchande...

par Harry Caldeg
mercredi 21 février 2007

En avril 2006, le recteur de l’académie de Limoges, P. Hetzel, rendait son rapport final « de l’université à l’emploi »... Le constat qui est fait est celui-ci : il y a un taux trop important d’échecs à l’université ; les diplômes n’empêchent pas le chômage (11 % de chômages trois ans après la licence) ; et les étudiants s’inquiètent sur leur avenir et sur la valeur de leurs diplômes.

Par la valeur des diplômes, ils entendent leur valeur sur le marché du travail ; non pas la qualité et la richesse des connaissances acquises, mais leur rentabilité, leur utilité pour l’économie marchande... Le savoir, la culture, ne sont plus envisagés selon leurs valeurs propres, ni comme une composante et une richesse fondamentale de l’humanité et des sociétés, ni comme un héritage de notre histoire ou encore comme un moyen de libération et d’émancipation de l’individu et de la pensée. Non, l’acquisition des savoirs ne consiste qu’en l’acquisition de diplômes, dont l’unique fonction est de nous permettre d’accéder à l’emploi, dont le rôle est de faire fonctionner l’économie comme le marché l’entend ; et de nous donner un salaire plus ou moins décent, toujours en fonction de ce qu’exige la grande compétition mondiale... Ainsi, il ne s’agit pas de se construire un projet d’avenir qui corresponde à nos attentes, à nos talents, à nos choix et à notre vision de la vie, mais d’élaborer un projet professionnel en fonction de l’économie/marché du moment (en l’occurrence, et d’après ce même rapport : industrie, commerce, banques, bâtiments et travaux publics, hôtellerie et restauration... vive la culture). Et en effet, la culture, l’esprit critique, la liberté d’opinion et d’expression, la politisation, la conscience et connaissance des conséquences et impasses de notre modèle économique (accroissement des inégalités entre les pays et entre les couches sociales d’un même pays, épuisement et destructions des ressources et bien vitaux (air, eau, forêt, vivants, perturbations climatiques...), et par conséquent tout enseignement qui peut permettre la distanciation et le regard critique nécessaire et essentiel à une démocratie effective, n’est pas d’une utilité très efficace ni recherché sur le marché de l’emploi. Et puisque la connaissance semble une des conditions sine qua non d’une contestation, et que la contestation et les revendications sociales et salariales conduisent à une perte de rentabilité et de compétitivité des entreprises, et donc du pays, c’est qu’il faut réguler et réduire l’offre des enseignements à ce qui est exploitable par l’entreprise ; tout comme il faut faire comprendre aux étudiants la réalité économique... Il s’agit finalement d’accepter l’idée d’une forme de privatisation des programmes de formations, autrement dit de l’accès à la culture.

Ainsi le rapport préconise plusieurs choses en ce sens : «  créer des modules de formation à l’intelligence économique et à la compréhension économique adaptés à chaque niveau d’études afin de former les étudiants aux connaissances nécessaires au développement économique des entreprises sur les marchés mondiaux ainsi qu’à leur nécessaire protection par rapport aux concurrents  » (partie E.5 du rapport) ; « créer un partenariat université/employeur pour la croissance »(E.) ; « encourager et assister les universités à se doter de centres de formation des apprentis (CFA) » (D.9) ; « inciter les étudiants à devenir entrepreneurs » ( D.5) ; «  prévoir la fusion des masters professionnels et des masters de recherche » (C.5) ; « développer un marketing des universités  » (D.4)...

Un rapport par conséquent très intéressant et instructif, nous expliquant clairement et sans détour vers quoi l’université et la transmission des connaissances doit tendre : vers l’efficacité économique et la croissance. Elle doit donc se « rapprocher » des entreprises, dans tous les sens du terme, y compris via le financement («  rendre plus systématique la participation financière des entreprises à certains programmes d’enseignement et de recherche », « il faut stimuler les financements privés sous toutes leurs formes  », et tant pis pour l’indépendance et l’autonomie, il va falloir séduire le partenaire privé... Privatisation ? Marchandisation ?

Étrangement, des « trois missions » que le rapport Hetzel énonce tout d’abord, à savoir « la création du savoir, la diffusion des connaissances et l’insertion professionnelle  », finalement les analyses et propositions ne retiennent et ne semblent prendre en compte que cette fameuse insertion dans le monde du travail.

Ainsi, puisqu’il y a trop d’élèves dans certaines sections avec pourtant peu de débouchés, il faut qu’il y ait une « orientation active » au lycée et à la fac, « il s’agit de faire percevoir aux jeunes que tout n’est pas possible au regard de leur bagage scolaire et de leurs aptitudes » ; ainsi il est préconisé de demander à la fin du lycée l’avis des professeurs quant aux choix d’orientation de l’élève, mais aussi de « contractualiser avec les étudiants  », chaque université restant « libre d’élaborer ses propres contrats types  » , afin de pouvoir faire «  un premier bilan en fin de semestre pour vérifier le degré d’atteinte des objectifs fixés lors de la contractualisation (par exemple, les résultats aux examens) » « pour éventuellement renégocier le contrat  » avec trois solutions : poursuite du cursus, redoublement du semestre, réorientation... Tout cela, certainement, afin de nous habituer le plus tôt possible à la flexibilité/précarité de nos futurs emplois. C’est étrange, mais les réformes prônées pour l’université semblent être une apologie sans retenue de la politique libérale, et son enjeu, de nous convaincre que la fac doit s’intégrer dans la sphère de l‘économie marchande et compétitive, restreindre l‘enseignement à ce qui servira cette politique économique, réduire la connaissance à sa valeur sur le marché du travail...

Ce qui est pire, c’est que ce rapport prétend refléter l’opinion de la majorité des étudiants. Est-ce vrai ? En ce cas nous pourrions penser que les étudiants n’ont pas tellement besoin d’une formation à « la compréhension et à l’intelligence économique », mais qu’ils sont déjà bel et bien résignés à subir le destin que leur traceront les aléas du marché de l’emploi.
Étudier oui, non pas afin d’apprendre, mais afin de travailler. Travailler, non pas pour s’épanouir et se réaliser, mais pour avoir de l’argent. Et avoir de l’argent, non pour le partager, ni même pour être plus heureux, mais pour le gaspiller et accumuler chez soi tout ce dont on n’a presque pas besoin, mais dont la production nécessite de sacrifier l’environnement.
Donc, selon certains, la jeunesse n’aspire qu’à trouver un travail, n’importe lequel, celui qui conviendra à l’économie... et les autres ne sont que des feignants qui voudraient juste refaire le monde tout le temps et tout critiquer alors qu’ils ne comprennent rien à la réalité concrète du monde actuel...

Est-ce cela que nous voulons comme université, comme société, comme travail et comme avenir ?
Pour certains étudiants, prêts à être dociles et jetables si cela les rend employables et compétitifs, en effet, oui. Mais pour d’autres, un peu plus conscients du risque que représente pour une société l’accaparement de tous les pouvoirs par la sphère marchande (informations ; publications ; éditions ; radios et télés ; armées mercenaires ; pharmaceutique ; armement ; distribution de la nourriture et de l’eau ; politique - nos ministres prenant l’habitude de se faire employer après mandat à de très hauts postes de grosses entreprises - connivences peu subtiles...), pour beaucoup d’autres, je l’espère, ces dérives, qui finalement deviennent constitutives de notre système économique, sont inacceptables, iniques, car en contradiction avec les valeurs officiellement acclamées de démocratie, d’intérêt général et de souveraineté populaire. Et par conséquent, beaucoup, il faut l’espérer, ne l’accepteront pas, et l’affirmeront, l’exprimeront bien au-delà des urnes, ce refus marqué d’une société marchande, consumériste, concurrentielle, ayant pour seule valeur universelle l’argent et le pouvoir/domination qu’il confère. Ségolène est dans la lignée, à très peu près, de ce rapport Hetzel et de ce fabuleux concept de partenariat avec le privé. Sarkozy, lui, est toujours à l’UMP, et est toujours ultralibéral et atlantiste, donc...

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