Raymond Aron, le marxien les pieds bien sur terre

par Sylvain Rakotoarison
jeudi 18 octobre 2018

« Le choix en politique n’est pas entre le bien et le mal, mais entre le préférable et le détestable. ».



Le philosophe, historien, politologue et sociologue Raymond Aron est mort d’une crise cardiaque, à Paris, près du Palais de Justice où il s’était rendu, il y a trente-cinq ans, le 17 octobre 1983, à l’âge de 78 ans. Il est né à Paris le 14 mars 1905, la même année que Jean-Paul Sartre (1905-1980) et Paul Nizan (1905-1940), qu’il connaissait bien pour avoir été condisciples ensemble à Normale Sup. Pour parler du XXe siècle, qui a eu son lot de catastrophes humaines, on aurait pu parler du "Siècle de Raymond Aron" mais on parlerait plutôt du "Siècle de Jean-Paul Sartre". C’était le même siècle, mais vu sous des angles diamétralement différents. Car Raymond Aron pouvait être caractérisé par cet impératif : le refus du sectarisme.

Amis, Raymond Aron et Jean-Paul Sartre furent aussi des adversaires intellectuels redoutables pendant toute leur existence. Tout les opposait, et d’abord cette volonté de s’engager à fond dans une idéologie. Jean-Paul Sartre a épousé le communisme jusqu’aux confins du ridicule, ce qui était navrant pour un intellectuel de si haute envergure, à savoir qu’il se permettait le droit de jouer avec la vérité parce qu’il n’aurait pas fallu "désespérer Billancourt".

"Billancourt", pour les plus jeunes, ce n’est pas la Seine Musicale sur l’île Seguin (cette nouvelle salle de spectacle en forme de planisphère géant visible du Bois de Boulogne) ni les tours d’habitations neuves le long du quai Georges-Gorse, près du Pont de Sèvres, mais l’usine Renault qui fut souvent le lieu d’où venaient les grèves et les mouvements sociaux après la guerre. La situation actuelle de cette usine montre à quel point, à force d’en vouloir plus pour les salariés, on ferme l’usine. Aujourd’hui, ce ne sont plus des ouvriers mais des cadres bon chic bon genre à bon niveau de vie qui peuvent s’offrir d’habiter dans ces lieux chargés d’histoire sociale où il ne reste plus que l’énorme portail d’entrée de l’usine, comme un vestige d’un temps lointain.

Raymond Aron était beaucoup plus prudent et nuancé que Sartre. Il ne croyait pas en une idéologie plus vraie qu’une autre. Il se méfiait de tout ce qui pouvait aliéner l’esprit des hommes (et des femmes, bien sûr). Lorsqu’il avait 25 ans, en 1930, sur les bords du Rhin lorsqu’il était à Cologne, il a pris une résolution qui servit de fil conducteur durant toute sa vie de penseur : « Comprendre ou connaître mon époque aussi honnêtement que possible, me détacher de l’actuel sans pourtant me contenter du rôle de spectateur ». Rien que dans cette formulation, toute la nuance d’Aron est présence. Spectateur ou acteur ?

Raymond Aron a toujours été à contre-courant de son temps et je ne suis pas sûr qu’il sera "réhabilité" intellectuellement avant encore un bon moment, même si l’histoire du monde qui s’est déroulée après sa mort pendant ces trente-cinq dernières années lui a donné en partie raison.

À contre-courant mais pas confidentiel. Il fut au contraire très respecté de tous les intellectuels de son temps, car il montrait une très bonne connaissance de ce qu’il analysait, tant en géopolitique qu’en économie ou politique. Contribuant à le faire connaître du grand public, ses éditoriaux dans "Le Figaro" (entre 1947 et 1977) et dans "L’Express" (entre 1977 et 1983) furent de la nourriture très attendue par les lecteurs et l’on peut se demander s’il existe encore aujourd’hui des éditoriaux d’une si haute volée intellectuelle (probablement mais je ne les ai pas trouvés !).

Parmi les philosophes qui l’ont inspiré, on peut citer Toqueville, Alain (au début de sa vie, il fut beaucoup touché par les idées pacifistes d’Alain), Max Weber, Hannah Arendt… et surtout (eh oui), Karl Marx : « Je suis arrivé à Tocqueville à partir du marxisme, de la philosophie allemande et de l’observation du monde présent (…). Je pense presque malgré moi prendre plus d’intérêt aux mystères du "Capital" qu’à la prose limpide et triste de la "Démocratie en Amérique". Mes conclusions appartiennent à l’école anglaise, ma formation vient de l’école allemande. » (1967). En ce sens, Karl Marx a considérablement influencé Raymond Aron au point d’être très largement reconnu comme un marxologue patenté (il se revendiquait d’ailleurs "marxien" !).

Sur Max Weber, célèbre pour ses conférences prononcées à Munich entre 1917 et 1919 et dont les textes furent rassemblés dans "Le Savant et le Politique", la fameuse opposition entre réflexion et action (faut-il réfléchir avant d’agir au risque de ne plus agir ? et réciproquement), Raymond Aron proposa cette réflexion (en préface de l’édition française de 1959) : « On ne peut être en même temps homme d’action et homme d’études, sans porter atteinte à la dignité de l’un ou de l’autre métier, sans manquer à la vocation de l’un et de l’autre. Mais on peut prendre des positions politiques en dehors de l’université, et la possession du savoir objectif, si elle n’est peut-être pas indispensable, est à coup sûr favorable à une action raisonnable. ».

Et l’on peut citer, parmi les personnalités qu’il a influencées, notamment Jean-François Revel (1924-2006), qui a publié en 2002 un traité contré l’antiaméricanisme ("L’Obsession anti-américaine"), également Raymond Barre, Henry Kissinger (ancien élève d’Aron : « Personne n’a eu sur moi une plus grande influence intellectuelle. [Aron] fut un critique bienveillant lorsque j’occupais des fonctions officielles. Son approbation m’encourageait, les critiques qu’il m’adressait parfois me freinaient. »), Yves Cannac, Jean-Claude Casanova, André Glucksmann, Alain Besançon, François Furet, Pierre Rosanvallon, Pierre Bourdieu, Guy Sorman, Claude Imbert, Marcel Gauchet, Nicolas Baverez (qui a publié en 1993 une biographie de Raymond Aron, "Raymond Aron, un moraliste au temps des idéologies", chez Flammarion), Luc Ferry, etc. Son épouse Suzanne Gauchon (1907-1997) fut une amie de la philosophe Simone Weil qu’elle avait rencontrée à la Sorbonne pendant leurs études et l’une de ses trois filles de Raymond Aron est Dominique Schnapper, sociologue nommée par Christian Poncelet au Conseil Constitutionnel entre 2001 et 2010.

Après son agrégation de philosophie (reçu major) en 1928 devant Emmanuel Mounier (Jean-Paul Sartre échoua au concours et fut reçu major en 1929), Raymond Aron travailla quelques années en Allemagne, au début des années 1930, d’abord à Cologne puis Berlin (où il a découvert Husserl et la phénoménologie et étudié Clausewitz), ce qui lui a permis d’observer directement la montée du nazisme et sa victoire en 1933, date à laquelle il retourna en France pour enseigner la philosophie (pour la petite histoire, Jean-Paul Sartre a fait le même itinéraire avec une ou deux années de décalage).

Dès 1932, Aron a compris l’enchaînement futur des événements (le passage de 12 députés nazis au Reichstag à 107 deux ans plus tard, à la fin de son séjour en Allemagne) : « L’Allemagne est devenue à peu près impossible à gouverner de manière démocratique. » (Raymond Aron a publié "La Sociologie allemande contemporaine" dès 1935 chez Alcan, ainsi que "Essai sur la théorie de l’histoire dans l’Allemagne contemporaine. La philosophie critique de l’histoire" en 1938 chez Vrin).

Il fut alors convaincu de l’éclatement d’une nouvelle guerre. Pendant ce temps, Sartre n’a rien perçu pendant son propre séjour à Berlin, et Léon Blum s’était même rassuré après l’échec de Hitler, à l’élection présidentielle au suffrage universel direct les 13 mars 1932 et 10 avril 1932, face au vieux maréchal Paul von Hindenburg (Hindenburg fut réélu au second tour avec 53,1% des voix face à Hitler, 36,7%).



Raymond Aron est devenu universitaire juste avant le début de la guerre, après avoir soutenu sa thèse de doctorat ès lettres en 1938 sur "Introduction à la philosophie de l’histoire" (publié chez Gallimard la même année). Refusant l’armistice, Raymond Aron quitta la France le 23 juin 1940 (dans le même bateau que René Cassin qu’il rencontra) et travailla à Londres entre 1940 et 1945 pour les FFL, en tant que journaliste, directeur de la revue "La France libre" qui pouvait d’ailleurs critiquer De Gaulle. Un esprit est indépendant ou ne l’est pas : il se méfiait des tendances autocratiques de De Gaulle, notamment dans son article "L’ombre des Bonaparte" publié en 1943, évoquant Napoléon III en ces termes : « Le bonapartisme escamote la souveraineté du peuple dont il prétend émaner (…). Comme tant de fois dans l’histoire, l’aventure d’un homme s’acheva en tragédie d’une nation. ». Il fut conseiller du ministre André Malraux en 1944-1946 et même adhéra et milita au RPF en 1947 par scrupule de ne pas avoir été assez gaulliste à Londres.

Après la guerre, Raymond Aron préféra travailler à Paris (professeur à l’ENA, à la Sorbonne, etc.) plutôt qu’à Bordeaux (il avait en 1939 un poste à Toulouse). Sa carrière universitaire fut prestigieuse puisqu’elle se termina comme professeur au Collège de France de 1970 à 1978 avec la chaire de Sociologie de la civilisation moderne (dans les années 1950, il eut pour élèves notamment Valéry Giscard d’Estaing et Raymond Barre).

Cependant, l’enseignement n’était pas sa principale préoccupation après la guerre, ce fut plutôt le journalisme. Il travailla avec Albert Camus dans "Combat" entre 1946 et 1947, et cofonda avec Jean-Paul Sartre "Les Temps modernes" entre 1945 et 1947. Il a ensuite rejoint "Le Figaro" (dont il fut directeur politique en 1976) puis, à la fin de sa vie, "L’Express" (dont il fut président du comité directeur en 1977) ainsi qu’à la station Europe 1 où il proposait une chronique de 1968 à 1972. Selon une formule de De Gaulle qui rageait contre certains éditoriaux, Raymond Aron fut critiqué comme « journaliste à la Sorbonne et professeur au Figaro ». Et selon une expression de Jean d’Ormesson, il fut en effet « un universitaire égaré dans le journalisme ».

Raymond Aron a vu s’exprimer la folie des hommes le 10 mai 1933 à Berlin, sur la grande avenue Unter der Linden, quelques mois après la victoire d’Hitler, quand les étudiants nazis brûlaient les livres des bibliothèques universitaires. Il s’éloigna du pacifisme cher à Alain et passa sa vie intellectuelle à dénoncer les totalitarismes, tous les totalitarismes, pas seulement le nazisme mais aussi le communisme. Après la guerre, il n’a pas compris comment d’éminents intellectuels, très intelligents et nuancés, comme Sartre, pouvaient tomber dans le piège de l’engagement partisan en faveur du communisme développé par l’URSS : « Dans mon milieu, imprégné de hégélisme et de marxisme, l’adhésion au communisme ne faisait pas scandale, l’adhésion au fascisme ou au PPF était simplement inconcevable. De tous, dans ce groupe, j’étais le plus résolu dans l’anticommunisme, dans le libéralisme, mais ce n’est qu’après 1945 que je me libérai une fois pour toutes des préjugés de la gauche. ».



L’un de ses "livres fondateurs" de sa pensée, ce fut "L’Opium des intellectuels" publié en 1955 chez Calmann-Lévy. C’était une véritable déclaration de guerre intellectuelle contre ses anciens camarades de la rue d’Ulm, notamment Sartre, qui restaient aveugles face au communisme. Pour Raymond Aron, qui avait développé ces idées dès 1944 dans "La France libre", lui qui était athée, il considérait le socialisme, le communisme et le nazisme comme de véritables "religions de salut collectif" : « Cherchant à expliquer l’attitude des intellectuels, impitoyables aux défaillances des démocraties, indulgents aux plus grands crimes, pourvu qu’ils soient commis au nom des bonnes doctrines, je rencontrai d’abord les mots sacrés : gauche, Révolution, prolétariat. » (1955). Esprit modéré, Raymond Aron ne pouvait pas admettre l’esprit doctrinaire : « Si la tolérance naît du doute, qu’on enseigne à douter des modèles et des utopies, à récuser les prophètes de salut, les annonciateurs de catastrophes. Appelons de nos vœux la venue des sceptiques s’ils doivent éteindre le fanatisme. ».

Cette bataille contre les intellectuels "engagés" (dans le communisme) a été l’une des raisons d’un certain isolement intellectuel dans les milieux culturels et intellectuels. Même des milieux dits "de droite" puisque son refus de gaullisme inconditionnel n’était pas très apprécié dès 1940. Beaucoup de gaullistes comme Maurice Schumann, qui savait apprécier néanmoins sa valeur intellectuelle, lui en ont gardé rancune tenace si bien que Raymond Aron n’a jamais osé se présenter à l’Académie française de peur de risquer un barrage gaulliste (avec sa cinquantaine d’ouvrages rédigés très précisément, il l’aurait pourtant amplement mérité). Selon l’expression célèbre de Jean Daniel qui s’est confié à Claude Roy, il était « plus facile d’avoir tort avec Sartre, qui "trucule, exubère et effervesce" (selon Claudel), que d’avoir raison dans la morosité avec Aron ».

Raymond Aron était démocrate dans un sens assez américain, à savoir, qu’il fallait organiser le système institutionnel de façon à ce qu’il y ait des contre-pouvoirs indépendants permettant de brider l’arbitraire éventuel des gouvernants : « Pour ma part, la justification qui me paraît la plus forte de la démocratie, ce n’est pas l’efficacité du gouvernement que se donnent les hommes lorsqu’ils se gouvernent eux-mêmes, mais la protection qu’apporte la démocratie contre les excès des gouvernants. ».

La rivalité entre Aron et Sartre n’a pas empêché, à la fin de leur vie respective, le 20 juin 1979, de se rejoindre au cours d’une conférence de presse commune à l’hôtel Lutétia à Paris, avec André Glucksmann, Yves Montand, Simone Signoret, Bernard Kouchner, Michel Foucault, etc., pour aider les boat-people dans leur fuite du régime communiste vietnamien, qui se noyaient dans la mer de Chine (Sartre et Aron furent reçu à l’Élysée par Valéry Giscard d’Estaing le 26 juin 1979). Cela donne une petite idée de ce qu’aurait été leur réaction à l’arrivée des réfugiés syriens en 2015



Dans "Le Nouvel Observateur" du 18 juillet 1991, Olivier Todd faisait état des souvenirs de Valéry Giscard d’Estaing sur cette réception de Sartre et Aron (il aurait voulu que Michel Foucault les accompagnât et refusa la présence de Simone Signoret et Yves Montand), et, sévère avec VGE qui n’aurait pas lu ou compris ni Sartre ni Aron, il en profita pour décrire Raymond Aron : « Spectateur engagé, sceptique, sans cynisme, solitaire ou populaire dans l’intelligentsia, Aron considérait que le pouvoir était une réalité. Il écrivait, confiait-il, surtout pour les hommes d’État. À l’évidence, l’un d’eux, Valéry Giscard d’Estaing, lut à peine et mal quelques articles d’Aron dans "Le Figaro" et "L’Express". ».

Restons avec Valéry Giscard d’Estaing : Raymond Aron n’a jamais entretenu de bonnes relations avec les dirigeants politiques, même "de droite". Parce qu’il était avant tout un intellectuel, il pouvait reprendre à son compte la belle devise des Lorrains : "Qui s’y frotte s’y pique" (Non inultus premor) : « Finalement, je me suis brouillé avec tous les chefs d’État de la IVe et de la Ve République, à part Giscard d’Estaing. ». Et encore, Valéry Giscard d’Estaing, il a été très étonné lors de ses visites à l’Élysée, que ce fût le 1er juillet 1975 ou le 26 juin 1979, de l’étendue de l’ignorance présidentielle sur de très nombreux sujets essentiels, ce qui faisait dire à Raymond Aron en 1979, il y a presque quarante ans : « Les hommes politiques d’aujourd’hui n’ont pas le sens du tragique. ». Ce qui est à noter, c’est qu’on pourrait dire la même chose de nos jours (comme ici), sauf qu’on se laisserait convaincre par l’idée qu’il y a quarante ans, justement, les personnalités politiques auraient eu le sens du tragique ! En fait, je crains qu’elles ne l’aient jamais eu parce qu’elles ont toujours été trop dépendantes du court terme.

Jean d’Ormesson, qui connaissait bien Raymond Aron pour avoir longtemps travaillé ensemble au journal "Le Figaro", remarqua ainsi l’intellectuel : « Aron aurait refusé un ministère si on lui en avait proposé un. Mais il n’a pas eu, au contraire de Chateaubriand, la chance qu’on lui propose un ministère à refuser. ». La comparaison avec Chateaubriand est élogieuse. Du reste, Jean d’Ormesson lui-même aurait refusé d’être Ministre de la Culture dans les années 1980. Cité par l’article de Wikiliberal sur Raymond Aron, Jean d’Ormesson a regretté la trop grande distance d’Aron avec la politique, lui qui connaissait si bien l’économie, les relations internationales, etc. : « Aron s’étonnait volontiers de n’avoir pas été le Kissinger français. (…) J’aurais été De Gaulle, Pompidou ou Giscard, j’aurais choisi Aron comme conseiller du Prince. ».

Parmi l’un des thèmes d’étude parmi les approfondis de Raymond Aron, il y a les totalitarismes. Dans "Démocratie et Totalitarisme", publié en 1965 chez Gallimard, reprenant ses cours à la Sorbonne en 1957-1958 avec une actualisation en raison du retour de De Gaulle au pouvoir. Aron a tenté de donner les critères d’un régime totalitaire : un État dirigé par un parti unique, associé à une idéologie qui devient vérité absolue, contrôlant la totalité des moyens de forces (armée, police) et de persuasion (presse, radio, télévision, on pourrait rajouter Internet), contrôlant également les activités économiques : « Tout étant désormais activité d’État et toute activité étant soumise à l’idéologie, une faute commise dans une activité économique ou professionnelle est simultanément une faute idéologique. D’où, au point d’arrivée, une politisation, une transfiguration idéologique de toutes les fautes possibles des individus et, en conclusion, une terreur à la fois policière et idéologique. » (1965).

Je propose ici quelques minutes de présentation par lui-même de son livre "Plaidoyer pour l’Europe décadente" dans l’émission télévisée "Midi première" présentée par Danièle Gilbert le 10 mars 1977 sur TF1.



Le libéralisme de Raymond Aron était très tempéré. Frédéric Mas, docteur en philosophie politique de la Sorbonne, a expliqué dans "Contrepoints", le 17 octobre 2013 : « Aron est le témoin du naufrage d’un certain progressisme libéral qui a misé sur l’extension du doux commerce au monde et la disparition progressive des guerres au profit d’une gouvernance universelle professée par la Société des Nations. Le tout a volé en éclats avec les deux guerres mondiales, la montée en puissance du nazisme et la constitution d’un bloc soviétique puissant, dont la propagande a été largement relayée en Occident. ». Et a résumé ainsi : « Raymond Aron pensait le libéralisme en cherchant constamment l’équilibre entre principes éthiques et réalisme politique. ».

Dans "La Croix", Jean-Vincent Holeindre, professeur de sciences politiques à l’Université de Poitiers, a décrit, le 22 juin 2017 à la journaliste Béatrice Bouniol, la subtilité de l’intellectuel intègre qu’était Raymond Aron : « L’héritage d’Aron, c’est de montrer que les problèmes politiques sont complexes, que le décideur politique ne choisit pas entre le bien ou le mal, mais entre le préférable et le détestable. Dans ses écrits, il rend justice à toutes les positions, envisage différents scénarios, afin d’adopter la moins mauvaise position au terme de l’analyse. Il combine la méthode du savant, rigoureux et probe, et celle du "spectateur engagé", qui prend position dans le débat public. (…) Aron s’est aussi efforcé de mettre en évidence une double logique : les dirigeants agissent pour de bonnes raisons mais ils sont également animés par des passions qui compliquent l’action politique "rationnelle". ».



Jean-Vincent Holeindre a, lui aussi, défini le libéralisme de Raymond Aron : « Le libéralisme selon Aron, c’est cet équilibre entre la liberté individuelle, nécessaire notamment sur le plan économique, et la responsabilité politique du citoyen. (…) À la différence du néolibéral Friedrich Hayek, il croit dans les vertus régulatrices de l’État et à la primauté du politique. (…) Aujourd’hui, c’est un enjeu politique majeur : dans la mondialisation, l’État peut-il encore exister ? » (22 juin 2017).

Cela serait en effet intéressant d’imaginer la pensée de Raymond Aron aujourd’hui, car le monde est complètement bouleversé depuis sa disparition, d’abord avec la chute du communisme qui fait que les rares militants attachés encore au communisme font plus figures d’espèces en voie de disparition que prédateurs menaçants les libertés individuelles, mais ensuite, avec la montée concomitante des islamismes radicaux et des extrémismes qui s’en nourrissent, le tout dans une évolution technologique (informatique, génétique, etc.) qui a complètement modifié les rapports sociaux, économiques et environnementaux, et en particulier en termes d’échelle, puisque tout se passe désormais au niveau mondial. Mais ne le faisons pas parler, il n’y a rien de pire que de faire parler un mort. De Gaulle en sait quelque chose depuis presque quarante-huit ans…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 octobre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Raymond Aron.
René Rémond.
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Hannah Arendt et la doxa.
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