Réenchanter le pragmatisme
par jlhuss
jeudi 25 octobre 2012
Les socialistes en France -dignitaires, militants et sympathisants confondus- sont essentiellement vénérables. Très longtemps ils l’ont proclamé d’eux-mêmes sans fausse pudeur, relayés par la plupart des porte-voix de la presse et des instances culturelles. Ca finit par aller sans le dire, on ne ressasse pas plus les évidences morales que les vérités anatomiques : à gauche le coeur, la générosité, la justice, le progrès social ; à droite la dureté, la cupidité, l’esprit de caste, le cynisme. Amen.
Il conviendrait donc encore (pour combien de temps ?) de qualifier un socialiste comme on qualifiait Dieu au temps lointain de mon catéchisme : « infiniment bon, infiniment aimable et le péché lui déplaît ». Mais plutôt que de pourchasser le péché dans son ensemble, (gare à l’ordre moral), les socialistes ne prétendent traquer que l’un des sept fameux capitaux : l’avarice, entendez l’argent, le fric, le profit, le… capital. Jésus dit dans l’Evangile : « Heureux les pauvres, car ils verront Dieu » ; le socialiste français, en campagne électorale, préfère dire : « Maudits les riches, et ils vont voir de quel bois on se chauffe ». Pour autant ne vous croyez pas autorisés à demander combien gagnent ces vénérables, où ils habitent, où ils mangent, qui les vêt, dans quoi ils roulent etc. toutes questions plus inappropriées que le tripotage d’une femme de service dans une chambre d’hôtel. Ces transfuges laïcisés des sacristies de nos bons Pères ont gardé du catholicisme le mélange d’horreur et de fascination pour l’argent qui fit le charme ambigu des curés de l’Ancien régime : on tonne en chaire contre le veau d’or, mais on va prendre le thé chez Monsieur le Comte. Tant va la promesse à l’urne, qu’à la fin on est élu. Voici donc au pouvoir ces pourfendeurs de financiers, ces scalpeurs de patrons, ces messies assurant qu’ils vont multiplier pour le peuple en liesse les petits pains et les poissons. Le changement c’est maintenant : en effet c’est maintenant que ça change, quand, après avoir « réenchanté le rêve » en distribuant trois sucettes au frais de la princesse, il faut se coltiner le réel et sa gueule de carême. Souhaitons vraiment pour le pays qu’ils y parviennent. Et la droite serait bienvenue de ne pas jubiler dès que ça tangue. On ne reproche pas aux socialistes d’être au pouvoir, c’est légitime. On ne leur reproche pas de tâtonner au début, c’est naturel et ça s’est vu à droite. On ne leur reproche même pas d’accabler encore le prédécesseur après l’avoir honni-moqué pendant cinq ans, c’est hélas de bonne guerre. On leur reproche d’abord la posture noble, le m’as-tu-comme-je-suis-progressiste, la tartufferie ou pire peut-être : la sincère certitude de détenir les clés du bel et du bon, du juste et du doux dans un monde de brutes. Ils vont voir bientôt, comme il y a trente ans, que la réalité se rit des jeux de rôles et des catéchismes. A l’épreuve des faits, les socialistes français -divine surprise- vont-ils enfin, apprenant le doute et la modestie, « réenchanter le pragmatisme » ?