Réforme des institutions : le yoyo de Sisyphe

par Sylvain Rakotoarison
mercredi 9 juillet 2008

Auberge espagnole, vaudeville institutionnel… Le texte de la réforme constitutionnelle poursuit son petit tour de cirque. Pas de quoi rire : il s’agit des fondements même de notre démocratie.

Le Sénat a voté le 24 juin 2008 en première lecture le projet de loi constitutionnelle de réforme des institutions voulue par le gouvernement et voté le 3 juin 2008 en première lecture par l’Assemblée nationale. Du 8 au 10 juillet 2008, l’Assemblée nationale reprend donc la discussion pour une seconde lecture, le texte voté par le Sénat étant différent de celui de l’Assemblée nationale (pour connaître les différences, voir le prochain article).


Tout et n’importe quoi

C’est peu dire que le texte est passé sous les fourches caudines au Sénat qui a transformé le projet voté par les députés… ou du moins, ont remis ce que les députés avaient retiré du projet gouvernemental, ou rajouté quelques améliorations sémantiques.

Cette réforme des institutions est un véritable calvaire pour la Ve République. Chaque institution (Comité Balladur arbitrairement nommé par Nicolas Sarkozy, puis gouvernement, puis Assemblée nationale, puis Sénat) y est allée de son petit caprice à faire de ce texte une véritable auberge espagnole où se côtoient insignifiantes modifications de ponctuation et profonds bouleversements dans la tradition républicaine. La discussion au Sénat, c’est un peu un jeu de yoyo. Il revient à sa position initiale, celle voulue par le gouvernement après quelques défiances votées par les députés. Le balancement du yoyo va recommencer avec la discussion en seconde lecture actuellement à l’Assemblée nationale.


Aucun geste envers les contradicteurs

La majorité UMP du Sénat n’a pas été très futée, car loin de rechercher l’appui des parlementaires socialistes, indispensable à la ratification de la réforme par le Congrès à Versailles (prévu pour le 21 juillet 2008 si le Sénat a le temps de voter le même texte que l’Assemblée nationale d’ici là, la discussion recommencera le 15 juillet 2008), elle se l’est mise à dos en refusant toute discussion sur le mode de scrutin des élections sénatoriales et sur la prise en compte du temps de parole du président de la République.

C’est donc clair qu’au-delà de l’effet yoyo, c’est bien de Sisyphe qu’il s’agit, puisque le projet a toutes les probabilités de ne pas aboutir. Pourtant, le gouvernement et la majorité parlementaire y croient encore, oubliant l’absence totale d’écoute et leur rejet pur et simple des propositions de l’opposition.


Mauvaise méthode et mauvaise foi

Président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, Jean-François Copé a fait appel à la « nouvelle génération socialiste » avec une abasourdissante mauvaise foi en affirmant que « cette révision constitutionnelle proposée par le président de la République, qui vise à renforcer le pouvoir du Parlement, il n’y a aucune raison objective pour la refuser », en insistant : «  Il n’y a aucun argument objectif, que l’on soit à droite, que l’on soit à gauche, autre que les considérations politiciennes. ».



Jean-François Copé a même eu l’audace de poser le débat auprès des nouveaux députés socialistes ainsi : « Je pense qu’ils ont à travers ce vote constitutionnel un rendez-vous avec leur propre émancipation politique. ».

Hélas, les arguments politiciens sont encore bien inutiles pour juger avec sévérité cette réforme faite de bric et de broc, incapable de clarté, énonçant mille et une modifications qui font regretter le texte bref et simple du "quinquennat sec" voulu par Jacques Chirac, facile à expliquer, pour savoir si on est pour ou contre.

Avec la réforme constitutionnelle actuelle, on est en face d’une véritable hypocrisie du pouvoir actuel : placé sous le signe d’un pseudo-renforcement des pouvoirs du Parlement (les avancées sont bien maigres et le suivisme des parlementaires reste une affaire de personnes et pas de procédures), le projet réforme profondément la place du président de la République dans le débat politique.


En route vers l’ultraprésidentialisation

Loin de parlementariser, cette réforme présidentialise un régime déjà fortement basé sur la personne du président de la République.

Car la seule vraie réforme pour rendre l’indépendance aux parlementaires, c’est de retirer le lien d’allégeance entre les députés de la majorité parlementaire et le parti de la majorité présidentielle. Ce lien s’est considérablement renforcé en organisant désormais régulièrement l’élection des députés quelques semaines après l’élection du président de la République.

Et il y a fort à parier que même une personnalité de gauche éventuellement élue à l’Élysée (probabilité encore très faible dans l’état actuel du PS) n’aurait aucun intérêt à s’empêcher de bénéficier d’une majorité de députés à sa dévotion.

Cette réforme ne fait donc qu’accentuer la présidentialisation actée par l’adoption et la pratique du quinquennat imposé par Jacques Chirac et Lionel Jospin au cours d’un référendum déserté par les citoyens même les plus motivés.


Que l’opposition serve un peu à quelque chose !

Les socialistes ont donc un bon moyen de refuser ce diktat, puisqu’ils constituent l’une des pièces maîtresses de l’adoption de cette réforme.

On n’en voudra pas aux parlementaires de la majorité présidentielle de ne pas aller jusqu’au bout de leurs convictions, puisque des mesures de coercition peuvent exister à leur encontre (investiture et financement de leur prochaine réélection).

Mais les parlementaires de l’opposition, s’ils tombaient dans le panneau de l’intérêt national (« Dites-vous bien que quand un mauvais coup se mijote, il y a toujours une République à sauver », disait sous la plume de Michel Audiart le vieil homme d’État (Émile Beaufort) incarné par Jean Gabin dans l’excellent film Le Président d’Henri Verneuil), on ne pourrait que leur en vouloir.

À eux, en effet, de prendre leurs responsabilités.


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Sylvain Rakotoarison (9 juillet 2008)


Pour aller plus loin :

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