Réforme des institutions votée par le Sénat (2/3) : sur le Législatif

par Sylvain Rakotoarison
lundi 14 juillet 2008

Après l’Assemblée Nationale le 3 juin 2008, le Sénat a adopté un texte modifié de la réforme des institutions le 24 juin 2008. Retour sur les différences concernant le pouvoir législatif.

Suite de l’article précédent (1/3).

III. Dispositions concernant le pouvoir législatif

III.1. Les reculs du Sénat

ai. Les sénateurs ont retiré le principe que le Sénat doit tenir compte de la population des collectivités territoriales de la République qu’il représente. Contrairement à la volonté initiale du Gouvernement. C’est la traduction claire des sénateurs de refuser d’être élus avec une plus grande composante de la population (les ruraux étant actuellement surreprésentés au détriment des urbains). Sans doute la raison majeure qui fera voter la gauche contre ce projet de loi constitutionnelle.

aj. Une grande reculade dans une meilleure transparence des travaux parlementaires, c’est la suppression du principe des auditions publiques procédées par les commissions parlementaires, rajouté par les députés. Rendre a priori publiques les auditions (sauf nécessité motivée), c’était donner aux commissions parlementaires un rôle plus solide face au Gouvernement (s’il s’agit d’auditions de membres du Gouvernement).

ak. Il est regrettable que les sénateurs aient supprimé la disposition qui permettait de faire étudier une proposition de loi (émanant des parlementaires) par le Conseil d’État (aujourd’hui, seuls les projets de loi, d’initiative gouvernementale donc, sont soumis pour avis au Conseil d’État). Cela aurait professionnalisé l’apport des parlementaires (exemple : l’amendement Mariani pour la loi Hortefeux sur les tests ADN, ‘retoqué’ par le Conseil Constitutionnels).

al. Autre reculade faite par les sénateurs, la suppression de la disposition, pourtant admise par le Gouvernement et approuvée par les députés en première lecture, selon laquelle non seulement le Gouvernement mais le Président d’une assemblée pourrait opposer l’irrecevabilité d’une proposition de loi ou d’un amendement. Cela aurait donné un pouvoir plus important aux assemblées qu’il aurait fallu même étendre aux projets de loi.

am. Quant à l’ordre du jour des assemblées, le Sénat fait un amer retour en arrière : il supprime tout bonnement la semaine de séance sur quatre réservée au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des comptes publics. Par ailleurs, les sénateurs réservent deux semaines de séance sur trois à l’examen des textes voulus par le Gouvernement (au lieu de deux semaines sur quatre pour le texte voté par les députés).

an. Sur les pseudo-droits de l’opposition : toujours en oubliant le principe de l’égalité des parlementaires face aux citoyens (n’ayant pas de mandat impératif) comme l’avaient aussi oublié Gouvernement et députés, les sénateurs modifient la définition des groupes pour justifier une différence de traitement. Ainsi, le nouveau texte « reconnaît des droits spécifiques aux groupes d’opposition de l’assemblée intéressée ainsi qu’aux groupes minoritaires. ». Le règlement de chaque assemblée devrait ainsi en tenir compte. Ce qui est, comme je l’avais déjà écrit précédemment, stupide car un groupe peut refuser l’alternative majorité/opposition, ne votant les textes que par rapport à sa propre vision des choses. Un groupe peut aussi changer et passer de la majorité à l’opposition ou inversement. Enfin, un groupe peut être minoritaire mais soutenir la majorité, alors quel est l’intérêt de lui donner des droits spécifiques ?

ao. Le Sénat a supprimé le recours devant la Cour de justice de l’Union Européenne d’une assemblée à la demande de soixante députés ou de soixante sénateurs contre un acte législatif européen qui violerait le principe de subsidiarité. Cette suppression est très dommage car cela enlève aux parlementaires français toute possibilité de contester la compétence européenne pour des sujets qui pourraient être traités à l’échelle nationale.

III.2. Les avancées du Sénat

ap. La rédaction des missions du Parlement a aussi été améliorée par les sénateurs. Désormais, « Le Parlement vote la loi. Il en mesure les effets. Il contrôle l’action du Gouvernement et évalue les politiques publiques. ». Dans le texte des députés, le Parlement ne faisait que concourir à évaluer les politiques publiques, ce qui implicitement aurait donné à la Cour des Comptes un pouvoir qui n’aurait pas eu de légitimité populaire.

aq. Par ailleurs, la limitation du nombre de parlementaires n’est plus portée sur les seuls députés (577 maxi) mais aussi sur les sénateurs (348 maxi), ce qui permet d’arrêter l’inflation du nombre de sénateurs ces dernières années (passant actuellement de 331 en 2008 à 348 en 2011). Une mesure saine (les assemblées pléthoriques ont toujours été impuissantes), mais qui rendrait plus ardue toute modification ultérieure de mode de scrutin pour les élections sénatoriales.


ar. Et justement, concernant la commission indépendante qui s’occuperait du redécoupage électoral, le Sénat a rectifié une erreur de rédaction de l’Assemblée Nationale qui évoquait des textes « délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés et des sénateurs ou répartissant les sièges entre elles », ce qui n’était pas très adapté aux sénateurs qui, eux, dans tous les cas, sont élus dans le cadre du département, que ce soit à la proportionnelle ou au scrutin majoritaire. Les sénateurs ont ainsi corrigé en parlant des textes « délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs ». Ce qui exclut donc de pouvoir faire élire, comme certains le proposent par exemple, les sénateurs dans le cadre d’une proportionnelle à l’échelon national (façon ancien mode de scrutin pour les élections européennes avant 2000).

as. Une grande avancée des sénateurs, c’est le retrait d’un amendement voulu par les députés et qui introduisait le principe odieux de rétroactivité de la loi. En effet, les sénateurs ont supprimé cette phrase : « Sauf motif déterminant d’intérêt général, la loi ne dispose que pour l’avenir. ». On imagine aisément que cette disposition avait pour but de rendre rétroactive la loi sur la rétention de sûreté, une loi que les sénateurs avaient moins appréciée que les députés, d’ailleurs.

at. Les sénateurs ont rajouté dans les compétences de la loi toutes les mesures fiscales et de cotisations sociales.

au. Le Sénat reprend la possibilité aux parlementaires de voter des résolutions qui avait été supprimée du projet initial par les députés. Il impose une loi organique pour cette disposition (le Gouvernement prévoyait seulement le règlement intérieur) et rajoute même une réserve favorable au Gouvernement : « Sont irrecevables les propositions de résolution mettant en cause, directement ou indirectement, la responsabilité du Gouvernement. ».

av. Le Sénat a rallongé le délai entre le dépôt et la discussion en séance d’un projet ou proposition de loi à huit semaines pour la première assemblée saisie, puis à cinq semaines pour la seconde assemblée (à compter de sa transmission). Les délais adoptés par l’Assemblée Nationale étaient respectivement de six et trois semaines et les délais présentés par le Gouvernement respectivement d’un mois et de quinze jours ! L’augmentation du délai permettrait une meilleure étude des projets et propositions de loi par le législateur, des auditions supplémentaires des personnalités qualifiées, et un meilleur recul face à des événements circonstanciels (enlèvement d’enfant, affaire Sébire etc.). Cela va évidemment à l’encontre de cette mode d’accélérer les réformes et de faire des lois tout azimut.

aw. Autre point positif rajouté par le Sénat, la constitution de commissions parlementaires spéciales pour étudier un projet ou proposition de loi, à la demande du Gouvernement ou de l’assemblée saisie. Au-delà des huit commissions permanentes (six actuellement), chaque assemblée se voit donc grossir sa boîte à outils pour étudier les textes. Ces commissions devraient remplacer ces commissions ad hoc nommées arbitrairement par le Président de la République depuis un an (Comité Balladur, Commission Attali etc.).

ax. Belle amélioration par rapport au texte précédent, les sénateurs ont replacé le droit d’amendement dans la seule compétence du règlement de chaque assemblée alors que le Gouvernement et les députés voulaient qu’il soit du ressort d’une loi organique (donc, il y avait un risque de limiter gravement le droit d’amendement par le Gouvernement). La nouvelle phrase stipule donc : « Ce droit s’exerce en séance ou en commission. Le règlement de chaque assemblée fixe les conditions dans lesquelles s’exerce le droit d’amendement de ses membres. » au lieu de : « Ce droit s’exerce en séance ou en commission selon les conditions et limites fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminée par une loi organique. ».

ay. Provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire réunissant députés et sénateurs en cas de désaccord entre les deux assemblées (en seconde lecture, ou en première lecture en cas d’urgence déclarée), ce n’était possible jusqu’à maintenant que par le Premier Ministre. Les députés ont permis que cela le soit aussi possible par le Président de l’assemblée dont émane le texte et les sénateurs ont généralisé en le permettant aux deux « présidents des deux assemblées agissant conjointement » (et par ailleurs, les sénateurs corrigent en accordant le verbe ‘avoir’ au pluriel maintenant que le sujet est au pluriel, chose oubliée par les députés, ce qui aurait apporté à notre Constitution des fautes de grammaire impardonnables !).

az. Sur l’ordre du jour des assemblées, plutôt malmené par les sénateurs, un point cependant positif. Même contre la volonté du Gouvernement, une assemblée délibèrerait sur une proposition votée par l’autre assemblée dans les six mois (le texte de députés parlait d’un délai de six semaines mais avec l’aval du Gouvernement, l’alinéa des sénateurs renforce donc le rôle des assemblées sur ce point).

ba. Dans l’article 54 de la Constitution qui parle de la saisine du Conseil Constitutionnel sur un engagement international qui comporterait une clause anticonstitutionnelle, la révision du 25 juin 1992 permettait à soixante députés ou à soixante sénateurs de saisir parallèlement au Président de la République et au Premier Ministre, les sénateurs ont souhaité également qu’un groupe parlementaire puisse seul saisir pour cette raison le Conseil Constitutionnel. En clair, comme quinze parlementaires de la même assemblée suffisent à constituer un groupe, cela signifie en pratique que le seuil de soixante est abaissé à quinze (voire à huit, puisqu’un groupe peut s’exprimer dans sa majorité et pas à l’unanimité).

bb.
Dans le même ordre idée, la saisine du Conseil Constitutionnelle pour une loi ordinaire, possible par le Président de la République, le Premier Ministre, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs (ces deux dernières possibilités sont issues de la révision du 29 octobre 1974 voulue par Valéry Giscard d’Estaing, donnant au Conseil Constitutionnel le rôle de dernier rempart contre une loi), serait selon les sénateurs également possible par un seul groupe parlementaire.

bc. Les sénateurs permettent au Parlement de consulter le Conseil Économique et Social (et bientôt Environnemental).

bd. Le Sénat modifie l’appellation de la commission spéciale chargée des affaires européennes pour chaque assemblée en « comité chargé des affaires européennes ». Ainsi, cela lève toute ambiguïté pour savoir si cette commission faisait ou pas partie des huit commissions permanentes (la réponse est donc non).

be. Pour l’entrée en vigueur des principales dispositions du texte, le Sénat a repoussé du 1er janvier au 1er mars 2009, ce qui évite la précipitation.


Suite dans l’article suivant (3/3).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 juillet 2008)


Pour aller plus loin :

Constitution du 4 octobre 1958.

Texte adopté au Conseil des Ministres du 23 avril 2008.

Texte adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale le 3 juin 2008.

Rapport n°387 de Jean-Jacques Hyest du 11 juin 2008.

Avis n°388 de Josselin de Rohan du 11 juin 2008.

Texte adopté en première lecture par le Sénat le 24 juin 2008.

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