Réforme des retraites : cotiser plus pour gagner moins...

par Albert Ricchi
lundi 9 juin 2008

La nouvelle réforme des retraites est présentée par le ministre du Travail Xavier Bertrand et la plupart des médias comme une réforme indispensable, une mesure de « bon sens », au même titre que les autres réformes engagées par le président de la République.

 

Mais si les membres du gouvernement ont toujours le mot « réforme » à la bouche, le contenu précis de chaque mesure est plus rarement abordé. Et aujourd’hui, Xavier Bertrand, tel un bon élève obéissant à son maître d’école, Nicolas Sarkozy, ne fait que proposer ce qui était déjà prévu par la réforme Fillon de 2003 : porter le nombre d’annuités pour une retraite à taux plein à 41 ans, voire 42 ans à l’horizon 2020. 

Une mesure partielle et comptable, destinée avant tout à contenir le déficit de la branche vieillesse du régime général de la Sécurité sociale, mais qui ne règle en rien les problèmes de financement…

Face au vieillissement de la population, les enjeux sont aujourd’hui majeurs en termes de retraite, mais aussi d’assurance maladie, de dépendance et de famille. Le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans passera en effet de 13,5 millions à 22,5 millions à l’horizon 2050, soit une augmentation de près de 80 %, selon les projections de l’Insee.

Si le gouvernement de François Fillon propose une nouvelle réforme des retraites (la troisième, concoctée par l’UMP depuis 1993, pour le seul Régime général…), la cohérence voudrait qu’on aborde clairement le problème du mode de financement du Régime général, mais aussi celui des autres régimes (agricole, artisans, commerçants, fonctionnaires, régimes spéciaux, etc.) et d’une manière générale de l’ensemble des risques de la Protection sociale.

Car, contrairement à une idée répandue, les besoins en financement nouveau pour faire face au vieillissement de la population ne sont pas aussi importants qu’on ne le croit et restent assez faciles à trouver. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a même calculé que le coût du maintien à 40 ans de la durée d’assurance serait de 4,1 milliards en 2020. Quant aux salariés du seul secteur privé, le retour à la durée moyenne réelle de 37,5 annuités de cotisation ne représenterait que 0,3 point du PIB annuel en 2040 !

Allonger les cotisations, c’est de fait baisser les pensions


Avant 1993, la retraite initialement perçue (régime de base + régime complémentaire) représentait environ 78 % du dernier salaire. Cela correspondait, en fonction de la structure différente des dépenses selon les âges, à la parité de niveau de vie entre salariés en activité et retraités.

A l’été 1993, la réforme « Balladur », qui était passée complètement inaperçue des organisations syndicales, a modifié profondément le mode de calcul de la retraite :

- le salaire annuel moyen (SAM), calculé initialement sur les 10 meilleures années de salaire, est déterminé maintenant sur les 25 meilleures, le passage des 10 meilleures années aux 25 meilleures s’étant déroulé progressivement de 1993 à 2008 ;

- l’indexation automatique des pensions qui était calculée à partir de l’indice d’augmentation du salaire moyen, est basée maintenant sur l’indice des prix datant de 1946 et ne reflétant pas la réalité de l’évolution des prix. Cela entraîne chaque année une dévalorisation du montant des pensions, déjà amputées par ailleurs de la CSG et de la CRDS.

Cela entraîne aussi une érosion des reports au compte de l’assuré social avant même la liquidation de la pension. Ainsi, pour un salarié de la génération 1948 (calcul du SAM sur les 25 meilleures années), ayant eu une carrière complète au plafond de la Sécurité sociale, et qui liquide ses droits en 2008, la retraite annuelle brute est de 14 312, soit 43 % du plafond de 2008 au lieu des 50 %. Selon la CNAV, faire évoluer l’indice de revalorisation des salaires au même rythme que le plafond permettrait d’atteindre à terme un niveau de retraite de 50 % du plafond pour les assurés ayant 25 meilleures années de salaire à ce niveau.

Puis la loi « Fillon » du 21 août 2003, avalisée par trois organisations syndicales faisant preuve pour le moins d’une grande naïveté politique (CFDT, CFTC et CFE-CGC), a aggravé encore la situation :

- allongement progressif à 41 ans en 2012 (si nécessaire 42 ans en 2020) de la durée d’assurance pour obtenir une pension à taux plein de 50 % avant 65 ans ;

- réduction progressive à 5 % par année manquante d’ici 2013 de la décote en cas de liquidation avant 65 ans sans réunir les conditions du taux plein.

En théorie, le montant des retraites est censé ne pas diminuer si les salariés peuvent travailler jusqu’à la date où ils auront le nombre de trimestres nécessaires au versement d’une retraite à taux plein. Mais, en pratique, la réalité sociale est bien différente car la durée moyenne d’une carrière d’un salarié du secteur privé n’excède pas 37 années.

Au cours des dernières années avant la retraite, de nombreux salariés sont en effet au chômage, en préretraite ou en invalidité et n’arrivent pas dans leur grande majorité à atteindre 40 annuités de carrière réelle, soit 160 trimestres. Cette situation sera pire si la durée de cotisation nécessaire, pour obtenir une pension à taux plein, dépasse les 40 années de versement. Au lieu d’être maintenu et protégé, le niveau des pensions baissera alors dans des proportions considérables entre 2010 et 2040.

Avec ces trois réformes 1993, 2003, 2008, toutes à l’instigation de l’UMP et celle des régimes complémentaires ARRCO et AGIRC de 1995 et 1996, le COR a prévu une baisse de 14 points du taux de remplacement du salaire net par la retraite nette entre 2000 et 2030, soit une diminution de 78 % à 64 % (43 % pour le régime de base et 21 % pour le régime complémentaire en moyenne).

Modifier l’assiette des cotisations et instituer un financement complémentaire pérenne

D’une manière générale, afin d’assurer le financement de la branche vieillesse du Régime général, il conviendrait d’élargir l’assiette des cotisations et de cesser d’augmenter ou d’empiler des cotisations (maladie, vieillesse, allocations familiales, accidents du travail, etc.) ou des contributions comme la CSG (contribution sociale généralisée) ou la CRDS (contribution au remboursement de la dette sociale)…

 

 

Car si le financement par le biais de cotisations sur salaires a relativement bien fonctionné pendant les « Trente Glorieuses », il semble avoir atteint aujourd’hui ses limites car la part des salaires dans la richesse produite chaque année a baissé de 10 % en trente ans !

En ce qui concerne les cotisations des salariés (6,5 % pour le seul risque vieillesse du Régime général), il conviendrait de fixer un taux unique pour l’ensemble des régimes de Sécurité sociale et de déterminer une assiette commune (revenu fiscal plutôt que base salaire). Certaines professions indépendantes cotisent déjà sur le revenu réel tel qu’il est déclaré à l’administration fiscale. Et à cotisation égale, un point de cotisation assis sur le revenu fiscal rapporte beaucoup plus qu’un point basé sur le seul salaire.

Pour les entreprises, le taux de cotisation vieillesse de 8,30 % qui s’applique sur les seuls salaires est également contestable. Les sociétés de main-d’œuvre notamment, ayant une forte masse salariale, mais une faible valeur ajoutée, sont pénalisées par rapport à celles ayant une faible masse salariale et une haute valeur ajoutée. Les cotisations patronales pourraient donc être remplacées par une sorte de super CSG entreprise basée sur la valeur ajoutée et couvrant tous les risques de Sécurité sociale. Cette contribution existe déjà en germe dans l’actuelle contribution sociale de solidarité sur les sociétés (C3S), mais avec un taux très faible. Il suffirait simplement de substituer aux cotisations patronales sur salaires une C3S dont le taux serait fortement augmenté.

Aux cotisations patronale et salariale, devrait s’ajouter un troisième financement défini de façon claire et non fluctuant dans le temps au gré des majorités parlementaires.

Ce financement complémentaire, qui s’apparenterait en quelque sorte au fonds de réserve des retraites (FRR), pourrait être alimenté par l’impôt progressif républicain et l’impôt sur les sociétés plutôt que par la fiscalité indirecte, chère à Nicolas Sarkozy (nouvelles franchises médicales au 1er janvier 2008, TVA sociale à l’étude, etc.) qui aggrave considérablement les inégalités sociales.

Un tel financement mixte (cotisations + solidarité nationale) existe déjà dans de nombreux pays et même en France pour les régimes spéciaux de retraite, notamment ceux des gaziers, cheminots, agents de la RATP, financés de façon complémentaire par des subventions de l’Etat.

Par ailleurs, plusieurs mesures pourraient être prises pour conforter le financement de toutes les branches de Sécurité sociale :

- l’annulation de l’exonération des grosses successions, consentie aux personnes les plus fortunées par Nicolas Sarkozy en 2007, représenterait à elle seule près de 2 milliards € d’abondement chaque année sans compter les sommes colossales qui pourraient être récupérées avec une réforme sérieuse des niches fiscales en faveur des plus favorisés ! ;

- la fin des exonérations de charges accordées indistinctement à toutes les entreprises, celles dont la santé est florissante et qui délocalisent souvent comme celles qui ont des difficultés sérieuses (volume de 30 milliards annuels €) ;

- le paiement immédiat et le versement au budget de la Sécurité sociale de la dette de l’Etat, liée aux exonérations de charges, concernant le régime général ou le régime agricole notamment (plus de 3 milliards € non remboursés par l’Etat) ;

- l’assujettissement des stocks-options ainsi que des indemnités de départ à la retraite ou de licenciement, qui sont des revenus liés au travail, dans les mêmes conditions que les salaires soumis à cotisations (plus de 3 milliards €) ;

- le remboursement par les employeurs des pathologies en rapport avec le travail : cancers professionnels, allergies, stress, troubles musculo-squelettiques et même suicides car cela constitue en fait une formidable subvention de l’Assurance maladie aux entreprises…

Un autre système permettrait donc aisément de résorber le soi-disant déficit de la Sécurité sociale, largement provoqué par le manque de financement que les gouvernements successifs, depuis de très nombreuses années, ont laissé perdurer au gré des aléas de la conjoncture économique. Il permettrait également de payer des retraites minimales décentes qui ne devraient pas être inférieures au Smic. Il serait même possible de revenir à une retraite calculée sur les dix meilleures années comme cela existait avant la réforme Balladur de 1993 et de mettre fin au scandale des cotisations instituées sur les retraites (CSG imposable, CSG non imposable, CRDS).

Mais, une telle réforme est avant tout un choix de société, encore faut-il en avoir la volonté politique ! Après avoir accordé un cadeau fiscal de plusieurs milliards d’euros aux personnes les plus aisées dans le cadre de la loi TEPA en 2007 (cadeau qui sera reconduit chaque année…) Nicolas Sarkozy et sa majorité présidentielle UMP-Nouveau Centre sont à des années-lumière d’un changement d’assiette des cotisations et d’un recours à la solidarité nationale par la fiscalité directe.

A défaut d’une véritable réforme, les salariés devront travailler plus longtemps, et si ce n’est pas suffisant, les cotisations sur salaires seront augmentées, le montant des pensions diminuant déjà de façon régulière depuis la réforme Balladur de 1993. Anticipation sans doute des prochaines mesures gouvernementales, de nombreux salariés ne se font plus guère d’illusion sur les effets de cette nouvelle réforme et ont tendance à partir à la retraite dès qu’ils le peuvent par crainte d’un durcissement à venir de la législation de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) après la fin 2008…


(Photo Stockvault, licence Creative Commons)

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