Régimes spéciaux de retraites : une question de courage, de modernité et de justice
par stephane rossard
lundi 18 septembre 2006
C’est le type même de sujet soigneusement éludé depuis trente ans par la classe politique consciente que c’est l’étincelle qui peut créer une explosion sociale. Un sujet donc plutôt à détruire une ambition politique qu’à la servir. Néanmoins, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal plus timidement, viennent de franchir le Rubicon en l’évoquant. Ce sujet, véritable dynamite entre les mains de celui qui s’y attaque, c’est celui des régimes spéciaux de retraite. Or, en la matière, il y a urgence, car ces régimes sont anachroniques, contraires aux notions de justice et d’égalité, si chères à la France.
Le coup de semonce est venu, sans prévenir, du côté de François Fillon, proche de Nicolas Sarkozy. Remis à sa place par la porte-parole de l’UMP, Nicolas Sarkozy, sentant le piège d’une exploitation politique, a vite repris la main. Profitant de la brèche ouverte ou du défrichement de terrain, plus surprenant, Bernard Kouchner a banalisé les propos de François Fillon, en fustigeant au contraire ceux qui sur ce type de sujet préfèrent jouer la politique de l’autruche, tandis que Ségolène Royal, sur RTL, de façon plus convenue, a reconnu la nécessité de conduire « un chantier d’harmonisation des retraites ».
C’est ce qui s’appelle s’attaquer à un tabou. En d’autres termes, un sujet volontairement éludé depuis trente ans, de toutes façons trop longtemps, par les responsables politiques sous peine de perdre leur mandat. Bref, un sujet à siège éjectable !
Nous assistons donc à une véritable révolution, ou "rupture", pour reprendre un mot en vogue actuellement.
Comment expliquer ce changement radical d’attitude ? Peut-être les politiques perçoivent-ils, certes encore diffuse mais réelle, une maturité chez les Français pour aborder de front enfin ce sujet. Par ailleurs, selon le sondage un sondage CSA (*) pour i-télé et Le Parisien (de vendredi), 59% des Français sont favorables à une réforme des retraites de la SNCF, RATP, EDF, La Poste, etc., contre 32% qui se disent contre. Donc ce thème serait-il devenu payant électoralement ? Voilà qui risque de faire réfléchir les futurs candidats à la présidentielle.
En tout cas, il ne fait aucun doute que la réforme des régimes spéciaux de retraite constitue la réforme par excellence dont la France a impérativement besoin. Et cela pour deux raisons essentielles.
D’une part, ces régimes sont anachroniques. Si, à leur origine, ils avaient toute leur raison d’être, soit compenser une extrême pénibilité du travail, désormais, à ère nouvelle et donc conditions de travail nouvelles, régime nouveau ! Les cheminots, en particulier, les conducteurs de train en sont probablement le meilleur exemple. A la SNCF, 178 000 agents bénéficient de ce régime qui prévoit un départ à la retraite à 55 ans (50 ans pour les agents de conduite), après 25 années de service. A la RATP, les personnels de maintenance peuvent partir en retraite à 55 ans et les conducteurs à partir de 50 ans. Or les conditions de travail n’ont strictement plus rien à voir avec celles d’il y a cinquante ans !
Il va sans dire que cette réforme apporterait sa pierre à l’édifice de la modernisation de la France. Soit mettre en place de nouvelles règles, qui soient en phase avec les contraintes de notre monde économique contemporain, et qui permettent à la France de jouer pleinement les premiers rôles sur la scène internationale.
D’autre part, ces régimes sont contraires aux principes historiques de justice et d’égalité si chers à beaucoup de nos responsables politiques. Sans parler de cette scandaleuse discrimination face à la retraite et aux conditions d’éligibilité. Faut-il rappeler, en effet, que dans les privé les retraites sont désormais calculées sur les dix meilleures années ? Or, le temps des « Trente Glorieuses », comme chacun sait, est révolu depuis 1973 !
Pour aborder ce sujet à quelques mois d’une élection présidentielle, il faut du courage, beaucoup de courage. En effet, pour gagner une élection présidentielle, il faut rassembler et non diviser les Français. Or c’est le type même de sujet qui peut couper irrévocablement le candidat d’une partie de l’électorat. Donc compromettre sérieusement ses chances.
Une prise de risque à saluer, si rare dans notre pays, et si près d’une échéance électorale capitale. Il n’y pas plus qu’à espérer que les candidats soient aussi inspirés et décident de s’attaquer à d’autres sujets tabou, dont l’évitement depuis trente ans a conduit à ce naufrage socio-économique de la France. Qu’on le veuille ou non, quitte à passer pour un déclinologue, c’est la réalité de notre pays. Les faits sont là, et têtus, pour accréditer cette vision de notre pays.