Régionales 2021 (3) : le premier tour, déconfiture ?

par Sylvain Rakotoarison
lundi 21 juin 2021

« À travers [les mains], on pouvait y lire la plupart des sentiments humains, la séduction, l’arrogance en passant par le cynisme, la cupidité (…). » (Mia Leksson, "Dark Web", 2017).



Ce dimanche 20 juin 2021 ont eu lieu le premier tour des élections régionales et des élections départementales en France. Je ne vais me focaliser ici que sur le premier tour des élections régionales, scrutin plus politisé que les élections départementales. Dans ce qui suit, il y aura des résultats à prendre avec prudence car susceptible peut-être d’évoluer à la marge. Certaines estimations ont évolué au fil de la nuit électorale avec parfois trois ou quatre listes avec un nombre de voix assez proche (c’est le cas de l’Île-de-France).

Incontournable, l’abstention fait évidemment débat et peut interroger sinon inquiéter. Au niveau national, elle est de 67,4%, en gros deux électeurs sur trois ne sont pas allés aux urnes : est-ce grave docteur ?

Incontestablement, c’est dérangeant, bien entendu, mais j’avais préparé la question avant le scrutin et ma réponse reste la même, au risque d’être le seul à le penser : NON, ce n’est pas grave ! Il faut arrêter de dramatiser la situation, d’en faire une tarte à la crème qu’on nous ressert à chaque scrutin depuis des dizaines d’années, et même quand elle n’a pas lieu (par exemple, qui se souvient qu’il y a eu plus de participation aux élections européennes de 2019 qu’à celles de 2014 ?).

67,4%, c’est grave, évidemment, surtout en moyenne nationale, mais qui se souvient qu’il y a eu des élections législatives partielles les 30 mai (1er tour) et 6 juin 2021 (2e tour) ? C’était pourtant il y a trois semaines. Et quels étaient les taux d’abstention ? Je les mets ici pour les deux tours. 6e circonscription du Pas-de-Calais : 75,7% et 76,0% ; 15e circonscription de Paris : 84,5% et 83,6% ; 3e circonscription d’Indre-et-Loire : 81,6% et 81,8% ; 1e circonscription de l’Oise (celle de feu Olivier Dassault) : 73,6% et 75,7%. L’abstention était bien pire que ce 20 juin 2021. Certes, il ne faut jamais se comparer au pire, mais il y a eu pire, et il n’y a quelques semaines, en plus, pour des élections importantes (élection de plusieurs députés). Alors ?

Nous sommes un peuple essentiellement politique : tout le monde a une opinion politique et entend bien l’exprimer. Alors, il ne faut pas s’inquiéter, lors de la prochaine élection présidentielle, la participation va revenir. Pour ces scrutins locaux, beaucoup d’électeurs n’y ont pas vu leur implication. Ils ont une identité urbaine, une identité nationale, mais l’identité régionale (quand les régions sont aussi vastes), l’identité départementale (quand les départements sont aussi insignifiants), peu en cultivent une.

Il faut aussi en finir avec la culpabilisation des abstentionnistes. Très peu de commentateurs politiques ne rappellent pourtant une évidence : on est en pleine période covid. Je ne pense pas que beaucoup d’électeurs aient eu peur d’être contaminés en allant voter, mais je pense que les esprits étaient à autre chose, bien autre chose : cela faisait un peu moins d’un an qu’ils étaient semi-confinés et la plupart voulaient profiter d’un week-end ensoleillé (ou pas), de pouvoir sortir, partir, se requinquer, qui le leur reprochera après une période si troublée, si stressante ?

Alors, oui, l’abstention n’est jamais signe de bonne santé, mais cela ne veut pas dire que la maladie est mortelle.



Cette abstention, on la sentait venir depuis plusieurs semaines. Le problème de cette période covid, c’est qu’il n’y a pas eu campagne. Il n’y a pas eu de meeting, partout dans les communes, par exemple, pour expliquer la politique du département, celle de l’opposition, il n’y a pas eu de meeting pour les régionales pour expliquer les enjeux, les résultats (le bilan), les perspectives (les promesses), celle des majorités sortantes comme celles des opposants… Bref, organiser des élections sans campagne, forcément, cela n’aide pas à impliquer les électeurs.

Une si forte abstention aurait-elle pour effet de discréditer les futurs candidats élus ? Je le dis très clairement, très fermement : NON ! L’élection a des règles, l’abstention y est précisée, il y a des cas où il faut recueillir un minimum de part des électeurs inscrits pour être élu (du moins dès le premier tour). La règle est simple : si tu ne votes pas, ne va pas ronchonner parce que les autres ont décidé à ta place de ton avenir ! Ceux qui veulent prendre en compte le vote blanc sont totalement hors-sol : et si le vote blanc était majoritaire, est-ce lui qui devrait gérer le budget de la collectivité en question ? À la fin, il faut des hommes. Et qu’on ne me dise pas qu’il n’y a pas assez d’offre : si c’est le cas, alors, postulez ! soyez candidat, engagez-vous, proposez, faites des choses constructives, essayez au moins ! Et plus généralement, dans une élection où il y a onze listes, voire une vingtaine de listes, à mon sens, il y a suffisamment d’offres diverses et variées (rappelez-vous les listes animalistes en 2019) pour trouver chaussure à son pied.

D’ailleurs, regardez avec attention qui sont ces pleurnicheurs de l’abstention : tous ceux qui ont perdu ! C’est assez amusant de le constater. Autant dire que je n’ai pas été déçu par les premiers résultats qui se confirment. Le Rassemblement national s’est pris une claque électorale : au lieu d’essayer de comprendre pourquoi, ses candidats pleurnichent en disant que les électeurs n’étaient pas assez mobilisés ? Mais quel est justement le job des candidats ? De mobiliser les électeurs ! Qui est responsable quand cette mobilisation n’a pas eu lieu : les électeurs, ou les candidats ?

Je m’amuse car rappelez-vous, dans une période pas si lointaine que cela, que ce fût aux élections européennes, ou aux élections régionales, on disait, pour expliquer le fort pourcentage du FN de l’époque, qu’il avait bénéficié d’une forte abstention. Or, quand on entend Jordan Bardella (13,1%), qui a perdu autour de 5 points par rapport au score du FN en Île-de-France en 2015, on croit comprendre que le RN a été victime de l’abstention et que c’est à cause de cela qu’il a pris la poussière (partout). La vérité, c’est que l’abstention n’y est pour rien. Ceux qui ont eu beaucoup de voix, ce sont ceux qui ont mobilisé les électeurs, ceux qui ont montré que leur élection ou réélection valait la peine de se déplacer.

Plus drôle encore : Jordan Bardella expliquait qu’il fallait un scrutin proportionnel aux élections législatives pour redonner de la vie à la démocratie et augmenter la participation. Argument totalement faux puisque justement, les régionales, c’est de la proportionnelle et n’importe quelle liste ayant plus de 5% peut être représenté dans l’instance élective (selon certaines conditions). Et cela n’a pas suffi à doper la participation. Le problème est donc ailleurs.



On a parlé d’une prime aux sortants. Et c’est vrai que lorsqu’on voit les excellentes performances de certains présidents de conseil régional sortants, comme Laurent Wauquiez (43,8%), Xavier Bertrand (41,4%), Hervé Morin (36,9%), Valérie Pécresse (35,9%), Jean Rottner (31,2%), etc., très largement en tête du scrutin, on se dit que c’est vrai. Et pourtant, cela sonne mal avec cette idée qui veut que les Français voudraient dégager leurs dirigeants, seraient incapables de soutenir leurs dirigeants. La seule hypothèse valable serait : peut-être ont-il bien géré leur région et que les électeurs l’ont remarqué ?


Je me réjouis bien entendu de la déconfiture du RN qui montre à quel point les médias aiment bien jouer à se faire peur. Un peu comme ce temps lourd qui, de temps en temps, a besoin d’orages. La grêle fut donc pour le RN qui a perdu de nombreuses espérances, et notamment la première, celle d’arracher la région PACA. En faisant quasiment jeu égal (au début de la soirée électorale) avec Thierry Mariani (35,5% en évolution), Renaud Muselier (33,0% en évolution) semble être un véritable miraculé du premier tour, qui pourrait être soutenu par l’écolo-centriste sympathique Jean-Marc Governatori qui a obtenu 5,3%, donc, en capacité de fusionner avec d’autres listes. Néanmoins, la notion de miracle à la version marseillaise mérite d'évoluer, car les derniers résultats ont donné un écart de plus de 4 points : Thierry Mariani a obtenu 36,4% et Renaud Muselier 31,9%, un ballottage très défavorable surtout avec le comportement de la gauche.

En effet, dans ce scrutin, c’est la position du PS qui m’intéresse. Olivier Faure considère qu’il faut maintenir la liste écolo-sociolo-communiste qui a rassemblé autour de 16% des électeurs (soit la moitié, plus de 15 points de moins que ses deux concurrents directs). J’ai bien compris que sa tête de liste, Jean-Laurent Félizia (16,9%), au demeurant sympathique, veut absolument être élu conseiller régional, cela va donc être difficile de lui faire renoncer individuellement par acte de vertu collective. Tout le monde n’est pas bonne sœur. On se moquera des positions de FI ou de EELV, mais sûrement pas des donneurs de leçon de morale à deux balles du PS : si le maintien de cette liste de gauche a pour conséquence la victoire de la liste RN (ce qui n’a rien d’évident malgré une réserve de voix de 4,4% en prenant les scores de Valérie Laupies et Noël Chuisano), alors le PS aura définitivement creusé sa tombe électorale. Il ne le sait pas encore, mais les croque-morts (Julien Bayou et Jean-Luc Mélenchon) se battent déjà la dépouille. Toutefois, avec l'écart qui s'est accru au fil de la nuit, le PS a demandé à Jean-Laurent Félizia de renoncer à se représenter au second tour pour ne laisser aucune chance au RN. Pour l'instant, le candidat écologiste se maintient. Ses électeurs seront peut-être plus raisonnables que lui. Si LR perdait la région PACA, elle pourrait au contraire gagner la Bretagne face à un PS sortant en difficulté.

Même si la situation de RN, qui voulait être le premier parti de France, est particulièrement humiliante en cette soirée du premier tour (on devient grand quand on échoue), humiliante notamment dans les Hauts-de-France (Sébastien Chenu avec seulement 24,4%), en Normandie (19,9% pour Nicolas Bay) et même dans le Grand Est (Laurent Jacobelli a atteint laborieusement 21,1%, plombé par la candidature de Florian Philippot), il ne faut pas oublier que le RN reste en situation de gagner deux régions, la PACA, donc (car Renaud Muselier n’est pas encore "sauvé"), et aussi la Bourgogne-Franche-Comté où le RN (23,2%) arrive certes en deuxième position mais pas loin du PS sortant (26,5%), tandis que la liste LR (21,0%) talonne les deux premiers et que les 11,7% de LREM auront du mal à se désister pour une liste LR qui a délibérément assumé une alliance avec Nicolas Dupont-Aignan. À quelques voix près, des électeurs de LR-DLF pourraient trouver plus utile de reporter leur choix sur la liste RN au second tour…

On a dit que LR se sont bien maintenus, ce qui est sans doute la vraie leçon (positive) de ce scrutin. Et pourtant, j’aurais tendance à parler de prime aux sortants et pas de victoire de LR. Car en Nouvelle-Aquitaine, par exemple, et malgré un score assez faible du président socialiste sortant Alain Rousset (28,8%), la liste LR menée par Nicolas Florian, l’ancien dauphine de l’ancien maire de Bordeaux Alain Juppé, a reçu un camouflet (12,5%), reléguée loin derrière les premiers. La liste dirigée par la ministre MoDem Geneviève Darrieussecq, avec 13,7%, a même fait mieux que LR, c’est dire ! Et dans l’autre sens, l’excellent résultat de Carole Delga (39,6%), la présidente socialiste sortante du conseil régional d’Occitanie, laisse peu d’espoirs à ses deux concurrents Jean-Paul Garraud (RN, ex-UMP) avec 22,6%, et Aurélien Pradié (LR), 12,2%.

Parmi les curiosités du moment, il y a évidemment les Pays de la Loire : d’une part, la présidente sortante LR Christelle Morançais (34,3%) est en position favorable pour l’emporter au second tour. Mais ce qui est intéressant, c’est que Matthieu Orphelin (18,7%) a fait un très bon score (cet ancien député LREM s’est éloigné de la majorité pour mener une liste EELV-FI), en dépassant le candidat officiel du PS et du PCF, l’ancien ministre Guillaume Garot (16,3%), tandis que François de Rugy, ancien ministre LREM et ancien Président de l’Assemblée Nationale, a atteint péniblement 12,0%.

Une déconvenue comme celle de l’ancienne ministre socialiste Najat Vallaud-Belkacem (11,4%) mais aussi de son ancien adversaire LREM aux législatives Bruno Bonnell (9,9%) en Auvergne-Rhône-Alpes. Le ministre Marc Fesneau, qui aurait pu être à l’origine de la seule conquête de région de la majorité, a perdu son pari en étant relégué en quatrième place avec 16,7% au Centre-Val de Loire.

Autres défaites, dans le Grand Est, la ministre LREM (ex-LR) Brigitte Klinkert n’a obtenu que 10,8% et l’ancienne ministre socialiste Aurélie Filippetti a été ramenée à sa propre place, c’est-à-dire à 8,6%. Florian Philippot aussi, avec 6,9%, alors qu’en 2015, certains imaginaient déjà son élection à la tête du Grand Est. Et j’ajoute aussi la grande défaite d’une liste d’union de la gauche menée par Karima Delli avec 19,0% dans les Hauts-de-France. La notoriété nationale n’apporte aucun avantage dans une élection territoriale ; seul le travail sur le terrain est payant.

Revenons à l’Île-de-France où le candidat RN Jordan Bardella (dont la liste aux Yvelines contient une femme au patronyme commençant par "Führer", ça ne s’invente pas !), n’est pas assuré de préserver sa deuxième place et pourrait se faire doubler dans la nuit par la liste EELV de Julien Bayou (qui tente de recycler l’ancien ministre socialiste Benoît Hamon dans les Yvelines tandis que la liste socialiste menée par Audrey Pulvar tente de recycler l’ancienne ministre écologiste Emmanuelle Cosse à Paris).

La situation est la suivante : Valérie Pécresse a obtenu plus du tiers de l’électorat. Ses cinq concurrents représentent chacun un dixième. Pour les deux premiers, un peu plus en fait, autour de 13% : Jordan Bardella (13,1%) et Julien Bayou (12,9%), et les autres autour de 10% : Laurent Saint-Martin (11,8%), Audrey Pulvar (11,1%) et Clémentine Autain (10,2%). Alors qu’elle est profondément divisée (elle n’est en accord sur rien), la gauche francilienne commence à rêver de reconquérir la région en faisant la somme des trois listes de gauche qui ferait jeu égal avec la liste LR-UDI de Valérie Pécresse.

Le problème, dans cette analyse de comptoir, c’est que les électeurs n’obéissent pas aux règles arithmétiques classiques : si, comme cela semble prévu, les trois listes fusionnaient en une seule menée par Julien Bayou, certains anciens électeurs pourraient rejeter soit des candidats trop à gauche, ou au contraire trop modérés. Pour EELV, c’est quand même une belle porte pour les prochaines élections municipales de Paris : Anne Hidalgo aura à se méfier de Julien Bayou dont le charisme n’a rien de comparable !



Pour finir, il y a une petite satisfaction à voir les électeurs refuser de se comporter comme les médias voudraient qu’ils se comportassent, et en particulier, en présentant comme inéluctable un second tour entre LREM et RN, la réponse des électeurs est clairement d’avoir éloigné tant LREM et RN des exécutifs régionaux en privilégiant l’expérience d’élus de terrain issu des anciens grands partis.

Le schéma, le plus souvent, est le candidat LR (s’il est sortant) largement en tête, avec le candidat écologiste et le candidat RN se disputant la deuxième place puis le PS et LREM loin derrière (à l’image d’un Laurent Pietraszewski à 9,1% dans les Hauts-de-France). Quand le PS est sortant, il se retrouve en tête du scrutin et le candidat EELV est très distancé, tandis que le candidat RN est très élevé.

Probablement qu’il y aura deux France politiques, une France d’en bas, celle des élus locaux, où LR et le PS garderaient alors leur prééminence, et une France d’en haut, celle de la politique nationale où dominerait, non pas un duel entre deux partis, mais entre deux personnalités, Emmanuel Macron et Marine Le Pen.

Et pour eux deux, des régionales, on ne pourra rien conclure. Les électeurs sont décidément têtus, ils ont refusé toute nationalisation du scrutin, et c’est sans doute ce qu’il y avait mieux à faire. Le champ des possibles reste encore entièrement ouvert. C’est cela, la démocratie.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 juin 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Régionales 2021 (3) : le premier tour, déconfiture ?
Régionales et départementales 2021 (2) : les enjeux.
Marine Le Pen et l’effet majoritaire.
Les Républicains et la tentation populiste.
Rapport de Jean-Louis Debré du 13 novembre 2020 (à télécharger).
Avis du Conseil scientifique sur la tenue des élections du 29 mars 2021 (à télécharger).
Régionales et départementales 2021 (1) : à propos de leurs dates et de l’âge du capitaine.
Municipales 2020 (5) : la prime aux… écolos ?
Municipales 2020 (4) : bientôt, la fin d’un suspense.
Municipales 2020 (3) : et le second tour arriva…
Municipales 2020 (2) : le coronavirus s’invite dans la campagne.
Municipales 2020 (1) : retour vers l’ancien monde ?
Régionales 2015 : sursaut ou sursis ?
Les enjeux du second tour des régionales de 2015.
Le premier tour des régionales du 6 décembre 2015.
Les enjeux des élections régionales de décembre 2015.
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Les départementales 2015 avant le second tour.
Départementales 2015 : le pire n'est jamais sûr.
Les 4 enjeux nationaux des élections départementales de mars 2015.
La réforme territoriale.
La réforme des scrutins locaux du 17 mai 2013.
Le référendum alsacien.
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Le vote proportionnel.
Le vote obligatoire.
Le vote électronique.
Vive la Cinquième République !


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