Réhabiliter les corps intermédiaires

par Vive la République
mardi 6 février 2007

De quel mal profond souffre la France ? Qu’est-ce qui rend les réformes si difficiles dans notre pays ? Généralement, on répond à ces questions par des considérations psychologogiques ou sociologiques qui dénoncent le « tempérament français » : nous sommes des protestataires, des idéalistes qui ne conçoivent le mouvement que dans la révolution et non dans la réforme. Nous sommes donc victimes de nos vices individuels, fruits d’un important héritage historique. Même si cette thèse a sa part de vérité, je pense que c’est avant tout de nos vices collectifs, c’est-à-dire de notre manière d’organiser la société que nous souffrons le plus aujourd’hui. En effet, en France, les corps intermédiaires n’ont pas la place qu’ils devraient occuper dans une grande démocratie. J’essayerai tout d’abord d’expliquer cette spécificité française avant de plaider pour une réhabilitation de ces corps intermédiaires.


Les corps intermédiaires sont toutes les organisations d’individus qui se situent entre le citoyen et l’Etat, il peut donc s’agir de syndicats, d’associations ou d’organisations territoriales. En France, ces corps intermédiaires n’ont pas très bonne presse, on conçoit la République avant tout comme la relation directe entre le citoyen et l’Etat. La Révolution est souvent accusée d’être la cause de la disparition de ces corps intermédiaires, et il est vrai qu’habitée par la modernité, elle a voulu casser tout ce qui rappelait l’Ancien Régime et qu’elle a substitué dans les consciences la confrontation des intérêts à la recherche de l’intérêt général. Mais le mouvement de déconstruction des corps constitués est antérieur à 1789, c’est la centralisation du pouvoir sous la monarchie absolue qui a progressivement retiré le pouvoir aux organisations locales pour tout mettre sous le contrôle de l’Etat. Comme le montre Alexis de Tocqueville (encore lui) dans "L’Ancien Régime et la Révolution", le vrai pouvoir dans les provinces françaises à la fin du XVIIIe siècle n’était pas dans les mains de la noblesse mais dans celle des intendants, souvent issus du Tiers-Etat et qui représentaient le pouvoir royal. Ce sont eux qui étaient chargés de lever l’impôt ou de recruter pour l’armée.


Nous sommes donc les héritiers de cette histoire singulière qui confère au pouvoir central un rôle omnipotent dans la vie politique, puis économique puis sociale de notre pays. Au nom de l’égalité des citoyens et de leur protection face à la société, on exige que tout soit décidé par l’Etat, qu’il s’agisse du salaire minimum, du temps de travail, du tracé des routes ou des programmes scolaires. Loin de remettre en cause l’égalité des conditions des citoyens, je pense qu’il faut mettre plus de mouvement et plus de liberté dans la société, ce qui passe nécessairement par une profonde réhabilitation des corps intermédiaires. Trois pistes doivent être envisagées : favoriser un syndicalisme de masse, approfondir et clarifier la décentralisation et donner l’autonomie nécessaire à certains organismes publics.

Si la démocratie sociale ne fonctionne pas correctement, c’est que ses principaux acteurs, à savoir les syndicats salariaux et patronaux, y sont trop faibles. Ainsi, le pouvoir qui est dévolu à certaines organisations n’est pas corrélé par rapport à la représentativité. Ce manque de légitimité des acteurs sociaux induit de leur part un comportement moins responsable et plus contestataire. C’est donc paradoxalement parce qu’ils sont faibles que les syndicats parviennent à bloquer le pays sur certaines réformes. D’un point de vue strictement utilitaire, les salariés n’ont aucun intérêt à adhérer à un syndicat puisqu’ils bénéficieront de toutes façon des accords trouvés par les cinq centrales syndicales et les trois organisations patronales. A ce niveau, le militantisme syndical devient vraiment un acte de foi. Pourquoi ne pas envisager une adhésion des salariés aux syndicats "par défaut", libre à eux ensuite de démissionner, un peu comme ce qui se passe en Allemagne pour la déclaration de la religion. On pourrait également envisager que seules les personnes syndiquées bénéficient des accords obtenus par leur centrale. Une fois les partenaires sociaux renforcés et responsabilisés, on pourrait envisager de leur confier davantage de responsabilités comme la fixation pour chaque branche du salaire minimum ou de la durée de travail.

La décentralisation se justifie par le principe de subsidiarité : la meilleure gouvernance consiste à confier la responsabilité d’une action publique à la plus petite entité capable de résoudre le problème d’elle-même. Il tombe en effet sous le sens qu’on administre mieux quand on est près du terrain et que l’on peut vérifier les résultats des politiques menées. Toutefois, les dernières réformes de décentralisation n’ont pas convaincu les Français puisqu’elle se sont traduites par une accumulation d’échelons intermédiaires aux compétences souvent croisées. Il faut donc effectuer un double mouvement : donner aux collectivités locales plus de pouvoirs et clarifier leurs sources de financement tout en simplifiant les différents échelons administratifs. Pour faire simple il faut confier toute l’organisation de la vie locale (transports en commun, enseignement primaire, politique culturelle,...) aux communautés urbaines et aux communautés de communes, la politique sociale aux départements (du moins son exécution), le développement économique aux régions en enfin recentrer l’Etat sur ses missions régaliennes.

Enfin l’Etat doit donner plus d’autonomie à certains organismes publics. Plutôt que d’en régir le fonctionnement quotidien, il devrait plutôt donner des objectifs de résultats. Par exemple, il faut laisser les présidents d’universités libres de choisir qui ils recrutent, quels cours ils proposent, quels financements ils choisissent ou quel système de bourses ils accordent. Comme la liberté implique la responsabilité, les responsables de ces organismes publics pourraient être démis de leurs fonctions plus facilement qu’aujourd’hui. Il faut cesser d’avoir le culte de l’uniformité pour prendre en compte la diversité des situations et des territoires, ce qui ne doit pas empêcher l’Etat d’être le garant de l’égalité entre les citoyens. Plutôt que de de concevoir le salut de notre système politique par la démocratie participative qui n’a aucun sens dans un pays de plus de soixante millions d’habitants, je pense qu’il faut réhabiliter et approfondir la démocratie représentative ce qui passe par une promotion des corps intermédiaires.


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