Rembourser les pertes en bourse... avec l’argent du contribuable !

par Philou017
mardi 9 décembre 2008

Oui, vous avez bien lu. Un sénateur UMP, en collaboration avec les technocrates de Bercy, a imaginé rembourser les pertes des boursicoteurs avec l’argent du contribuable, c’est à dire des déductions d’impôt.

Philippe Marini, rapporteur général UMP de la commission des Finances du Sénat, propose une mesure pour "relancer l’investissement en bourse des petits actionnaires". A travers un amendement élaboré avec Bercy, débattu et voté à l’assemblée lundi, le sénateur propose que les pertes enregistrées en Bourse puissent être, sous conditions, déduites fiscalement.

C’est-à-dire que, le montant de toutes les opérations d’un total de moins de 25 000 euros, effectuées entre le 1er janvier et le 1er décembre 2008, seraient déduites des revenus imposables de 2009. La somme concernée ne devrait pas dépasser les 10 700 euros. Au-delà de cette limite, le solde des pertes serait reporté sur les gains en Bourse des dix années suivantes, conformément à un dispositif en vigueur depuis 2003.

Il s’agirait de "soulager" les petits actionnaires, et les inciter à réinvestir dans un système en perte de vitesse en ces temps de crise financière.

Les bras m’en tombent. On croit avoir tout vu et pourtant...

Résumons. Les gens qui ont joué en bourse, avec ce que cela suppose de risque en terme de perte ou de profits, seraient au moins partiellement remboursés de leurs pertes. A quand les déductions sur les pertes au casino ?


Si on comprend bien, les gens qui ont les moyens de jouer en bourse et de faire de l’argent sur le dos des entreprises en achetant des actions, seraient en plus garantis par l’état ? Apres le renflouement des banques sans contrepartie (ou presque) avec l’argent de l’état (càd des contribuables), on renflouerait les malheureux actionnaires ?

J’avoue que la morale de cette vision m’échappe. Quand j’entends les libéraux affirmer que l’état doit restreindre son rôle dans le fonctionnement de l’économie, quelque chose a dû m’échapper.

Mais qui a pu proposer une telle monstruosité ? Ce n’est pas n’importe qui. Rapporteur général UMP de la commission des Finances du Sénat, Philippe Marini a été élu maire de Compiègne en 1987, puis sénateur de l’Oise en 1992, réélu en 2001. C’est un énarque, inspecteur des Finances en disponibilité . Il est devenu rapporteur général de la commission des finances en 1998. La qualité de ses interventions et analyses dans les débats économiques est parait-il (!) reconnue au Sénat. Il incarne, dans un style "soft", la défense de l’économie libérale et la lutte contre les déficits.

Ce monsieur a un CV long comme cela, où il cumule les responsabilités dans des organismes de contrôle financier. Ça en dit long à mon avis sur la vision économique et le sens de la morale de certains cercles dirigeants. On fait tellement peu de choses pour les gens en difficulté, mais pour la bourse tout est bon.

Mais Mr Marini n’est pas un "électron libre" ou un marginal, loin de là. Dans la préface à son livre électoral "veillée d’armes, propos pour le rupture" dont Philippe Marini est l’auteur, Nicolas Sarkozy salue en lui les qualités d’ "un homme fidèle et loyal, comme le sont ceux dont l’estime est difficile à gagner (...), d’un esprit libre, d’un homme profondément indépendant et habitué à penser en dehors des systèmes établis". Lui-même se décrit ainsi modestement : "Philippe Marini illustre les mêmes caractéristiques de l’homme politique moderne que Nicolas Sarkozy : un regard lucide et sans concession, les talents de conviction et de pédagogie, la volonté d’action.
Des mots qui paraissent bien creux...

L’amendement a été sérieusement retoqué par le gouvernement, Mr Fillon en tête qui a vu venir le vent du boulet. Mais la majorité était plutôt partagée au départ , le patron des députés Jean-François Copé avait jugé l’idée "séduisante" tout en se demandant si elle était "possible techniquement". "Ça demande quand même une étude approfondie", avait-il dit. Alors que l’opposition et certains acteurs du monde économique se sont élevés contre la mesure.

D’ailleurs, l’amendement avait été adopté jeudi dernier par la commission des finances du Sénat. Selon Philippe Marini, il a été « préparé avec les services fiscaux de Bercy et en concertation avec le ministère », lit-on dans un article plutôt compréhensif du Figaro.

Depuis, l’Express passe pudiquement le voile sur ces atermoiements pour affirmer que cet "amendement avait rencontré une réprobation quasi-unanime."

"Rien que d’en avoir l’idée est scandaleux !" s’indigne un internaute.

On peut en effet se demander à quoi rime une telle mesure, même en suivant le raisonnement avancé. Inciter des épargnants à réinvestir en bourse en remboursant tout ou partie de leurs pertes ? Qui serait assez fou pour retourner en bourse aujourd’hui après avois pris une déculottée, dans un contexte très incertain ? Alors quoi ? Difficile d’imaginer autre chose que de diminuer les pertes d’un électorat aisé attiré par l’appat des gains boursiers.

Si on peut reprocher à l’actuel gouvernement d’oublier les plus démunis (tout le monde se souvient de la difficulté à trouver un pauvre milliard pour le RSA), l’assistanat aux plus aisés ne semble pas marquer le pas. Jusqu’où ira la "pensée en dehors des systèmes établis" ?


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