Résoudre la crise politique : en avant citoyens ?

par Lucie A.
mardi 19 juillet 2011

Cela fait plus de 400 jours que la Belgique n’a pas de gouvernement, et nous fêterons jeudi une 2e fête nationale sans gouvernement ! C’est la plus longue crise politique de son histoire, et pourtant rien ne paraît pouvoir éclaircir ce ciel belge, qui reste, et semble-t-il restera, gris. A moins qu’à la place des hommes politiques, ce soit les citoyens qui prennent les choses en main ?

L’épopée « la Belgique sans gouvernement »

Petit retour sur les événements qui ont débouché sur cette profonde impasse. En mai 2010, faute d’accord sur le dossier Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV), le parti libéral flamand Open VLD quitte le gouvernement, ce qui entraîne sa démission. Le 13 juin 2010, après un mois et demi d’une campagne électorale qui n’a que peu suscité d’intérêt de qui que ce soit, les résultats sont sans appel : le parti nationaliste flamand (NVA) du charismatique Bart de Wever remporte largement les élections dans le Nord du pays, tandis qu’au Sud, c’est le parti socialiste (PS) d’Elio di Rupo qui est vainqueur. A première vue, les opinions semblent assez… opposées. Mais nous sommes en Belgique et ce pays a une très longue histoire en terme de négociations. Un gouvernement pourrait voir le jour en septembre octobre pense-t-on. Petite erreur d’appréciation… !

De nombreux négociateurs, informateurs, formateurs se succèdent. Le 17 juin 2010, Bart de Wever est nommé par le roi Albert II (c’est lui qui nomme ceux qui sont en charge de former le gouvernement) afin de récolter les points de vue des différents partis sur les grandes questions institutionnelles et sociaux économiques. Il est informateur. Puis, en juillet 2010, c’est au tour d’Elio di Rupo d’être nommé, en tant que préformateur. En septembre, il abandonne, suite aux désaccords sur les transferts financiers et la régionalisation d’une partie de l’impôt sur les personnes physiques (IPP) en particulier. André Flahaut (PS) et Danny Pieters (NVA), les présidents des 2 chambres (Chambre des représentants et Sénat) sont alors nommés médiateurs. Lorsque la NVA plie bagage, Bart de Wever devient clarificateur. Sa note ayant été rejetée par les partis francophones, car elle ne ferait que redire les positions de la NVA, Johan Vande Lanotte du SPA (parti socialiste flamand) est nommé conciliateur en novembre, dans le but de débloquer la situation. Il doit trouver un terrain d’entente entre les différents points de vue, et cela à l’abri des caméras. Sa note est rejetée une première fois début janvier et une deuxième fois fin janvier. Le président du MR (Mouvement réformateur) Didier Reynders est alors sélectionné en février. Sa mission d’informateur échoue également. Wouter Beke, président du CD&V (chrétiens démocrates flamands) est donc ensuite nommé, en tant que négociateur, toujours sans succès. En mai 2011, Elio di Rupo est à nouveau nommé, il est formateur. Il rend sa note début juillet, mais la NVA suivie par la CD&V, qui souhaite que la NVA fasse partie du gouvernement, la refusent. Echec et mat... Il fera toutefois rapport au roi au plus tard mercredi 20 juillet, mais la situation semble, évidemment, très mal au point.

La question légitime que tout un chacun se pose est s’il y a encore un espoir, car il semble que suite à cette énumération d’échecs et au résultat des réactions à la dernière note en date, les négociations sont au point mort et la NVA ne semble pas prête à lâcher du lest. L’éditorialiste du quotidien francophone Le Soir dressait un bilan sombre à la veille de l’anniversaire de la Belgique sans gouvernement. « La Belgique est toujours debout. Elle ne s’est pas évaporée, elle est juste… un peu moins belge. En un an, en effet, les francophones ont fini par partager au moins une conviction commune avec le nord du pays : nous sommes deux populations qui vivent sous le même toit mais en partageant peu de choses communes. Vrai, faux ? On ne se pose plus la question désormais, on a acté. » . A quelques jours de la fête nationale, son constat n’est pas plus jovial car elle estime qu’il n’y a « pas de salut hors la reconstruction d’un nouveau modèle de fonctionnement », où il faut se réinventer. Ce qui menace la Belgique, c’est à la fois « le refus de mener les réformes de structure indispensables » et l’égoïsme des membres et le retour aux valeurs nation et identité.

Dans ce contexte, quelle serait la solution pour résoudre cette fameuse crise politique ? Laisser le gouvernement en affaires courantes[1] continuer à gérer la situation en attendant de trouver une solution plus viable ? Après tout le gouvernement démissionnaire a bien su s’occuper de la présidence belge de l’Union européenne et a pu permettre l’intervention militaire en Libye. Faudrait-il plutôt organiser de nouvelles élections ? Un référendum ? Former un gouvernement sans la NVA ? Mais à ce moment là, qui gagnerait, qui perdrait ? Et quel en serait le prix ? On n’en sort pas ! Mais que va bien pouvoir raconter Albert ce 20 juillet dans son discours en l’honneur de la fête nationale ?!

Et les citoyens belges dans tout cela, qu’est ce qu’ils font ?

En attendant, les citoyens n’en peuvent plus, ils en ont marre. Ceci dit, n’exagérons rien non plus, le sort de la Belgique ne passionne pas tout à fait les foules… mais de nombreuses initiatives ont vu le jour et illustrent l’incompréhension par les belges de la situation qui s’éternise. Tout comme d’ailleurs l’affiche dans le sens inverse la certaine apathie habituelle face aux crises politiques. Du reste, les premières initiatives ont commencé 6 mois après les élections, délai raisonnable. Les belges sont rodés - jusqu’à un certain point ?

En janvier 2011, une vidéo postée par un journaliste flamand fait un buzz[2]. Il y parle de son exaspération des politiques, qui font en fait semblant de négocier car aucun résultat ne semble poindre le bout de son nez ! Pour lui, au demeurant, une seule solution est envisageable : descendre dans la rue. Une première manifestation sera d’ailleurs organisée le 23 janvier 2011, à l’initiative d’étudiants de la VUB (l’Université flamande de Bruxelles). Appelée SHAME, elle a pour but de crier le ras le bol de la population belge et de demander un gouvernement et « un dialogue ouvert à tous les chefs de partis belges, toutes langues confondues ; dans les plus brefs délais ». Apolitique, elle réunira près de 40 000 personnes dans les rues de Bruxelles ! Après « seulement » 6 mois, les belges sont là[3].

Dans un autre genre, en janvier encore, Benoit Poelevoorde proposait de ne plus se raser la barbe[5], s’inspirant d’Aristophane et du succès des femmes kényanes en 2009. Un moyen également de protester contre la domination des hommes en politique, et nous pouvons d’ailleurs constater qu’aucune femme n’a été nommée formatrice.

L’initiative Pas en notre nom/Niet in onze naam, collectif qui a réuni une quarantaine d'artistes le 21 janvier au KVS défend, lui, l'introduction d'une circonscription fédérale, Bruxelles comme laboratoire pour la société de demain et la défense d'une sécurité sociale nationale. Le 7 mai 2011 (ceci n’est pas) een picnic a rassemblé quelques 1 000 personnes dans le parc de la basilique de Koekelberg.

Le 17 février, la Belgique devait célébrer le triste record d’être un Etat sans gouvernement - depuis le plus longtemps ! Un compteur a ainsi été mis en place pour compter ce nombre de jours recordPas en notre nom Jeunes / Niet in onze naam Jong a organisé ce 17 février en l’honneur du record, « la révolution des frites », en référence aux révolutions arabes. Un peu moins de 5 000 personnes se sont mobilisées, à Bruxelles devant le Palais de justice, à Louvain-la-Neuve pour un flashmob, ou encore sous la forme d’un strip tease géant à Gand où 500 personnes se sont mises à courir nues. Les rassemblements « Place des frites » (car les rassemblements avaient lieu sur des places) du 29 mars ont quant à eux attiré à Anvers, Bruxelles, Louvain-la-Neuve, Gand, et Liège de 5 000 à 8 000 personnes.

Une autre initiative, Camping 16, a organisé en avril un camping virtuel où il s’agissait de planter virtuellement sa tente rue de la loi. Il a rassemblé plus de 160 000 « campeurs »  Lorsque que quelque chose ne fonctionne pas, on demande remboursement. Lorsqu’on arrive pas à former un bon gouvernement dans un délai raisonnable, il est normal de rembourser une partie de sa dotation ».

On peut encore en citer d’autres, telles que BelgomatonStop Trop is te veel, ou encore cette initiative de Recyclart rassemblant environ 200 personnes le 15 mai place des Marolles à Bruxelles pour chanter la Brabançonne en 3 langues. Le chanteur Daan s’y s’est mis aussi à travers la chanson, Landmijn issue du refrain Jouw land is niet mijn land. Want jouw land is een landmijn où il proteste contre le nationaliste flamand.

Quelle initiative sera la bonne ? Pourquoi pas le G1000 !

Si l’on additionne, cela fait beaucoup d’initiatives ! Encourageant ? Pas tout à fait ! Pour le moment, malheureusement il semblerait que les mouvements citoyens n’aient pas changé grand-chose aux négociations, et en tout cas elles n’ont pour le moment rien accéléré.

En outre, au vu du nombre de personnes mobilisées le bilan est parfois relatif. Serait ce dû au fameux désintérêt de la population pour une politique complexe ? ou au manque de confiance général envers tout homme politique ? La raison pourrait également être due au manque d’une véritable structure citoyenne. Ou bien le manque de prise en compte par les leaders politiques du message qu’essaient de véhiculer les citoyens qui se manifestent. Que faire ?

Il y a la G8 ou le G20 qui réfléchissent à des solutions globales concertées. Pourquoi pas le G1000 alors pour la Belgique ? C’est ce qu’ont pensé certains. L'action est menée par l'asbl "Burgertop/Sommet citoyen et 3 personnalités flamandes, David Van Reybrouck, Dave Sinardet et Francesca Vanthielen jouent le rôle de porte-paroles du projet. Le G1000 se veut bien entendu apolitique et prétend être ouvert à tout scénario. De façon étonnante, il ne rejette pas la faute sur les hommes politiques. Cette initiative a pour but de réfléchir sur les défis de la démocratie représentative. En effet pour le G1000[14] la crise politique belge est simplement le reflet d’une crise de la démocratie. La démocratie représentative s’essouffle car les partis politiques ont une emprise plus réduite que ce soit sur les citoyens ou sur l’échelle du temps. Il faut alors que les citoyens participent pensent-ils, les citoyens doivent « prendre activement part aux délibérations portant sur l’avenir de leur société » , c’est de la démocratie délibérative, en un mot. 

En quoi consiste le G1000 au juste ? Un sommet sera organisé le 11 novembre 2011 à Tour et Taxis à Bruxelles qui réunira 1000 personnes sélectionnées par un organisme indépendant. Signe d’une armistice entre le Nord et le Sud. Entretemps, le G1000 se propose de recueillir en ligne les propositions des citoyens pour sortir de la crise politique. Après ce sommet du 11 novembre, un petit groupe de personnes seront tirées au sort pour approfondir et former concrètement les décisions issues du sommet, et les communiquera en avril 2012. Ils seraient une sorte d'intermédiaire entre la population et les politiciens. Pour le moment seules 150 personnes peuvent débattre, car des fonds sont nécessaires pour l’organisation de cet événement, mais le G1000 a toutes les raisons d’être optimistes après seulement un mois d’existence. Il apparaît que l’initiative n’imagine donc que très moyennement une vraie solution avant novembre 2011, voire avant avril 2012. En tout cas, rien de bien sérieux ! Si une solution était trouvée avant, le débat citoyen serait simplement instructif assurent-ils.

Initiative intéressante n’est ce pas ? A voir quel en seront les résultats ! Mais, peut-être une solution durable sera trouvée avant 2012 par nos hommes politiques ? « La vie est un rêve, mais rêver n'est pas vivre »[15]. Allez, en avant citoyens ?


[1] Dans l’attente de la formation d’ »un nouveau gouvernement, le premier ministre démissionnaire (et les ministres qui vont avec) continue de gérer les affaires courantes Selon la conception généralement retenue, dont l’origine est à trouver chez Francis Delpérée (professeur de droit et sénateur) les affaires courantes comprennent les affaires banales, c'est-à-dire qui permettent à l’Etat de fonctionner, les affaires en cours, affaires déjà entamée et qui doivent être finalisées, et enfin les affaires urgentes, qui doivent être traitées afin d’éviter de faire courir « à l’Etat et aux citoyens, à la vie économique et sociale du pays, de très graves dangers ».

[2] http://www.youtube.com/watch?v=7RaJJCrIQLw&feature=player_embedded

[3] http://www.facebook.com/shameonline , http://www.youtube.com/watch?v=q_oUS8LZVkA&feature=related

[4] http://www.youtube.com/watch?v=BhE3t8bGvng

[5] http://www.dailymotion.com/video/xgxwb3_bientot-la-greve-du-sexe-en-belgique_news

[6] http://lerecorddumonde.be/

[7] http://frietrevolution.blogspot.com/

[8] http://www.camping16.be/index.php?l=fr

[9] http://www.camping16.be/pdf/voorstel_fr.pdf

[10] http://belgomaton.lesoir.be/#/home

[11] http://www.youtube.com/watch?v=npr4D3f_j6Q&feature=player_embedded#at=11

[12] http://www.rtl.be/videos/videos/video/314246.aspx

[13] http://www.youtube.com/watch?v=Gg_t9pXNelU&feature=related Met je kutgevoel voor humor / Je zelfverzonnen tumor / Je straatje zonder einde strategie - Avec ton sens de l'humour à la con / Tu t’inventes une tumeur Ta stratégie du cul-de-sac

[14] www.g1000.org , sur twitter  @G1000org , sur facebook https://www.facebook.com/pages/Burgertop-G1000-Sommet-citoyen-G1000/148996375171702?sk=wall&filter=1

[15] Ou en version originale « Het leven is een droom, maar dromen is geen leven. » - Constantijn Huygens


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