Retraites : qui propose quoi ?

par Voltaire
jeudi 16 septembre 2010

Le projet de loi du gouvernement sur la réforme des retraites vient de franchir, non sans mal, son premier obstacle, avec un vote favorable à l’assemblée nationale en première lecture. Mais l’histoire est loin d’être terminée : avec une mobilisation syndicale réussie, une opinion très hostile à certains éléments du projet, un ministre du travail fragilisé, un sénat plus rebelle, les prochaines semaines risquent d’être agitées. L’occasion de clarifier le fond du sujet : que proposent vraiment les différents partis politiques sur ce sujet qui engage l’avenir des français.

Avant de présenter les différents projets des partis politiques, il n’est pas inutile de revenir brièvement sur la situation actuelle. Notre système de retraite est fondé sur la répartition, c’est-à-dire que les actifs payent pour les retraités d’aujourd’hui (économiquement, les cotisations des actifs ne servent donc pas à financer leur propre retraite). Néanmoins, ces cotisations ouvrent à un droit à la pension de retraite future. Ces cotisations sont payées par les employés et par les employeurs. Pour que le système fonctionne, il faut bien entendu que ces cotisations soient au moins égales au coût des pensions. Depuis un certain nombre d’années, ce n’est plus le cas : l’évolution démographique, l’allongement de la durée de la vie et la croissance du chômage ont déséquilibré le système : le nombre de cotisants (actifs) diminue, tandis que le nombre de bénéficiaires (retraités) s’accroit. A ce déséquilibre croissant s’ajoute l’extrême complexité d’un système composé de près de 40 régimes de retraite différents, plus ou moins imperméables.
 
Pour simplifier, il existe quatre leviers possibles d’actions pour corriger ce déséquilibre (le levier de la baisse du chômage étant très aléatoire…) :
- Le montant des cotisations
- Le montant des retraites
- La durée de cotisation
- La création de recettes supplémentaires en dehors des cotisations
 
Comme cette situation de déséquilibre est connue depuis longtemps et largement prévisible (de nombreux rapports biens documentés sont disponibles, notamment ceux du Conseil d’Orientation des Retraites), les gouvernements successifs ont depuis 20 ans tentés de remédier, bien qu’imparfaitement, à la situation (voir ici). Allongement progressif de la durée de cotisation, rapprochement des systèmes entre salariés du public et salariés du privé, fond de réserve alimenté par des excédents budgétaires etc.… La dernière réforme de 2004 a ainsi décidé (entres autres) du passage de 37,5 à 40 ans de cotisation pour un taux plein chez les fonctionnaires (alignement sur le privé) et de l’allongement progressif de la durée de cotisation de 40 à 41 ans entre 2008 et 2012. Néanmoins, ces mesures n’ont pas permis de remédier au déficit qui s’est fortement creusé depuis 2007, d’où les mesures proposées actuellement.
 
Le projet du gouvernement, défendu par l’UMP
 
Devant la situation inquiétante du financement des retraites, aggravée indirectement par la crise économique, le gouvernement a décidé de procéder à une nouvelle réforme des retraites. L’objectif de cette réforme est de rétablir des équilibres à court termes, sans toucher au montant des cotisations ni à celui des retraites. Les principaux points de cette réforme sont ainsi :
- un relèvement progressif d’ici 2018 de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans. Concrètement, cela signifie que, sauf exceptions (voir après), une personne devra nécessairement continuer à cotiser jusqu’à 62 ans avant de prétendre à ses droits de pension. De la même façon, l’âge minimal de départ à la retraite pour d’autres professions (militaires etc.…) est aussi prolongé de deux années (sans dépasser 60 ans).
- L’âge de départ de 60 ans est néanmoins maintenu pour les personnes pouvant démontrer un taux d’incapacité d’au moins 10%, ainsi que pour les personnes ayant commencé à cotiser avant l’âge de 17 ans.
- Simultanément, l’âge auquel une personne peut prétendre à une retraite sans décote passe de 65 à 67 ans. C’est-à-dire qu’avant 67 ans, une personne n’ayant pas cotisé 41 ans (voir plus, cette durée pouvant être révisée à la hausse) subira une décote de sa pension si elle choisi de partir en retraite.
- Le rapprochement entre systèmes pour la fonction publique et salariés du privé se poursuit : le taux de cotisation des fonctionnaires sera progressivement aligné sur celui du privé, l’âge de départ minimal passera aussi à 62 ans (tandis que celui des fonctionnaires « d’active », comme les militaires ou les policiers, est aussi prolongé de deux années sans dépasser 60 ans).
D’autres mesures plus spécifiques complètent cette réforme.
 
Lors de la discussion à l’assemblée, des députés UMP ont déposé un certain nombre d’amendements, notamment pour prendre en compte plusieurs lacunes du projet actuel. De façon générale, le gouvernement a demandé (et obtenu) le retrait de ces amendements en précisant qu’il travaillait à des solutions. Ces thèmes devraient donc revenir en discussion au sénat. Néanmoins, il faut souligner un amendement plus sérieux, porté et défendu notamment par les femmes députées, pour défendre l’intérêt des femmes ayant eu au moins deux enfants, aux carrières souvent interrompues, qui sont très affectées par le recul de 65 à 67 ans de l’âge auquel les pensionnés pourront partir sans décote. Bien que repoussé en commission, ce sujet, et plus globalement l’article 6 du projet de loi qui porte sur ce report de 65 à 67 ans, sera l’un des enjeux majeurs de la discussion encore à venir.
 
Le contre-projet du Parti Socialiste
 
Logiquement opposé au projet du gouvernement, le Parti Socialiste défend un contre-projet qui s’articule sur plusieurs éléments clés :
 
- Le maintient de l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans et le maintient d’une retraite sans décote à 65 ans. Cependant, le PS confirme aussi la décision de 2004 d’allonger la durée de cotisation à 41 ans pour un taux plein ;
- Une augmentation modérée des cotisations de 0.1% par an sur 10 ans ;
- Une nouvelle alimentation du fond de réserve des retraites par une surtaxe de l’impôt sur les sociétés des banques ;
- Des recettes fiscales nouvelles allouées au système de retraite (application de la CSG sur certains revenus exonérés, augmentation de 0.5% de la TVA etc.) ;
- Certaines mesures en faveur des emplois pénibles et de l’emploi des séniors
- Pour le plus long terme, une refonte du système de retraite basée sur l’établissement d’un compte-temps, incluant les années de formation etc.
 
Il faut cependant noter que le chiffrage des recettes fiscales proposées par le Parti Socialiste pour répondre au déficit actuel est contesté.
 
Ce qu’en pensent les centristes
 
Bien qu’actuellement divisés en plusieurs partis, l’ensemble des centristes défend une même refonte globale du système de retraite, basée sur un système par points. C’est-à-dire qu’en fonction du nombre d’années de cotisation, le salarié cumule des points. Au moment du départ en retraite, la valeur du point dépend de la valeur de la production du moment et du nombre d’actifs. Chaque individu sait, dès le départ, que sa pension sera proportionnelle au travail qu’il aura fourni toute sa vie, et peut suivre l’évolution de la valeur de ses points. Ce système, d’abord mis en place en Suède (voir ici), a depuis été étendu à d’autres pays. Défendu par la CFDT, ce modèle que prônent les centristes depuis plusieurs années commence à être aussi envisagé par les autres partis mais encore timidement.
 
S’ils sont réunis dans leur vision à long termes, les centristes n’ont en revanche pas la même attitude vis-à-vis du projet du gouvernement.
Le plus en pointe sur ce thème a été François Bayrou, pour le Mouvement Démocrate. S’il considère comme acceptable le passage de 60 à 62 ans de l’âge possible de départ en retraite, François Bayrou s’est en revanche élevé avec vigueur contre le passage de 65 à 67 ans de l’âge auquel les retraités pourraient bénéficier d’une pension sans décote. Son amendement à ce sujet sur l’article 6 du projet de loi a failli être voté, grâce à un argumentaire qui a non seulement souligné l’injustice faite aux retraités les plus modestes, souvent des femmes, par cette réforme (tandis que des professions protégées, comme les parlementaires, n’auraient pas à subir cette décote), mais aussi par la manifeste erreur de calcul du gouvernement quant aux recettes que pourraient rapporter cette modification.
Aussi défavorable au projet actuel du gouvernement, mais pour des raisons plus financières, est le président de l’Alliance Centriste, et aussi président de la commission des finances du sénat, Jean Arthuis. Pour l’Alliance Centriste, le projet du gouvernement est insuffisant pour réduire les déficits des comptes sociaux, et se fonde sur des hypothèses économiques irréalistes. A court termes, ce parti propose donc notamment d’aligner le taux de la CSG des pensions de retraites sur celui des salaires, le gel des pensions les plus élevées, mais aussi de poursuivre après 2018 le recul de l’âge de départ en retraite (vers 63 ans) et l’allongement de la durée de cotisation pour une retraite pleine. En revanche, il demande plus de souplesse pour la prise en compte de la pénibilité du travail.
A l’inverse, le Nouveau Centre défend l’essentiel du projet du gouvernement et n’a proposé que des ajustements mineurs.
 
Et les autres partis ?
 
Peut-être en raison de certaines divergences internes, on a peu entendu les écologistes dans ce débat. Après quelques hésitations, leur position semble s’être alignée sur celle des Verts, elle-même assez proche de celle des socialistes : maintient de l’âge de départ à 60 ans, recettes nouvelles par divers prélèvements sur les produits d’épargne ou les bénéfices des sociétés, accroissement des cotisations patronales…
Du côté du Front National, là aussi, peu de réactions. Jean-Marie Le Pen a déclaré « comprendre la nécessité de la réforme » du gouvernement tandis que Marine Le Pen suggère notamment de lever des recettes nouvelles, comme des droits de douane sur les produits importés.
Fort logiquement, c’est plutôt du côté de la gauche de la gauche que les réactions sont les plus vives. Globalement, les différents projets du Front de Gauche, du Parti Communiste ou du Nouveau Parti Anticapitaliste se ressemblent : il s’agit de revenir à 37,5 années de cotisations et à la retraite à 60 ans en levant de nouvelles recettes selon 3 axes majeurs : les cotisations patronales, la réduction des exonérations existantes, et des taxations nouvelles, principalement sur les produits financiers.
 
Pour conclure :
 
Alors que la réforme de notre système de retraites revêt une importance considérable pour l’avenir des comptes sociaux de la nation, mais aussi et surtout pour la place relative que nous donnons au travail et à la retraite dans la vie des citoyens, force est de constater que le projet actuel ressemble plus à une énième rustine sur une chambre à air poreuse.
Pour des raisons de calendrier électoral, le gouvernement a préféré ne traiter que quelques éléments d’urgence du problème des retraites, afin de ne pas obérer la dernière année du quinquennat par des discussions complexes. Mais en ne mettant pas l’ensemble des problèmes sur la table, et en « oubliant » d’inviter les différents protagonistes à la discussion, il n’a pu que proposer un projet incomplet, qui laisse de côté de nombreuses problématiques et comporte de nombreuses approximations et injustices. A l’inverse du processus du grenelle de l’environnement, la méthode utilisée a donc provoqué des crispations et réactions vigoureuses, et ajouté au sentiment d’insécurité de sa propre majorité.
 
A court termes, la discussion va se poursuivre au sénat, dans des conditions difficiles pour le gouvernement : faute de majorité absolue, et en raison de la proximité des élections sénatoriales, le débat sera nécessairement agité, tandis que les syndicats continueront légitimement à vouloir faire entendre leur position. On peut penser que le problème de la pénibilité, mal traité faute d’une discussion amont approfondie entre partenaires sociaux, et surtout le recul de 65 à 67 ans de l’âge auquel les pensionnés peuvent prendre une retraite sans décote, seront des points durs de négociation.
 
A moyen termes, cette nouvelle réforme ne résoudra pas le problème des déséquilibres des comptes sociaux. En repassant la patate chaude au gouvernement suivant, la majorité actuelle réussira peut-être à limiter les polémiques les plus criantes avant les prochaines élections, mais ne rend pas vraiment service aux citoyens. Le consensus progressif qui semble se dessiner en faveur d’un mécanisme de retraite par points risque bien d’être de nouveau difficile à mettre en œuvre si la crispation actuelle oblige un éventuel futur gouvernement de gauche à revenir en arrière sans assurer un équilibre à long terme. Or, comme l’indique justement Michel Rocard, soutenu en cela par François Bayrou, la solution au problème du financement des retraites doit provenir d’un équilibre interne au système, et non de recettes externes rajoutées périodiquement. Il est grand temps de se mettre sérieusement au travail pour trouver un mécanisme pérenne, comme l’on fait les Suédois…
 
Crédit photo : Reuters

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