Révision de l’histoire du Québec
par Guy Cardinal
vendredi 28 avril 2006
Selon le journal Le Devoir, le gouvernement Charest préparait un nouveau cours d’histoire du Canada et du Québec au secondaire. Une version révisée de l’histoire, évacuant toute notion conflictuelle entre les deux peuples fondateurs du Canada. Ce nouveau cours à « l’histoire révisée » entrera en vigueur dès 2007-2008. Originalité sans précédent, il fera peu mention de la Nouvelle-France, de la révoltes des Patriotes face à l’occupation des Britanniques, et passera sous silence des épisodes comme l’Acte d’Union de 1840, la conscription forcée de 1917 ou le rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982.
Le gouvernement Charest veut fabriquer une version plus fédérale de l’histoire
L’histoire appartient à ceux qui l’écrivent
« Il s’agit de sortir du cadre habituel d’une histoire structurée autour des conflits entre les francophones et les anglophones, pour faire une histoire plus rassembleuse », explique Jean-François Cardin, un historien-didacticien de l’Université Laval, bien au fait du projet actuel puisqu’il a été consulté lors des phases de préparation du document. Egalement consulté par le ministère, le professeur Jocelyn Létourneau, lui aussi de l’Université Laval, et très critique sur le nationalisme, salue « l’ambition de ce cours d’en finir avec l’espèce de vision misérabiliste qui perdure dans la vision historique des Québécois ».
C’est ce qu’on apprend dans un « document de travail aux fins de validation » du ministère de l’Éducation, dont le quotidien Le Devoir a obtenu copie en exclusivité. Ce document, non disponible pour consultation par les citoyens, deviendra le programme officiel du cours « Histoire et éducation à la citoyenneté », et son adoption serait « imminente », a-t-on appris. Celui-ci remplacera le cours d’histoire Canada-Québec actuellement donné en quatrième secondaire. Il est prévu que le nouveau cours sera dispensé sur deux ans, en troisième et quatrième secondaire, soit à partir de l’automne 2007 pour la troisième, et à l’automne 2008 pour la quatrième.
L’histoire du Québec et du Canada sera résumée en six « thèmes ». Une ligne du temps proposerait (pour la première année du deuxième cycle) :
- à partir de 1500, les premiers occupants
- de 1608 à 1760, l’émergence de la société canadienne
- de 1760 à 1848, le développement des idées libérales dans la colonie britannique
- de 1848 à la fin des année 1920, la formation de la fédération canadienne
- de 1930 à 1980 environ, la modernisation de la société québécoise
- les enjeux de la société québécoise depuis 1980
Des omissions historiques inquiétantes
En effet, la période de la conquête de la Nouvelle-France, qui inclut la bataille des plaines d’Abraham de 1759, la Proclamation royale de 1763 et l’imposition du Serment du test (c’est-à-dire le reniement de l’Église catholique), fait partie d’une section dont l’intitulé est : « L’accession à la démocratie dans la colonie britannique ». Un exercise de réécriture qui renie une guerre, une annexion forcée à l’empire britannique, et l’abolition de plusieurs droits civiques en vigueur à l’époque de la Nouvelle-France. On peut lire ceci : « Alors qu’elle avait été autorisée dès 1763, ce n’est qu’en 1791 que, par l’Acte constitutionnel, la Chambre d’assemblée est créée. » C’est trente ans d’histoire et de conflits entre les vainqueurs et les vaincus qui sont évacués.
La Conquête est évoquée (sans être nommée) en ces termes : « La Nouvelle-France connaît une forme de gouvernement absolu. Le pouvoir est détenu par le roi de France, qui en délègue une partie au gouverneur. [...] Après 1763, c’est toujours un gouverneur, représentant cette fois le souverain britannique, qui dirige la colonie. » Nulle mention de la guerre et des combats entre les colonies britanniques et françaises.
Par ailleurs, le nouveau cours d’histoire ne parlerait plus de l’Acte de Québec de 1774, qui explique pourquoi le Québec a encore un code civil français de nos jours, une des références des tenants de la « société distincte » dans le grand tout-canadien. Et à propos de « société distincte », la saga de Meech et le rapatriement unilatéral de 1982 sont aussi absents du document. C’est vingt histoires contemporaines impliquant plusieurs premiers ministres du Canada et du Québec qui disparaissent. Sans oublier que le dossier "Meetch" est un "des rendez-vous de l’histoire" les plus chauds que le Canada ait connus.
Une histoire pour former une vision citoyenne
Ces changements apportés au cours d’histoire proviennent du fait que désormais, la discipline de l’histoire sera mise au service d’un objectif supérieur : « Le message, qui est subliminal mais assez clair là-dedans, c’est qu’il faut faire de l’histoire pas pour faire de l’histoire, mais pour éduquer à la citoyenneté », dit M. Cardin. Le document, dans l’énoncé de la compétence 1, ne dit pas autre chose : L’élève qui interroge les réalités sociales dans une perspective historique établit les fondements de son interprétation et se dote des assises historiques nécessaires à l’exercice de sa citoyenneté. Le savoir-agir qu’il développe ainsi lui permet de considérer le vivre-ensemble avec le regard d’un citoyen éclairé.
Conçu dans l’esprit socio-constructiviste de la réforme, qu’on a commencé à appliquer en première secondaire cette année, le nouveau programme estime que le savoir historique n’est pas très important : L’enseignement de l’histoire à l’école n’a pas pour but de faire mémoriser une version simplifiée de savoirs savants construits par des historiens ni de faire acquérir des connaissances factuelles de type encyclopédique, peut-on lire dans le document.
Ainsi, même si des études ont démontré depuis un certain nombre d’années, note M. Cardin, que « les jeunes ne savent plus qui est Montcalm ou Frontenac », le nouveau programme n’a pas pour but de corriger cet état de choses. « Ce n’est pas un retour aux dates, aux personnages » ; il s’agit de se servir de l’analyse de questions historiques « pour dégager une compréhension de certains concepts et pour construire des compétences intellectuelles liées à la citoyenneté, qui favorisent un exercice plus fécond de la citoyenneté ». M. Cardin explique qu’au fond, on veut que l’élève et futur citoyen, lorsqu’il regardera le télé-journal plus tard, « soit capable de faire des liens et d’aller au-delà d’une opinion de premier niveau pour essayer de construire une opinion plus informée, plus structurée ».
Une inspiration complètement anglophone
Une des sources d’influence des concepteurs de ce programme est ce qui se fait au Canada anglais, explique M. Cardin. Dans le reste du pays, l’histoire et la citoyenneté « forment un vieux couple ». Même dans les années 1950, dit-il, « on voulait former des citoyens à partir des cours d’histoire du Canada. Mais la notion de citoyenneté, entre 1959 et aujourd’hui, a énormément changé. Elle est beaucoup moins ethnique, beaucoup moins nationale ». Le mot « nation » n’apparaît évidemment pas dans le document, et même le Québec est rarement désigné autrement que sous l’expression de « société au sein de laquelle l’apprenant évolue ».
Dans le contenu aussi, le nouveau cours s’inspirera de ce qui se fait au Canada anglais : "Par exemple, l’histoire [du pays] ne commence plus avec Jacques Cartier, mais avec les autochtones."
Note : De nombreuses citations proviennent d’un article disponible sur le site du quotidien LeDevoir.com.
Commentaire personnel :
Décidément, pour l’option fédéraliste, la fin justifie les moyens. Après avoir financé tout un réseau parallèle de corruption avec le programme des commandites à l’avantage des libéraux fédéraux et provinciaux, après avoir bafoué les règles démocratiques du Québec avec option Canada, maintenant les libéraux provinciaux veulent réécrire l’histoire pour en évacuer tout irritant historique qui nuirait à une vision fédératrice du Canada.
Pour les lecteurs francophones du monde, il faut savoir que le Canada et sa province francophone du Québec sont impliqués dans une confrontation politique constante depuis les années 1960. À cette époque, une identité québécoise s’est construite sous l’impulsion de plusieurs premiers ministres du Québec (Lesage et Lévesque) et deux référendum ont été tenus au Québec sur la séparation d’avec le Canada. En 1982, le gouvernement fédéral canadien signait un nouveau pacte constitutionnel, sans obtenir l’adhésion du Québec. Le dernier référendum a été perdu par l’option souverainiste malgré 49% d’appui. Depuis ce temps, le combat idéologique perdure entre le Québec et le Canada, dans le cadre d’un débat politique pacifiste. Il est constamment ravivé par des scandales politiques divers.