Richard Ferrand, l’adjudant-chef promu humble maréchal

par Sylvain Rakotoarison
mardi 18 septembre 2018

« Notre caractère est déterminé par l’absence de certaines expériences plus encore que par celles que l’on fait. » (Nietzsche, 1878).



C’est à la rentrée parlementaire, le mercredi 12 septembre 2018 à 18 heures 20, que le nouveau Président de l’Assemblée Nationale a été élu par les députés en séance publique. Il s'agissait de prendre la succession de François de Rugy, nommé ministre le 4 septembre 2018 en remplacement de Nicolas Hulot. Ce petit jeu de chaises musicales a fait un heureux, l’ancien président du groupe LREM à l’Assemblée Nationale, Richard Ferrand, le candidat favori au perchoir.

Sans surprise, Richard Ferrand a été élu dès le premier tour. Mais il y a une surprise dans la non-surprise : des dizaines de députés LREM n'ont pas voulu lui faire confiance ! En effet, Richard Ferrand n'a reçu que 254 voix. C'était un peu au-dessus de la majorité absolue des suffrages exprimés (juste 11 de plus, car il y avait 484 suffrages exprimés), mais moins de la moitié du nombre total de députés. Beaucoup ont d'ailleurs boudé le scrutin. Sur le 577 députés, seulement 505 ont voté dont 21 blanc ou nul. C'est d'autant plus surprenant qu'il y aurait eu 285 députés LREM présents au scrutin sur les 312 que compte le groupe, si bien que des députés LREM ont voté pour un autre candidat.

Et c'était probablement en faveur du candidat du MoDem, Marc Fesneau, qui a obtenu (là aussi, c'était une grande surprise), 86 voix, alors que le groupe du MoDem ne compte que 46 membres. Même en comptabilisant les 31 membres du groupe UDI, cela n'atteint pas les 86 voix : des voix LREM, voire LR (qui n'a pas fait le plein) ont pu compléter. Les autres candidats étaient les suivants : Annie Genevard (LR) avec 95 voix (son groupe en compte 103), Ericka Bereigt (PS) avec 31 voix (1 de plus que l'effectif de son groupe) et enfin, Mathilde Panot (FI) avec 17 voix.

Cette mauvaise élection, du bout des lèvres, Richard Ferrand la devait probablement à sa manière de régenter, enrégimenter, caporaliser son groupe durant la première année de la législature. Mais aussi à une épée de Damoclès : son affaire judificaire a été délocalisée et il risque une mise en examen. Pas très "exemplaire". Que faire dans un tel cas ? démissionner ou se maintenir au risque d'affaiblir le pouvoir actuel et le parti majoritaire ?

Raison de plus pour rester humble dans cette fonction. Préparée à l'avance (et lisible ici dans son intégralité), l'allocution de Richard Ferrand après sa montée au perchoir fut plutôt bien tournée : « C'est avec une profonde humilité, mêlée de gravité, que je me suis présenté à vos suffrages. (...) J'ai parfaitement conscience que mon élection est plus le fruit de réalités politiques majoritaires que l'issue d'une compétition de talents. ».

Puis, il a exprimé une véritable profession de foi politique : « La foi en l'avenir est une impérieuse nécessité face aux crispations du monde, à l'accélération des transitions et aux bouleversements qui génèrent doutes, guerres, souffrances, mais qui offrent aussi tant d'opportunités. Ce qui nous porte toutes et tous, je le sais, c'est la volonté de défendre une certaine idée de l'intérêt général et une conception du progrès et de la solidarité dans notre vie en société. Soyez certains, mes chers collègues, que je serai garant de cette pluralité de convictions et d'actions. (...) Je suis fondamentalement attaché à des valeurs simples : le travail, la loyauté, le sens de l'honneur et le respect de la parole donné. Ce sont là, à mes yeux, les traductions concrètes, effectives, dans la vie, de notre devise, liberté, égalité, fraternité (...). Notre institution est sacrée, et je veillerai de toute mon énergie à sa vigueur comme au respect qu'elle appelle, sans lesquels notre République serait mise à mal. Nos débats sont souvent passionnés, et nos comportements, généraux d'enthousiasme, disons-le ainsi. Veillons ensemble à ce que les passions légitimes qui nous animent ne dégradent pas l'idée que nos compatriotes peuvent se faire de nous collectivement. Veillons à ce que la pertinence soit toujours mieux entendue que la seule impertinence. Cherchons ensemble à éclairer plutôt qu'à briller, afin que le législateur que nous sommes trouve toujours ce qui répond le mieux à l'intérêt général. » (12 septembre 2018).

Revenons maintenant à la primaire qui a conduit à l'élection de Richard Ferrand. Auparavant, lors de leur réunion en séminaire à Tours le 10 septembre 2018, les 310 députés du groupe LREM ont désigné leur candidat. Comme ils ont la majorité absolue au Palais-Bourbon, leur choix allait être nécessairement le choix de l’ensemble des députés. Quatre candidats étaient en lice dont le favori, Richard Ferrand, qui a obtenu 187 voix sur 299 votants et 291 exprimés. Une victoire large mais, là non plus, pas un plébiscite unanime (moins des deux tiers). Si deux candidats ne représentaient qu’eux-mêmes (Philippe Folliot 4 voix et Cendra Motin 15 voix), la candidature de l’ancienne ministre écologiste Barbara Pompili, actuelle présidente de la commission pour le développement durable, a obtenu 85 voix, ce qui est notable.

Mais dès lors que la redoutable présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet, furtive candidate, a renoncé à se présenter le jour même de sa déclaration de candidature, le 6 septembre 2018, après avoir qualifié Richard Ferrand de représentant de "l’ancien monde", renoncement après un coup de téléphone de Matignon ou de l’Élysée, il n’y avait plus beaucoup de suspens.

Comme je l’ai évoqué précédemment, le pouvoir actuel a raté l’occasion d’une véritable ouverture politique, celle d’installer au perchoir une femme pour la première fois dans l’histoire de la République. Mais encore fallait-il que ce ne fût pas la seule qualité du nouveau locataire de l’Hôtel de Lassay !

Ainsi, la campagne interne de Barbara Pompili était assez désastreuse puisque son seul argument était d’être une femme. Or, si effectivement, elle est bien une femme, c’était un peu court politiquement pour oser espérer s’imposer et devenir le quatrième personnage de l’État (désolé pour le masculin).



Et comme représentante de "l’ancien monde", Barbara Pompili était bien placée avec ses multiples retournements de veste : coprésidente du groupe des écologistes en 2012, sous-ministre socialiste en 2016 et députée En Marche en 2017, elle représente exactement ce que les électeurs détestent, l’arrivisme, ici dans sa version pseudo-écologiste comparable à celle de Jean-Vincent Placé (qui vient d'être condamné pour violences le 10 septembre 2018 à trois mois de prison avec sursis) et François de Rugy (ce dernier étant le champion puisqu’il a été candidat à la candidature socialiste à l’élection présidentielle !).


On peut regretter raisonnablement l’absence, au sein du groupe des députés LREM, de femmes d’État d’expérience qui auraient eu vocation à être Présidente de l’Assemblée Nationale, de la carrure d’une Simone Veil, d’une Michèle Alliot-Marie, d’une Ségolène Royal ou même d’une Christiane Taubira. Mais c’est la caractéristique de tout nouveau parti politique. Rien n’empêche que la fonction crée la personne qui l’occupe, si le "casting" est bon. Ce ne fut pas le cas de François de Rugy. Espérons le contraire pour Richard Ferrand.



En ce sens, Richard Ferrand a été le choix la plus "juste" des engagements présidentiels et il a eu raison de dire le 10 septembre 2018 qu’il n’était pas un "chouchou" et qu’il a été normalement élu par des députés LREM eux aussi légitimes. Ce procès en favoritisme pourrait être fait pour quasiment tous ses prédécesseurs.

Rappelons par exemple l’élection au perchoir de 1978, au pire moment du conflit chiraco-giscardien. Edgar Faure, ancien radical et donc centriste, Président sortant (élu en 1973), a voulu se faire reconduire. Il a été activement soutenu par le RPR de Jacques Chirac (Edgar Faure avait été nommé ministre par les gaullistes). Pour éviter la victoire du RPR, les giscardiens de l’UDF centriste (parti tout nouveau) ont soutenu au contraire Jacques Chaban-Delmas, pourtant baron gaulliste (adversaire présidentiel de Valéry Giscard d’Estaing en 1974, mais "bête noire" récurrente de Jacques Chirac). Résultat, Jacques Chaban-Delmas, dont la légitimité historique était déjà acquise, fut élu à fronts renversés !

Richard Ferrand, qui n’est député (breton) que depuis juin 2012 (élu avec la photo de François Hollande sur l’affiche), est plutôt dans le cas de Bernard Accoyer. Ce dernier fut président du groupe UMP à l’Assemblée Nationale lors du dernier mandat de Jacques Chirac puis Président de l’Assemblée Nationale lors du mandat de Nicolas Sarkozy (et fut désigné secrétaire général de LR après la désignation de François Fillon lors la primaire LR de novembre 2016).



Après avoir été socialiste, Richard Ferrand a sympathisé avec Emmanuel Macron, alors Ministre de l’Économie, en étant rapporteur de la loi Macron. Richard Ferrand fut même le premier député à avoir cru en la démarche présidentielle d’Emmanuel Macron. En 2016, il fut le secrétaire général du mouvement En Marche pour organiser la campagne présidentielle et, après un court passage dans un ministère (écarté à cause d’une affaire judiciaire), il a pris en main en juin 2017 le pléthorique groupe des députés LREM, pour la plupart novices non seulement du Palais-Bourbon mais aussi de l’engagement politique en général.

Cette fonction de président du groupe LREM, actuellement vacante, va d'ailleurs faire l'objet d'un vote ce mardi 18 septembre 2018. Dix candidats sont sur les rangs (ils avaient jusqu'au soir du 13 septembre 2018 pour se déclarer) : Amélie de Montchalin, Gilles Le Gendre, Brigitte Bourguignon, Roland Lescure, Gabriel Attal, Laetitia Avia, Bruno Bonell, Jean-Charles Colas-Roy, Perrine Goulet et Rémy Rebeyrotte (Bruno Bonell et Gabriel Attal ont renoncé à leur candidature le 17 septembre 2018).

Parmi les responsabilités qu’avait assumées Richard Ferrand jusqu’à maintenant, il y avait aussi le poste déterminant de rapporteur général de la réforme des institutions. Vu la difficulté des débats parlementaires sur cette réforme très mal engagée en juillet 2018, son successeur à ce rôle essentiel aura une responsabilité très forte dans le dispositif du gouvernement actuel.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 septembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Allocution de Richard Ferrand lors de son élection au perchoir le 12 septembe 2018.
Richard Ferrand, l’adjudant-chef promu humble maréchal.
Résultat de l'élection du nouveau Président de l'Assemblée Nationale du 12 septembre 2018.
Richard Ferrand, candidat favori au perchoir.
Il faut une femme au perchoir !
Emmanuel Macron.
Édouard Philippe.
Nicolas Hulot.
Christophe Castaner.
La XVe législature.
Richard Ferrand et son affaire.
François de Rugy.
Claude Bartolone.
Patrick Ollier.
Jean-Louis Debré.
Raymond Forni.
Laurent Fabius.
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Jacques Chaban-Delmas.
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