Robert Redeker, idiot utile ?
par Konrad Elling
jeudi 26 octobre 2006
Chacun peut désormais faire, au travers de l’information relayée ou non par les médias, ce même constat : sur les récents développements de l’affaire Redeker, un silence gêné paraît dorénavant de mise. On attendrait pourtant davantage. Une mise au point rendue publique de la part du principal intéressé. A défaut, une déclaration des autorités. Qu’on nous explique au moins si l’enquête diligentée depuis fin septembre a pu déboucher sur quelque chose. Un suspect a été arrêté, puis remis en liberté surveillée. Il aurait de sa propre initiative, croit-on savoir, expédié des mails de menace à ce professeur de philosophie du secondaire, Robert Redeker, à la suite de la publication le 22 septembre dernier dans le Figaro de sa tribune « Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre ? » L’homme aurait agi seul. Musulman, certes, mais musulman modéré, il n’aurait aucun antécédent judiciaire. Et pas le moindre contact avec quelque réseau activiste que ce soit, pas davantage la nébuleuse Al-Quaïda que le G.I.A. algérien... Pourtant, on nous précisait, il n’y a pas si longtemps, que l’affaire Redeker s’inscrivait logiquement dans le contexte de menaces terroristes précises reçues de l’étranger, et même de la reprise possible d’une vague d’attentats islamistes en France, semblable à celle connue il y a maintenant une dizaine d’années. On voudrait apeurer l’opinion majoritaire, lui forcer la main dans le sens de la défiance de l’autre et du repli sur soi, on ne pouvait pas mieux faire. Qu’on se rappelle ces déclarations et prises de position publique en défense de la « liberté d’expression » désormais menacée, en France aussi, prétendait-on, le soutien des politiques, des syndicats et des associations, apporté à l’homme, contraint depuis fin septembre de se cacher, de changer régulièrement de domicile, en raison des menaces précises qu’il auraient reçues, ne pouvant plus désormais enseigner. On aurait tout lieu de le plaindre, sincèrement.
Seulement, la réalité semble bien différente. Robert Redeker bénéficie toujours, jusqu’à preuve du contraire, d’une protection policière rapprochée, mais est-elle réellement encore justifiée ? Sur Europe 1, le 29 septembre dernier, il expliquait recevoir quotidiennement des messages hostiles à son adresse de courrier électronique - qu’il a lui-même largement diffusée -, que la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) lui avait même communiqué des pages de forums islamistes djihadistes, en anglais, sur lesquelles se trouvaient sa photo, son adresse et un plan de rue pour se rendre à son domicile« , à ce que rapportait Le Monde. On se souvient probablement encore du chef d’établissement de Redeker montrant sous les caméras la réalité des menaces de mort reçues par l’intéressé. Et pourtant... Mohamed Bechari, président de la Fédération Nationale des Musulmans de France, a souligné émettre »un doute sérieux sur l’origine de ces menaces« , évoquant même la possibilité d’une »manipulation« politique quelques mois avant les élections présidentielles de 2007. Sur Legrandsoir.info, Leila Salem affirmait qu’après la publication de la tribune incriminée, jamais »personne ne demanda la tête de Redeker ni même évoqua l’affaire du ’philosophe’ français. Redeker conserva son statut du parfait inconnu dans le monde arabo-musulman« . Redeker cible de menaces internationales ? On peut ainsi sérieusement en douter. Mais il y a mieux encore. Benidiri Redha, sur le même site, déclare avoir parcouru le web »à la recherche des fameuses menaces de mort et du plan menant à sa maison ! J’ai passé en revue avec mes amis plus de deux cents sites musulmans et islamistes en arabe, en français et en anglais, sans rien trouver...« . De fait, personne n’a encore pu retrouver ces traces de menaces précises publiquement évoquées, y compris sur le site du Cheikh Al Qaradaoui, qui aurait prononcé cette ‘fatwa’ à l’encontre du ‘philosophe’ français. D’autres ont pu encore dénoncer l’usage même du terme ‘fatwa’ utilisé par les politiques dans cette affaire, Dominique de Villepin, le 29 septembre sur RMC, François Fillon, Laurent Fabius. Ou bien encore le parallèle entre la situation qui est actuellement celle de Robert Redeker et celle de Salman Rushdie... Et pourtant, Redeker n’est pas musulman. Il n’a rien sans doute pour avoir mérité ce qu’on appelle une ‘fatwa’.
De fait, qui peut bien encore aujourd’hui s’intéresser à Redeker, à sa prose nauséabonde, et vouloir encore lui apporter son soutien ? La réponse à cette question ne fait aucun doute : des individus et des sites, politiquement marqués du côté de certains nationaux-conservateurs et d’une droite frileuse et étriquée, faisant de l’islamophobie leur fonds de commerce habituel. Des personnalités et des groupes de pression, ayant probablement eux-mêmes tout intérêt à ce que la France rejoigne rapidement le camp dit »de la civilisation", et lui sacrifie même, en cas de besoin, une fraction numériquement non négligeable de sa communauté nationale. Cela n’est pas admissible. Et il faut bien constater que dans l’affaire Redeker, si tentative de manipulation de l’opinion il y a eu, celle-ci se trouve depuis largement éventée. Qu’on puisse au moins apprendre que l’intéressé a pris depuis le chemin de son lycée. Il n’y a probablement plus aucune raison qu’il ne le fasse, sinon à craindre le ridicule. Ou bien qu’il ne soit plus psychiquement lui-même en état de le faire.