Rocard appelle Royal à pousser ses électeurs dans la gueule du Lou Bayrou

par Benj
mardi 17 avril 2007

L’appel de Rocard en faveur d’une alliance Bayrou - Royal est une véritable torpille tirée contre le paquebot Royal. Mais les réactions du PS et de Bayrou montrent qu’il sera difficile de « faire bouger les lignes » avant le premier tour.

Coup de tonnerre au centre gauche. Michel Rocard, dit Rocky Blablabla, a appelé, dans une tribune publiée dans Le Monde daté de samedi, à une "alliance" entre Ségolène Royal et François Bayrou "avant le premier tour" de l’élection présidentielle pour battre Nicolas Sarkozy.

« Dans quelques jours, les Français décideront qui, de François Bayrou ou de Ségolène Royal, sera le mieux à même de battre Nicolas Sarkozy. Et ils le feront d’autant mieux qu’ils sauront que, dans tous les cas, une alliance sincère et constructive défendra au second tour puis aux législatives un projet commun d’espoir pour la France », écrit M. Rocard.

Un appel promptement applaudi par les « Gracques », cet improbable groupe de pression occulte dont les membres se disent socialistes (ils le sont au moins dans la mesure où ils occupent des postes de hauts fonctionnaires qui leur ont été confiés par le PS) mais appellent à voter pour un candidat de droite, recentré aussi récemment qu’opportunément. Le tout, comble de la légitimité, en dissimulant leur état civil, des fois que leur stratégie de recentrage aboutisse dans le mur.

Employant un vocabulaire qui illustre assez bien leur grande proximité culturelle avec le bon peuple de France, ces « Gracques 40 » se déclarent même « emplis d’aise » par l’appel de Rocky... On dirait du Balladur dans le texte, mais non, il paraît que ce sont des « hommes de gauche » qui parlent...

Pour revenir à notre mouton blablatant, voilà une bien étrange sortie de la part de l’ancien Premier ministre socialiste, auquel, selon nos informations, personne n’avait demandé son avis depuis une bonne décennie.

Mais qu’à cela ne tienne, projetons-nous dans ce scénario. A quelques jours du premier tour, Royal et Bayrou, sur injonction de l’immense Rocky, tiennent une conférence de presse commune pour répéter mot pour mot ce qu’il leur a dit. Pas très crédible, mais admettons.

Que se passe-t-il alors dans la tête des électeurs qui prévoyaient de voter pour l’une ou l’autre ? C’est simple : puisque Royal et Bayrou, ce serait bonnet blanc et blanc bonnet, au lieu de voter pour le (la) candidat(e) qui leur semble avoir le meilleur programme, la meilleure image, ou dieu sait quelle qualité, ils n’ont plus qu’une question à se poser : qui serait le mieux à même de battre Sarkozy au second tour ?

Connaissant l’opposition viscérale d’une très grande partie de la gauche à Sarkozy, l’effet TSS assure un excellent report des voix de gauche (PS mais aussi extrême gauche et Verts) sur Bayrou au second tour. En revanche, du côté de l’électorat Bayrou (du moins si une telle chose existe vraiment, au-delà de la barre des 7% frôlée par le candidat de droite centriste en 2002), il y a fort à parier qu’une proportion non négligeable voterait Sarkozy - en particulier parmi ceux de 2002, qui n’auraient probablement pas voté pour Bayrou s’il leur avait chanté son tube « ni droite ni gauche ».

Dans ces conditions, pour tout homme de gauche, à moins d’être tombé follement amoureux de Ségolène pendant la campagne, le choix est vite fait : mieux vaut voter Bayrou au premier tour que de voir Sarkozy élu - d’autant que selon un très récent rapport des RG révélé par le Nouvel Obs, un second tour Sarken - le Pozy est loin d’être exclu.

L’homme de gauche, qui en 2002 a voté Chirac la mort dans l’âme après avoir espéré et cru en la victoire de Jospin, sera-t-il prêt à courir le risque de laisser la droite dure de Sarkozy et l’extrême droite vaguement ramollie de Le Pen monopoliser à nouveau le débat du second tour ?

Dans ce contexte, suivre le conseil de Rocky serait tout simplement suicidaire pour Royal, puisqu’il enverrait à ses électeurs et à ses troupes un signal de démobilisation - voire de démoralisation. Disons-le clairement, ce serait jeter ses électeurs dans la gueule du Lou Bayrou.

Sauf à penser que Rocky, autrefois moqué pour ses raisonnements terriblement conceptuels, est aujourd’hui complètement ramolli du bulbe, bref qu’il se « barrise » à grands pas, on se demande ce qui a bien pu lui inspirer cette idée saugrenue, sinon perfide.

Une seule explication possible : Rocard pense que Royal n’a aucune chance face à Sarkozy.

On peut partager son avis, mais quoi qu’il en soit, il est clair que Royal ne s’effacera pas devant Bayrou avant le 1er tour. Et en admettant, même implicitement, qu’elle pourrait appeler à voter Bayrou au second tour s’il se qualifiait, elle crédibiliserait le scénario de Rocard et accélérerait par là même la fuite des ses électeurs dans le giron centriste. Elle ne le fera donc pour rien au monde.

De fait, au vu tant des intentions de vote que de l’équilibre politique traditionnel du pays, si quelqu’un devait s’effacer, ce rôle reviendrait plutôt à Bayrou. Qui bien sûr, ne l’envisage pas, et s’entête à balayer d’un revers de main l’éventualité qu’il ne soit pas au second tour.

Au fond, la grande question est la suivante : que fera Bayrou s’il n’est pas au second tour ? Aura-t-il le courage d’appeler à voter Royal et de réaliser une alliance avec les socialistes pour les législatives ? Et quand bien même ce serait son intention, ses troupes (ou plutôt ce qu’il en reste) le suivraient-elles ? Connaissant les caciques de l’UDF, habituellement plus attachés à leur carrière qu’au destin du pays, et qui ont soutenu Balladur comme un seul homme en 1995, rien n’est moins sûr...

D’autant que la réaction de Bayrou, Lou Ravi que « ça bouge », n’augure pas d’un prochain déblocage de la situation, puisqu’il s’est contenté de d’affirmer que l’appel de Rocard vérifie « cette intuition qui est la sienne et qu’il défend depuis longtemps  », mais sans s’engager clairement à réaliser une alliance avec le PS qu’il soit au second tour ou pas.

Pourtant, pour attirer davantage de sympathisants de gauche et avoir une réelle chance de dépasser Royal au premier tour, Bayrou devra prendre position entre Ségo et Sarko. Car s’il se déclare plus proche de Royal, alors il pourra faire jouer à plein son statut, réel ou supposé, de meilleur challenger possible pour battre Sarko, et relancer « l’effet Bayrou », qui s’est grippé lorsque les électeurs votant habituellement pour le PS et l’UMP, mais qui ne supportent pas Ségo ou Sarko, ont fini de rejoindre le rang de ceux qui déclarent vouloir voter pour lui. On l’a vu, ce matelas n’a pas suffi à le faire dépasser Royal. Sa seule chance est donc de s’emparer d’un second matelas - celui des électeurs socialistes qui, sans rejeter Royal, seraient prêts à l’abandonner au milieu du gué s’ils étaient sûrs que cela déboucherait sur un gouvernement de coalition de centre gauche.

C’est justement la crédibilité de cette hypothèse que Rocard a voulu renforcer avec son appel. Les prochains jours diront s’il y est parvenu.


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