Royal-Bayrou : le dīner de cons ?

par LM
lundi 30 avril 2007

Annoncé, annulé, reporté, finalement organisé au pied levé, la rencontre entre Ségolène et son autre François a finalement eu lieu samedi. Et alors ? Pas grand-chose, du bavardage sans ampleur qui n’aura servi ni desservi aucun camp.

Il a finalement eu lieu, le fameux débat PS-UDF. Autour de la table nappée d’un hôtel parisien. Il a finalement eu lieu, ce débriefing si « important pour la démocratie ». Ce « dialogue » qui menaçait, ces derniers jours, de transformer la campagne présidentielle en affrontement des plus sanglants. On a parlé de pressions, de menaces, de chantage, de « procès de Moscou », on a gesticulé dans les états-majors pour finalement aboutir à une heure, en fin de matinée, un samedi matin.

La dame du PS était souriante, d’entrée nettement plus détendue qu’à l’accoutumée. Le monsieur du centre était souriant, ravi d’avoir une nouvelle fois réussi son effet. Semer la zizanie en prenant les électeurs pour des pigeons, sport favori de monsieur Bayrou. Parce qu’au fond, quel était la véritable utilité de cette rencontre ? Pour Royal, une seule ambition, illusoire, mais à tenter quand même, une sorte de « tout pour le tout » : inciter Bayrou à appeler à voter pour elle. Pour Bayrou, un seul objectif aussi, devant l’hémorragie de son parti (pas tant au niveau des électeurs que des députés) : sauver ce qui peut l’être en tentant de convaincre tout le monde, les médias autant que les sceptiques votants, que son futur Parti démocrate a une chance d’exister un jour, de ne pas rester qu’un feu de paille. Ces deux points-là sont les seuls enjeux, les seules motivations de cette initiative scabreuse, assez cocasse et, il est vrai, plutôt inédite. Ce débat-là n’avait évidemment pas pour objectif, jamais une seconde, de montrer qu’en France les choses avaient changé, que les clivages étaient tombés, que maintenant on allait faire de la politique autrement. Au contraire, c’était bien la preuve qu’on continue, Bayrou compris, à faire de la politique comme avant, petits arrangements entre amis (ou ennemis) compris.

Alors, pendant une heure, madame Royal a minaudé devant son autre François, souriante, jamais vexée, même quand celui-ci lui signifiait que certaines de ses propositions étaient assez ridicules ou « pas sérieuses » (salaire minimum européen) même quand il lui faisait remarquer qu’elle changeait d’avis comme d’ordre juste (les 35 heures). Rien ne semblait pouvoir ôter du visage de Ségolène le sentiment de joie qui se lisait sur ses traits. Elle était heureuse. Se laissant même aller à quelques plaisanteries avec son interlocuteur. Comme elle l’avait dit vendredi sur TF1, « en fin de campagne, on peut faire de l’humour ». C’est bien vrai ça, Ségolène, on peut faire de l’humour. Mais l’humour ne suffit pas. Pendant qu’elle se bidonne avec le troisième homme, les caciques du parti, tous en rangs serrés sur les chaises, pas tous convaincus du bien-fondé de l’histoire, font fumer leurs calculettes pour savoir si ça peut passer. Pour compter ce qui converge et ce qui diverge. Et dix verges, pour citer (encore) Desproges, c’est « beaucoup pour un seul homme »... et une seule femme.

Des convergences, des divergences, ils n’avaient que ces mots-là à la bouche. Et chaque fois que Ségolène pouvait souligner que « sur ce point-là, nos opinions convergent » elle ne ratait pas l’occasion. Elle voulait conclure, ce samedi. Mais elle n’a pas conclu. Le centriste du Béarn n’est pas né de la dernière cohabitation, et lui n’était pas venu tomber dans les bras du PS. Non, lui était là pour entériner autant que faire ce pouvait l’acte de naissance de ce qu’il est encore le seul à considérer comme « la troisième force politique du pays ». Dans l’immédiat, l’UDF n’a réussi qu’une seule élection. Ou plus précisément, qu’un seul premier tour d’élection. Pour la suite, ça se complique. Rien aujourd’hui ne garantit que le parti centriste conserve aux prochaines législatives ses vingt-sept députés, ni qu’il en obtienne davantage. Tout cela sera compliqué pour l’ami de Jean-Marie Cavada.

Aussi, samedi, à l’hôtel, Bayrou avait donné rendez-vous à Royal pour montrer à Sarkozy qu’il pouvait lui tenir tête (une façon de bomber le torse) tout en soulignant ses « divergences » avec le programme de la socialiste. Divergences qui confirment Bayrou bien plus à droite que Royal. Ce qui n’est pas une nouveauté, ce que soulignent les députés UDF qui s’encartent chez Sarkozy ces derniers jours en file indienne. Samedi, en fait, Bayrou est venu réaffirmer à Sarkozy, en une sorte de gros clin d’œil, qu’il était toujours de sa famille. « Nicolas Sarkozy n’est pas mon ennemi », c’est son « amitié de trente ans » à lui. Une accolade en vue du troisième tour de juin. Parce que s’il est un point sur lequel Bayrou « converge » avec nombre de socialistes, c’est qu’il ne croit pas une seconde à une victoire de Royal.

Comme dans tout rendez-vous amoureux, les chances que ça marche reposent sur la condition sine qua non que les deux protagonistes aient le même objectif. Le même désir (d’avenir). Or, samedi, Ségolène et son autre François n’avaient pas le même objectif. Cette rencontre ne pouvait donc aboutir à rien (qu’à un dîner de cons ?), et surtout pas à un ralliement. Pas tout à fait quand même un coup pour rien pour Ségolène, qui aura pu ainsi tester la capacité de maîtriser ses nerfs de Sarkozy, à quelques jours du grand débat, le petit Nicolas ayant excessivement perdu son calme alors que l’affaire ne le justifiait pas. Si ce débat n’aura ni « bougé les lignes », ni « rompu les clivages » il aura au moins servi à cela : montrer à quel degré de tension on en est arrivé entre les deux finalistes. Ca promet pour mercredi.

Quant à François Bayrou, qui aura pu décliner une nouvelle fois son programme, désormais caduque, comme aux plus belles heures de ses envolées sondagières de l’avant premier tour, il pourra au moins s’enorgueillir de voir les deux finalistes promettre des « ministres UDF » dans leur gouvernement éventuel (même si ces ministrables ne lui sont plus fidèles) et madame Royal ne pas écarter totalement l’hypothèse des grandes oreilles pour Matignon. Ségolène aura tout tenté pour combler son retard, Nicolas « tout donné » pour accentuer son avance.

Le philosophe Laurent Paganelli déclarait très justement, au sortir d’un vestiaire : « L’essentiel, c’est de ne pas avoir de regret. »


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