Samuel Huntington : choc des civilisations ou choc de l’ignorance ?

par Algy
lundi 29 décembre 2008

Samuel Huntington vient de mourir le 24 décembre dernier. Ce professeur de science politique, qui a enseigné à Harvard pendant près de 58 ans, s’était surtout fait connaître par la théorie du « choc des civilisations » exposée pour la première fois en 1993 dans un article de Foreign Affairs.
Pour Huntington, la scène internationale de l’après-guerre froide devait être le théâtre de conflits violents, non plus entre États-Nations mais entre civilisations. Parmi les 7 ou 8 civilisations mondiales qu’il identifiait, Huntington prévoyait notamment que la civilisation occidentale et la civilisation islamique seraient inéluctablement amenées à s’affronter.
Rien de surprenant dès lors, que cette théorie ait connu un succès considérable dans l’après 9/11. 
J’ai toujours cependant gardé mes réserves quant à cette théorie dont les prémisses me semblent erronées sinon fallacieuses. Ainsi la théorie de Huntington me semble problématique car elle se fonde sur une idée fausse de ce que serait la/les civilisation(s). Pour Huntington, les droits de l’homme, la démocratie sont des valeurs exclusivement occidentales que ne peuvent connaître les autres civilisations. Prétendre à l’universalisme, n’est qu’une forme d’impérialisme. Islam et démocratie serait ainsi fondamentalement antinomiques.
Il n’est pas facile de rivaliser avec le pouvoir simplificateur d’une théorie qui décrit un monde fait de blocs et d’entités distinctes, aux différences irréconciliables et indépassables, où l’Autre, est cet inconnu avec qui l’on ne croit rien pouvoir partager pas même de prétendues valeurs universelles.
Il est plus difficile pour la thèse adverse de se faire entendre car elle doit faire admettre un monde infiniment plus complexe où chaque entité est tout sauf un bloc monolithique, où les identités sont multiples presque insaisissables jamais définitives. De qui et de quoi parlait Huntington quand il pensait décrire le monde islamique comme une civilisation ? Son échantillon comprenait-il 500 Indonésiens, 200 Pakistanais, 100 Algériens, 50 Bosniaques ? Il semblait ignorer la complexité, la diversité et les dynamiques internes de ce qu’il croyait être des blocs.
Et, dans cette guerre des civilisations que nous promettait Huntington et que certains ont cru reconnaître dans le monde de l’après 11 septembre, le danger n’est pas tant cet Islam rétif aux valeurs occidentales que l’alliance objective entre les faucons de l’ancienne administration Bush et les islamistes de la sous-traitance Al-Quaediste.
La civilisation telle que semblait la comprendre Huntington inscrit les individus dans des identités éternelles, indélébiles, impérissables, des prisons indépassables. Il me semble au contraire que la mondialisation, les progrès de la communication, les migrations, et les échanges au sens large du terme (qui sont aussi vieux que le monde et qui n’ont pas débuté avec ce que l’on appelle la globalisation) anéantissent cette vision de la civilisation immuable. Les individus et les communautés humaines sont gardiens, il est vrai, de patrimoine et de valeurs, mais ceux-ci sont plutôt qu’une chasse-gardée, le fruit d’un savant mélange entre traditions et incorporations de ce qui vient d’ailleurs.
Autrement dit, la théorie de Huntington bien que séduisante me semble décrire bien plus le choc des ignorances que le choc des civilisations.

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