Sarko, beurs et communautarisme
par akram belkaïd
mercredi 21 février 2007
La chronique du blédard : Comment s’opposer à Sarkozy sans limiter son argumentaire à des éléments qui relèvent du communautarisme ?
Mais qu’est-ce qui est le plus important, dans la somme -impressionnante- de griefs adressés à l’encontre de Sarkozy ? Sa vision néolibérale de l’économie, ou son soutien sans nuance aucune à Israël durant la guerre du Liban de l’été dernier ? Est-ce le fait qu’il veuille casser les 35 heures, ou ses propos inadmissibles sur la banlieue ? Sont-ce ses insinuations fétides sur les chômeurs -qu’il oppose à la France qui se lève le matin pour aller travailler- ou sa visite de quasi-allégeance à George W. Bush (pauvre gaullisme, qu’a-t-on fait de toi...) ?
Est-ce sa volonté -qu’il tente pour l’instant de masquer- de faire payer moins d’impôts aux plus riches -ou la manière minable avec laquelle il a tenté récemment d’entretenir l’amalgame entre les musulmans de France et ceux qui ont des comportements condamnables- mais très minoritaires -, par exemple, le fait d’égorger le mouton de l’Aïd dans sa salle de bain ? Est-ce la connivence envahissante qu’il entretient avec les patrons de presse, ou la manière dont il a instrumentalisé des organisations intégristes dont on se demande de quel droit elles parlent au nom de tous les musulmans de France ? La réponse est : les deux mon général (c’est une façon de parler, n’y voyez aucune allusion subversive...)
Il m’arrive parfois d’essuyer des reproches de communautarisme à propos de certains de mes écrits, et je vous avoue que j’ai du mal à les comprendre. On est ce que l’on est. Ecrire, prendre la parole, en feignant d’oublier d’où on vient et ce à quoi l’on est, qu’on le veuille ou non, rattaché -je n’ai pas dit attaché- est une hypocrisie. Dans le même temps, dire « je ne vote pas pour Sarkozy parce qu’il cogne sans cesse sur les banlieues ou sur les Arabes », c’est effectivement faire du communautarisme.
Mais je ne suis pas sûr qu’il s’agisse du bon terme. A bien y réfléchir, je dirai que c’est simplement de l’égotisme (un peu à l’image de la chronique du blédard...). C’est une manière de jauger les questions politiques selon sa propre perception tout en se réfugiant derrière l’appartenance à une supposée communauté. Car, au risque d’étonner, j’estime qu’il n’existe pas de communauté maghrébine en France, pas plus qu’il n’existe de communauté musulmane. Dans les deux cas, c’est une extrême hétérogénéité qui prime et les différences, sociales, culturelles et même politiques, sont bien plus importantes que ce qui rassemble. Tout au plus pourrait-on parler de minorités, mais là encore, rien ne permet d’affirmer que tous les Franco-Maghrébins ou que tous les Franco-musulmans se sentent appartenir à une minorité bien définie.
Ce qui pousse, par contre, au communautarisme ou à la revendication, parfois vindicative, d’appartenance à une minorité, c’est le discours de l’autre. L’ignare, le raciste ou le provocateur. C’est le propos stigmatisant qui laisse entendre que vous appartenez nécessairement à tel ou tel bloc du fait de votre patronyme ou de votre manière de prier Dieu. Je ne sais pas si Sarkozy est un adepte du communautarisme ou s’il entend exploiter ce registre pour arracher la victoire. Ce que je sais, par contre, c’est qu’à chaque fois qu’il s’en prend à « ceux qui n’ont qu’à quitter la France s’ils ne l’aiment pas » -suivez mon regard- il donne du souffle à la tentation communautariste, ce qui, bien sûr, ne peut que servir ses ambitions politiques. Au demeurant, ils sont nombreux à ne pas aimer, non pas la France, mais ceux qui la dirigent -ou aspirent à le faire- et je ne vois pas pourquoi ils la quitteraient.
Passons très vite sur ceux qui y trouvent un intérêt matériel direct et qui -au-delà de toute conviction politique ou de tout engagement personnel- se sont acoquinés avec la droite parce qu’il y avait une opportunité, ou qu’en face les places étaient déjà prises. Le cas de certaines associations montées à la va-vite mais avec force subventions, depuis les émeutes de 2005, parle de lui-même.
Il y a ceux, vraisemblablement plus rares, qui ont dépassé la question de leur identité et qui font leur choix en fonction de critères plus nationaux et du discours auquel ils adhèrent le plus. C’est l’ordre musclé pour les uns, la valeur travail pour les autres, tout cela sans négliger le fait que de nombreux beurs voient en Sarkozy quelqu’un qui n’est finalement qu’un fils d’immigré qui a réussi. Et puis, il y a les « beurgeois », ravis d’être arrivés où ils sont, apeurés de ne plus y être et qui estiment que voter pour la droite achève de conforter leur statut social.