Sarko facho ou escroc ?

par masuyer
lundi 16 avril 2007

Quand Nicolas Sarkozy permet de mieux comprendre les mécanismes de l’accès au pouvoir en démocratie et quand on se rend compte que ces mécanismes ne sont ni propres aux démocraties ni à notre époque.

Notre pays vit dans un affrontement droite-gauche qui nous est propre, car c’est un héritage de notre histoire. Mais l’ensemble des pays démocratiques connaît ce clivage, même s’il revêt d’autres formes. Depuis des siècles (depuis le néolithique et l’apparition de l’agriculture pour Marx), les sociétés ont été divisées entre une minorité qui possède des biens et des outils de travail et une majorité qui possède uniquement sa force de travail, le pouvoir allant à la minorité et celle-ci exploitant la majorité. Cette minorité, pour garder le pouvoir, s’est appuyée sur différents leviers (la religion, l’armée, etc...). La majorité s’est plusieurs fois rebellée et a voulu détruire le système, ce qui est logique. Les "possédants" ont dû s’adapter pour survivre et surtout rester à leur place.

Aujourd’hui, rien n’a changé. Cette lutte des classes existe toujours. Elle s’est seulement pacifiée par le système démocratique (les possédants ne souhaitant pas forcément, et c’est humain, finir décapités comme Louis XVI par exemple, n’est-ce pas M. Sarkozy ?).


Avec le suffrage universel, la position de la droite qui représente les intérêts de la minorité possédante (ce qui n’est pas une insulte, les possédants ayant le droit de voir défendre leurs intérêts) devient plus délicate. En effet, logiquement, avec le suffrage universel doivent s’imposer les intérêts de la majorité, censée être représentée par la gauche. C’est là que nous nous devons d’être admiratifs, car même dans le système démocratique et avec l’apparition du suffrage universel, la classe dominante a réussi à garder le pouvoir. C’est extraordinaire de voir cette capacité de survie (d’un point de vue darwinien). Quelles sont les recettes de cette exceptionnelle longévité ?


Eh bien cela tient en quelques outils qui n’ont guère changé sur le fond mais seulement dans la forme. Le premier de ceux-ci est la substitution de la "lutte des races" à "la lutte des classes". C’est très efficace. Tout d’abord, on reprend les idées de l’adversaire (la lutte des classes) et on la transpose (la lutte des races). Le Pen en est la caricature. L’immigré moyen appartient à la même classe sociale que le Français moyen (lui-même souvent descendant d’immigré). Or, dans un concept de "lutte des races", il a la satisfaction psychologique d’être supérieur à l’autre, cet immigré, cet apatride qui revêtira tour à tour tous les aspects symboliques du mal qui nous effraye. C’est le Juif banquier qui exploite le prolétariat, l’Arabe polygame et intégriste qui, après avoir mangé notre pain et pris notre travail, nous vole notre aide sociale. Il est amusant (si je puis me permettre) de noter qu’une génération d’immigrés une fois intégrée, se met à pourfendre la génération suivante. "Les macaronis" des années 30, qui eux aussi étaient accusés de manger le pain des Français, ont vu une partie de leur descendance rejoindre le Front national et dénoncer "le bicot" "voleur, fainéant et fourbe". Les qualificatifs sont toujours les mêmes et s’appliquent à toutes les minorités de n’importe quel pays (les Roms en Europe de l’Est, les Juifs un peu partout, les Arabes en Israël, les Turcs en Allemagne, etc.) Ce discours s’appuie en général sur une argumentation inattaquable à défaut d’être solide du genre : "Je connais un ami d’un ami qui a pour voisins une famille d’immigrés où l’homme a trois femmes et quinze enfants et qui touchent 3000 € d’aide sociale par mois". Évidemment, ça énerve le Français qui se lève tôt et qui souffre toute la journée pour ramener son maigre SMIC qui suffira à peine à faire vivre le ménage. Il n’est pas raciste, puisque qu’il a pour ami "un couple de noirs très gentil", mais quand même "il serait temps de faire le ménage".


La France, comme tout pays démocratique, a besoin d’un Le Pen qui est un exutoire aux rancœurs de ceux qui n’ont rien ou pas grand-chose. Il permet à la gauche de gouvernement d’affaiblir la droite et aussi l’extrême gauche (que d’anciens électeurs du PC qui votent aujourd’hui pour le FN), et à la droite de gouvernement de banaliser des idées qu’elle reprendra de manière édulcorée et moins caricaturale afin de se maintenir au pouvoir.


Pourquoi faudrait-il contrôler l’immigration mais pas les échanges internationaux qui maintiennent la majeure partie du globe dans une misère qui ne fait qu’encourager l’émigration ? Pour continuer de payer son café 2 € par exemple. Et 3 grâce au commerce "équitable" qui donnera bonne conscience aux plus éveillés de nos concitoyens sans remettre en cause "l’Ordre du monde".


Je n’en veux pas spécialement à Nicolas Sarkozy, quoique je ne l’apprécie guère. Mais étudier son parcours dans les cinq dernières années est intéressant pour comprendre les mécanismes qui permettent à ceux qui possèdent de se maintenir au pouvoir.


21 avril 2002, le choc. Le Pen au second tour. La gauche de Jospin, au bilan mi-figue mi-raisin sans être négatif (baisse réelle du taux de chômage, croissance forte) se trouve battue sur l’exploitation de faits divers (dont le fameux Papy Voise qui depuis a fait "pschiiiit" !). L’insécurité étant la préoccupation majeure des Français, la droite, réputée plus compétente (sans que cela soit forcément fondé) que la gauche sur ce sujet, accède au pouvoir. Nicolas Sarkozy devient ministre de l’Intérieur, poste clé pour lutter contre ce "fléau". Ce "sentiment d’insécurité", car il s’agit bien d’un sentiment, la France d’alors n’étant pas moins sûre que celle des "Misérables" de Victor Hugo, de celle des "Bas-fonds de Paris" d’Eugène Sue, de celle des "Apaches", des "blousons noirs" du très sarkoziste Johnny, j’en passe et des meilleures, s’appuie sur les attentats du 11 septembre, une situation sociale peu reluisante. Et puis, même quand on est un ministre-candidat qui revendique n’avoir aucun tabou et refuser la langue de bois, il y a des sujets électoralement plus porteurs que d’autres. La peur de l’autre, la xénophobie, sont des sentiments très ancrés dans toute société humaine et un instrument de pouvoir toujours d’actualité. Les églises l’ont utilisé, mobilisant leur peuple contre les infidèles, canalisant les sentiments de haine contre l’autre pour mieux faire oublier les abus du pouvoir en place. Le catéchisme républicain et « anti-boches » de la IIIème République est issu du même principe. Hier, l’immigré volait le travail au Français, aujourd’hui où l’on sait que le taux de chômage des « quartiers » dépasse les 20%, l’immigré vole l’aide sociale au Français. Vingt ans de guerre aux acquis sociaux de nos politiques et de nos patrons, mais le bon peuple préfère croire que ce sont les immigrés qui leur volent leur part du « gâteau social ». Il faut alors être admiratif de l’habilité de Nicolas Sarkozy, ou peut-être en vomir. Le Conseil français du culte musulman va lui permettre d’avoir l’air de faire un geste vers les populations des cités, tout en identifiant l’immigré à l’Islam qui fait trembler le monde. La peur, irrationnelle, sur laquelle un « vrai chef » aux coups de menton viril peut compter pour accéder au poste suprême, celui auquel il rêvait avant même d’avoir commencé à se raser.

Car on a beau feindre le mépris des sondages, on les lit tous les jours, on les commande par centaines. Comment peut-il en être autrement dans une « monarchie républicaine » où les élites sont à tel point déconnectées des réalités quotidiennes ? Or, les sondages s’appuient sur une « catégorisation » de la société. Le ministre-candidat s’adressera donc à des catégories, les éloignant les unes des autres, faisant mine d’en privilégier certaines au détriments d’autres et ainsi de suite. Je rappelle juste que cet outil de pouvoir est loin d’être récent, l’exemple le plus frappant étant la gestion ethnique des ex-colonies. Je ne diabolise pas ici Sarkozy, et je ne dis pas que la France est le Rwanda, car Sarkozy n’est ni le premier ni le dernier à s’appuyer sur ce principe « machiavélique ».

Une autre arme, c’est de savoir rester vague, un peu comme les astrologues et les voyants. L’immigré, c’est quoi au juste ? Chaque électeur (je n’emploie pas le mot citoyen car ce n’est pas ce que nos élus attendent de nous) peut y mettre ce qu’il veut. Je vais tenter de dresser son portrait-robot : il est jeune, musulman, il déteste la France, il n’a pas de papiers, il est violent, voleur, il lapide les femmes quand il ne les fait pas brûler vives, comme les voitures de ceux qui se lèvent tôt et qu’il regarde narquois tirant sur son joint adossé aux boîtes aux lettres qu’il a vandalisées, dans un hall infesté de l’odeur de son urine. Il excise sa fille, il égorge les moutons dans sa baignoire. Bref il incarne le mal et c’est tout ce qu’on lui demande. C’est un fantasme, mais qui va souder la communauté nationale autour d’un ennemi commun. Car évidemment nul ne peut se reconnaître dans ce personnage. Pour donner corps à une telle caricature, on utilisera le fait divers comme preuve irréfutable, renvoyant toute argumentation rationnelle à un angélisme post-soixante-huitard.


Alors, non, Sarkozy n’est pas Hitler. Il ne fait qu’utiliser les mêmes outils, qui sont ceux de tous les hommes assoiffés de pouvoir. Pour être Hitler il faut des circonstances historiques particulières qui ne sont pas réunies aujourd’hui. Il faut apprendre à décrypter les discours, car ils sont moins le reflet d’idées qu’un instrument de pouvoir.


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