Sarkoland ou Disneyland ?

par LM
vendredi 27 avril 2007

Tout dans la vie est une question de choix, disait Pierre Desproges. Dans un peu plus d’une semaine l’heure du choix sonnera pour quelques 44 millions de Français qui devront à nouveau sacrifier une journée ensoleillée de pêche à la ligne au profit d’un petit détour par l’isoloir. Alors, la Belle ou le Brun ?

Deux « conceptions » très « différentes », nous dit-on. Deux personnalités que tout oppose, affirme-t-on. D’un côté un quinquagénaire pressé, trop pressé, que l’on annonce partout comme le futur péril français, une sorte de « cavaliere  » hexagonal, le pendant parfait de Silvio Berlusconi, pour reprendre les mots mêmes de François Bayrou. Pourtant, Sarkozy n’est ni patron de presse, ni dirigeant de chaînes de télévision. Il n’a pas non plus, à ce que l’on sait, d’implants capillaires et ne possède pas de grand club de football. (Il est simplement supporter du PSG, ce qui fait de lui, incontestablement, à défaut d’un amateur du beau jeu, au moins un être capable d’une certaine patience, de beaucoup de tolérance, ou d’un réelle compassion.).

Les portraits de Sarkozy qu’on lit depuis de longues semaines dans la presse quotidienne (Libération, où Joffrin a choisi comme politique éditoriale une opposition systématique et un peu caricaturale au candidat UMP) ou hebdomadaire (le numéro collector, entre autres, du Marianne de Kahn, vendu comme un petit pain et depuis ouvrage culte dans « anti-sarko ») ne laisse finalement pas trop de choix au citoyen lambda : comment, en découvrant toutes ces horreurs, toutes les aspérités redoutables de ce personnage-là, pourrions-nous une seconde, ne serait-ce qu’une seconde, envisager de voter pour lui ? Ce serait faire preuve d’irresponsabilité, rien d’autre. Choisir une telle terreur, qui sur les journalistes (tellement libres jusqu’ici, tellement indépendants sous Mitterrand, par exemple, tellement objectifs) ferait peser une chape de plomb n’ayant d’égale que la censure stalinienne, choisir donc un tel épouvantail, un tel « père fouettard », pour reprendre les mots de madame Royal, serait faire preuve d’un cynisme rare.

Et puis, si ce n’était que cela... mais il y a aussi toutes ces « libertés individuelles » que le candidat Sarko, devenu président, s’empresserait de rogner aussi sûrement que le vautour nettoie sa charogne. Sans rien laisser, même pas un morceau de peau, rien. Que l’os. Comment imaginer voter pour un ministre de l’Intérieur qui, déjà, a installé, si l’on en croit les penseurs de chez Ruquier ou de chez Diam’s un « Etat policier ». Vous vous rendez compte ? Un Etat policier ! Comme sous Pinochet ! Toute réunion interdite ! Toute opposition proscrite ! Et des rafles d’opposants, même en plein jour, même devant les écoles maternelles, certains de ces opposants qu’on ne retrouvera, comme au Chili à l’époque, jamais. C’est tout cela Sarkozy, les Inrockuptibles vous le jurent. Télérama vous le confirme. Joey Starr, même Joey Starr, est prêt à le beugler sur tous les tons : Sarko facho !

De l’autre côté de cet entonnoir-là, de ce trou noir démocratique, on trouve l’oie blanche de gauche, arrivée là malgré l’opposition de ceux de son camp, malgré le rejet dont elle est encore victime à sa propre table : Ségolène Royal. Une rupture plus tranquille, tu meurs ! Une sorte de valse à mille temps, chacun très compté, très mesuré, pour ne pas donner la nausée, n’écraser les pieds de personne. Un monde idéal, entre Oui Oui et Caroline, où la croissance repartirait grâce à la confiance, où l’on n’aurait pas besoin de service minimum parce qu’il n’y aurait plus de grève, où les jeunes futurs délinquants seraient dès le plus jeune âge placés dans des internats « de proximité » pour être cadrés, et recadrés. Où les femmes auraient, toutes, leur place, avec des salaires équivalents à ceux des hommes. Où les patrons ne connaîtraient plus le parachutes dorés, mais embaucheraient à tour de bras malgré l’interdiction votée des licenciements, parce qu’ils auraient confiance, parce que l’audace surgie du Poitou leur donnerait des ailes et les pousserait à se confondre en humanité, en prévenance, en attention vis-à-vis de leurs employés, tous leurs employés, des caissières aux femmes de ménage, du chef de rayon au technicien de surface. Un monde, une France, une France-Monde belle comme un cocktail de Jack Lang, qui retrouverait soudain quelques plumes dans cet élan-là et pourrait à nouveau doper la culture, en faire un ministère respecté comme avant, où les intermittents auraient une écoute et du répondant, et Philippe Torreton un strapontin. Ségolène, c’est plus que de l’audace, c’est une évidence.

On se demande comment on avait fait pour ne pas y penser avant. Tant de possibilité en une seule femme, c’est pas Dieu possible. Tant d’ordre juste, de travail juste, de gouvernance juste sous un seul tailleur, c’est à peine croyable. Pensez donc : avoir l’idée de remplacer les vieilles centrales nucléaires par des usines qui fabriqueraient des panneaux solaires ! Extraordinaire, non ? Retraiter les déchets nucléaires pour remplacer l’uranium bientôt tari ! Fabuleux ! Augmenter sur cinq ans le salaire minimum pour le porter à 1 500 euros... brut ! Renversant, non ? Ne plus considérer les USA comme une superpuissance ! Révolutionnaire ! Autre chose, quand même, que l’autre petit nerveux de Neuilly, qui se déchausse sur les plateaux télé (le poids des talonnettes, sans doute). Et en plus, Ségolène à l’heure de plaire à l’autre grand condor du paysage politique français, François Bayrou. Alors là... N’en jetez plus, la coupe est pleine.

Tout dans la vie, donc, est une question de choix. Dans une grosse semaine, ce sera choisir entre Sarkoland et son cortège de peurs fantasmatiques, entretenues par quelques bourgeois bohèmes en manque de tirage, et Disneyland et son défilé de bonnes intentions, son espoir d’un monde meilleur surgi de nulle part mais qui s’imposerait de soi, comme ça, comme par enchantement. Ségolène recevrait le baiser du Prince (le peuple) et elle s’éveillerait au merveilleux, la France avec, soudain plus belle qu’elle ne l’a jamais rêvée.

On savait les périodes électorales riches en promesses jamais tenues, on les découvre génératrices d’hystérie, d’emballement et de folie qui transforment cette campagne en soap opéra relativement passionnant. C’est cette dimension fictionnelle là qui a précipité les Français dans les urnes au premier tour : justement parce qu’il ne s’agit plus tout à fait de politique.


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