Sarkozy éparpille la gauche, façon puzzle

par LM
lundi 7 mai 2007

Victoire claire et sans surprise du candidat de l’UMP hier soir, au second tour des présidentielles. Dans la foulée, Sarkozy prononçait un discours convenu mais rassembleur, tandis que la gauche implosait bruyamment, laissant Ségolène fêter seule sa défaite, plus isolée que jamais, plus délaissée même que jamais, y compris par François Hollande, dont DSK réclame la tête. Ça promet.

Ceux qui n’avaient pas eu le temps de consulter Internet, et donc d’apprendre dès 18 heures la victoire (attendue) de Nicolas Sarkozy, pouvaient, sans attendre les fatidiques 20 heures obligatoires avoir une idée très précise du résultat en observant la mine enjouée, hilare et détendue de Strauss-Kahn déboulant rue de Solferino, au siège du PS, pour prendre acte de la défaite des roses. Longtemps qu’on n’avait lu un tel détachement, une telle « liberté » sur le visage de cet éléphant-là, jamais remis de sa défaite des primaires, jamais avare de critiques pendant la campagne contre Ségolène, discret mais efficace dans ses petites phrases aux micros tendus. DSK tenait enfin hier soir sa revanche, et n’allait pas se faire prier pour la déguster, avec verve et fracas.

Il n’était pas le premier à parler, sur TF1, laissant la politesse à la vaincue du jour, madame Royal, pressée d’en finir cette fois-ci. On n’était plus à la maternelle de Melle, c’était plus deux heures d’attente pour un charabia pas très clair, non, cette fois-ci, une minute après le verdict rendu public, la dame en blanc venait présenter comme elle le pouvait ses condoléances à son peuple, qui lui chantait quelques mercis sympathiques mais qui devait se résigner. Un instant, dans les premières secondes, on craint une Royal trop émue pour parler, elle hésita, alla serrer quelques mains, puis remonta finalement derrière son pupitre, féliciter son adversaire, lui souhaiter bonne chance et donner rendez-vous à ses fidèles pour de prochains combats. Désolée, à la prochaine, fermez le ban. En quelques phrases Ségolène précisait néanmoins son désir d’avenir : la tête du PS, ni plus ni moins, pour mener la campagne des législatives. Un peu plus tard, dans une scène assez vertigineuse et inédite, la même Ségolène, juchée au dessus de l’entrée de la maison de l’Amérique latine, exhortera, micro en main, la foule de ses fidèles, entonnant même un « tous ensemble, tous ensemble » qui laissa pantois son compagnon et dérida un Jack Lang peu pétillant.

Les larmes ravalées, les émotions passées, la droite félicitée, les socialistes tentaient tant bien que mal de dresser un constat d’échec le plus présentable possible. Hollande, modeste orateur comme on le sait, fit ce qu’il put pour sauver la face, mais ça ne suffit pas. Surtout pas à DSK, qui prit sa place quelques minutes après, et ajouta quelques pelletées de terre rageuse sur le sapin socialiste : "Les Français ne veulent pas qu’on leur sorte des solutions qui ont vingt ans. Ils voient bien que la gauche doit apporter autre chose que ce qu’elle a toujours dit" (...) "C’est un jugement assez sévère sur la façon dont le PS a fonctionné depuis cinq ans" (...) "Pourquoi a-t-elle été aussi faible ? (la gauche) Parce que depuis cinq ans nous ne nous sommes pas renouvelés en nous laissant bercer par les illusions des victoires aux régionales et aux européennes" . Voilà monsieur Hollande habillé au moins pour quelques hivers (à l’île de Ré ?), voilà la gauche de la gauche priée d’aller se faire voir ailleurs, sans ménagement, de la part de celui qui « avait un projet de social-démocratie » mais qui « n’a pas été suivi ». DSK réclame donc bien sûr la tête d’Hollande, un virage au centre, net, et ne plus s’occuper des vieilles lunes révolutionnaires ou libertaires. Kouchner lui emboîtera le pas, au contraire d’un Fabius, adversaire juré de DSK, qui lui, tout en convenant que la gauche doit se « moderniser » pense que cette modernisation passe par un ancrage à gauche plus ferme que jamais. Delanoë lui non plus ne soutiendra pas DSK, et Lang, lui, seul avec Dray, préfèrera esquisser un dernier pas de danse avec Ségolène. Pour l’instant...

Mais le meilleur était à venir. Après un passage au micro de la maison de l’Amérique latine, où il baratina la foule encore présente des défaits déçus, Hollande s’en prit à son tour à la campagne de Royal, assez durement : « Nous n’avons sans doute pas assez parlé de propositions concrètes, d’aspects qui touchaient les Français directement. Nous n’avons pas suffisamment su nous ouvrir, nous élargir » (...) « Si on n’avait pas fait des erreurs, on serait peut-être aujourd’hui en train de célébrer un succès. Il y a forcément là une leçon à tirer » En clair : Ségolène est restée dans le flou, faisant le yoyo, un coup à gauche de la gauche un coup au centre de la droite, sans préciser suffisamment ses choix pour convaincre les électeurs. Du travail d’amateur. Lâchée même par son compagnon, la dame du Poitou se retrouve désormais plus seule que jamais, sans aucune légitimité que sa défaite « nette » comme dirait Laurent Joffrin, pour revendiquer une quelconque place de leader au sein du PS. Cette fois-ci, d’ici juin, elle aura du mal à monter sur les pieds des éléphants... et des autres. Comme on pouvait s’y attendre, le PS n’aura donc pas supporté le choc de la défaite, et se voit soudain promis à un remue ménage spectaculaire dans les jours qui viennent. DSK et ses amis veulent faire main basse sur le parti, Fabius et ses amis aussi, Royal veut poursuivre sa route, c’est le grand retour des primaires à gauche, une gauche qui ne pourra cette fois-ci par forcément compter sur le gentil centre de Bayrou pour se remplumer.

On l’a pas beaucoup vu, Bayrou, hier. Juste quelques secondes pour féliciter Sarkozy et pour assurer qu’il ne « ménagerait pas ses efforts » pour assurer l’existence au centre d’un « contre-pouvoir indispensable ». Un Bayrou qui comme ses anciens futurs amis socialistes se voit maintenant face à un mur dur à franchir : faire en sorte que son parti, le Mouvement démocrate, existe bel et bien, survive à son premier tour, et à un report de voix indiscipliné au second, puisque près de 60% de son électorat a préféré ne pas suivre sa consigne de vote et voter pour Nicolas Sarkozy. Bayrou est-il encore le leader du centre ? C’est pas si évident. Il surveillera en tout cas avec attention le choix du prochain gouvernement, et combien de ministres UDF y figureront.

Les vainqueurs justement... C’était la grande soirée du petit Nicolas : Nicolas qui prononce un discours rassembleur, n’oubliant personne, incluant le monde entier, puis Nicolas au Fouquet’s, Nicolas qui récupère Cécilia, tellement absente jusqu’ici, pas dans le premier convoi présidentiel d’après résultats, convoi dans lequel on ne devinait que ses filles et le fils de Sarko, Cécilia donc soudain surgie des eaux, ou en tout cas du grand restaurant, pour aller saluer la foule de la Concorde, Mireille Mathieu, Faudel, Enrico Macias, toute cette rupture tranquille qui aime les blagues et Bigard et les lunettes de Gilbert Montagné. On vit toutes ces motos de la police, ce jardin des Tuileries emprunté comme un périph’, et ces incessants aller-retours pour un oui pour un non, pour savoir où pouvait bien aller ce nouveau chef de l’Etat, dans une boîte de nuit, nous dit-on, oui une boîte de nuit très branchée... Une soirée de vainqueurs avec du Coppé qui frime, du Bachelot qui se gausse, de l’Estrosi qui se bidonne et du Borloo qui philosophe, tous contemplant avec délectation ceux d’en face, perdants, tellement perdants, numéroter leurs abattis en espérant se refaire en juin.

« Toute la France a gagné » nous dit-on, même les cul de jattes, même les manchots, toute la France. Et toute la gauche a perdu, même Gérard Miller, très excité sur M6, le psychanalyste ruquiériste, plus moralisateur que jamais pour tenter de convaincre Arno Klarsfeld qu’il devait arrêter de fréquenter Steevy. Pauvre Gérard Miller, et pauvre Noël Mamère, leader de rien, membre d’un parti à moins de 2% et qui ose se présenter en refondateur de la gauche. Toute la gauche a perdu, oui, et risque d’avoir du mal à s’en remettre, tant elle est apparue divisée tout au long de la campagne et tant elle apparaît désormais éparpillée comme jamais, façon puzzle.


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