Sarkozy et la VO non sous-titrée

par Fergus
mardi 2 novembre 2010

Le profond mouvement social engendré en France par le projet de réforme des retraites voulu par Nicolas Sarkozy et, tapis dans l’ombre, ses amis du MEDEF, a mis en lumière le rôle et l’importance de syndicats que l’on disait pourtant subclaquants. Le peuple français aurait-il été roulé dans la farine d’une propagande manipulatrice ?

Sur la foi d’un cliché largement induit par une insidieuse communication orchestrée par les éditorialistes de droite, on prétendait, il y a encore quelques mois, qu’ils étaient devenus quasiment inaudibles, quand on ne mettait pas carrément en doute leur légitimité pour cause de manque d’adhérents. Les évènements que nous vivons depuis le printemps 2010 nous montrent que la réalité est très différente de cette vision crépusculaire.


Certes, le syndicalisme français a connu une spectaculaire érosion du nombre de ses adhérents dans les années 80 et 90 avant de se stabiliser durant la dernière décennie. Une érosion liée à une perte de confiance des salariés dans l’action des syndicats, affirment leurs adversaires ou les relais médiatiques de ces derniers. Une érosion plus probablement liée aux profondes mutations de la société. Et notamment à deux facteurs importants : 1° une précarisation grandissante du travail et une paupérisation des classes populaires qui induisent des réflexes de peur chez les salariés ; 2° un individualisme sans cesse croissant au détriment des valeurs de solidarité héritées des générations passées et progressivement mises à mal par un modèle libéral omniprésent, du discours politique dominant jusqu’aux programmes de télévision des grandes chaînes glorifiant la réussite individuelle et stigmatisant les « loosers ».


Car n’en déplaise aux adversaires du syndicalisme, si perte de confiance il y avait, elle se traduirait par une désaffection de la participation des salariés aux élections professionnelles. Or il n’en est rien, et avec un taux de participation de 63,8 % en 2009 dans les entreprises de plus de 50 salariés, les élections professionnelles font mieux que les Législatives de 2007 (60,44 % au 1er tour et 59,99 % au 2e tour) et nettement mieux que les Régionales de 2010 (46,33 % au 1er tour et 51,21 % au 2e tour).


Des comparaisons sans valeur, objectent les tenants de l’affaiblissement syndical, non sans ajouter avec un sourire narquois : « cela revient à comparer des choux et des navets ». Problème : ce sont les mêmes personnes qui, d’un ton docte et quelque peu condescendant, mettent en avant les faibles taux de syndicalisation pour remettre en cause la légitimité des syndicats en s’appuyant précisément sur l’indigence de ces taux et sur elle seule. Fort bien ! Mais alors que penser de ces partis politiques dont nul ne remet en cause la légitimité alors qu’ils n’attirent pas plus d’électeurs aux urnes, et même souvent moins, que les syndicats ? Alors surtout que les taux d’adhérents de ces partis, rapportés à l’ensemble de la population en âge de voter, sont nettement plus faibles que ceux des syndicats rapportés à la population en âge de travailler.


L’UMP avec ses 253 641 adhérents « officiels » au 31 décembre 2009 ou le PS avec les 200 319 adhérents déclarés par le Bureau national en septembre 2009 seraient-ils illégitimes ? Non, bien sûr, car ce qui compte, ce sont évidemment les suffrages qui se portent sur ces partis lors des scrutins électoraux. Et, qu’on le veuille ou non, il en va de même pour les syndicats, et notamment pour les deux plus importants d’entre eux en terme de résultats électifs : la CGT et la CFDT, respectivement 700 000 et 833 108 adhérents revendiqués sur leur site.


Cette mise au point faite, il faut pourtant bien convenir que le taux de syndicalisation est très faible en France en comparaison des autres pays d’Europe. Avec 8 % de salariés syndiqués contre une moyenne de 24 % au sein de l’Union européenne, la France est bel et bien lanterne rouge, très loin derrière les champions nordiques : Finlande et Suède 71 %, Danemark 68 %. Des taux record pour ces nations qui ne s’expliquent pas uniquement par le légendaire sens civique et citoyen des Scandinaves : dans ces pays, la plupart des prestations sociales, y compris les indemnités de chômage, sont versées par les syndicats !


Des syndicats scandinaves plutôt peu revendicatifs et généralement considérés comme co-gestionnaires, voire comme des rouages administratifs de l’État. Ceci explique très largement cela, au delà du fait que l’adhésion à un syndicat est en grande partie considérée comme une composante naturelle du salariat par la majorité des nouveaux venus sur le marché du travail. Un état d’esprit qui est confirmé par la Norvège, où les prestations ne transitent pas par les syndicats, mais où le taux de syndicalisation atteint pourtant 55 %. Ailleurs en Europe, les taux descendent très rapidement pour culminer à 33 % en Italie, 27 % en Grande-Bretagne, 20 % en Allemagne ou 16 % en Espagne.


L’érosion du taux de syndicalisation n’est d’ailleurs pas un phénomène propre à la France : à des très rares exceptions, tous les pays d’Europe ont peu ou prou subi cette érosion, probablement pour les mêmes raisons qu’en France. Mais comme dans notre pays, les taux de syndicalisation semblent s’être stabilisés depuis plusieurs années, les situations de crise et le recul des droits sociaux, toujours plus agressés par les offensives libérales, expliquant sans aucun doute cette stabilisation, voire ce regain de confiance envers des syndicats qui, de plus en plus, deviennent de facto des contre-pouvoirs.


Retour en France. Mal ficelée, mal financée, mal conduite et surtout très injuste, la réforme des retraites voulue par Sarkozy a réussi, pour la première fois sous la Ve République : 1° à sceller de manière durable l’union de toutes les confédérations (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FSU, UNSA) réunies en intersyndicale ; 2° à ranger derrière les bannières une foule compacte venue de tous les horizons : public, privé, salariés, retraités, jeunes ; 3° à engendrer un rejet massif de la population, largement souligné par des enquêtes d’opinion de plus en plus favorables au mouvement social.


Cela n’a pas empêché la loi d’être votée par des assemblées godillot aux ordres d’un pouvoir autiste, et sans doute sera-t-elle promulguée vers la mi-novembre après l’avis du Conseil constitutionnel saisi par le PS. Mais il en restera une terrible frustration dans l’opinion et la volonté de faire payer tôt ou tard à Sarkozy et à l’UMP, d’une part leur passage en force sur un dossier pour lequel ils n’étaient pas mandatés, d’autre part le refus d’engager la moindre négociation durant les différentes phases d’un processus transformé en pathétique pantalonnade. Certes, les pouvoirs publics et les syndicats ont participé à une cinquantaine de réunions, mais des réunions à visée propagandiste au seul profit du gouvernement car vides de toute avancée, les syndicats exprimant des attentes alors que les conseillers élyséens s’en tenaient strictement au projet ficelé dès le printemps par Raymond Soubie.


Quant à Sarkozy, souvenons-nous qu’il a lui-même présidé le 18 février un sommet social « anti-crise » avant de recevoir, le 9 mai, les secrétaires généraux des 5 organisations représentatives au niveau national. Mais dans les deux cas, la réforme des retraites a purement et simplement été éludée par la volonté élyséenne, au mépris des enjeux pour le peuple français. Cela n’a évidemment pas empêché le président de prendre connaissance des revendications exprimées sur les différentes chaînes de télévision par les responsables syndicaux en relais de la volonté populaire. Ou du moins de tenter d’en prendre connaissance. Car, et c’est là que le bât a manifestement blessé, la langue française pratiquée par les représentants syndicaux est par trop différente de celle qui est en usage dans le triangle Neuilly-Passy-Villa Montmorency. Et par malheur pour notre pays, Sarkozy ne disposait que de VO non sous-titrée !

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