Sarkozy et les « psychopolipathes » au verbe atrophié

par Bernard Dugué
lundi 6 juin 2011

Le langage dit beaucoup de choses sur son époque, trahissant et dévoilant des univers proprement humains, d’ordre psychosocial ou psychopolitique. Les langages ont beaucoup évolué. Ils ont permis non seulement aux hommes de communiquer et de se comprendre mais de véhiculer des conceptions, des visions du monde. Qu’on songe aux subtilités de la langue grecque classique ou du sanscrit, langue des métaphysiciens par excellence. L’homme évolue dans deux mondes, celui des énergies matérielles, physiques, des formes naturelles, et celui des énergies spirituelles, de la conscience, de l’esprit divin. La langue a su se modeler, avec la participation des philosophes, poètes, prophètes, pour s’accorder avec les univers naturels, humains et divins, véhiculant par ce biais des réalités, des vérités, des expériences, des questionnements. Avec le langage, celui qui manie le verbe parle depuis son monde, il parle d’un monde, il parle à un autre monde. La langue est un terme intermédiaire reliant deux mondes sous forme d’un dialogue. A un moment de son Histoire, l’homme a compris que ni la nature, ni ses congénères n’étaient suffisants pour des missions de connaissance, d’orientation et d’élévation, si bien que parmi les hommes, quelques un ont été les médiums auxquels Dieu s’est adressé.

Dans un monde où les dieux se sont retirés, quels sont les critères susceptibles de nous guider et d’orienter les processus d’anthropotechnique ? Cette question est posée par Peter Sloterdjik dans une fameuse conférence prononcée à la fin du 20ème siècle. Mort de Dieu, retrait des dieux, thème plus que moderne s’il en est. Pourquoi les philosophes gémissent-ils en entendant cette nouvelle, alors que d’autres se réjouissent, comme si le retrait des dieux leur servait de blanc seing pour les remplacer et par un subtil artifice narcissique, réclamer qu’on leur voue un culte. Les philosophes qui parlent du retrait des dieux n’y connaissent rien en théologie. Sinon ils sauraient que le monde des dieux est éternel et que leur retrait est simplement lié au fait que les hommes se sont détournés du monde divin pour vénérer, idolâtrer des totems et des fétiches misérablement profanes, qu’il s’agisse de la dernière star hollywoodienne ou du dernier smart phone sorti de chez Apple. La novlangue techniciste est en usage dans les médias. Elle est la langue des marques, de la finance, des animateurs, des commentateurs, des publicistes, des techniciens, des managers qui parlent de chiffres tout en chiffrant ce qui se présente dans leur champ d’opération. La linguistique devrait en finir avec ces questions scolastiques sur le signifiant et le signifié. Un langage dévoile une intention, qui peut être subordonnée à un intérêt, véhiculant un ensemble d’injonctions plus ou moins cachées, sommés de consommés sont les consommateurs. Un langage est aussi un échange, un partage, une transmission d’un héritage, d’un patrimoine spirituel et culturel. Le moyen par lequel se transmettent les mots influe certainement sur la qualité de la langue parlée ou écrite. On ne cause pas de la même manière sur les radios et les télés. On n’écrit pas pareil quand on publie un livre ou qu’on s’exprime sur Internet, quand on écrit une histoire que quand on parle des mondanités dans un quotidien ou un hebdo.

Un homme public parle depuis son monde, même s’il tente de parler à tout le monde. Il dévoile sa manière de concevoir le monde et tente d’y faire participer ses auditeurs ou ses lecteurs. Le moment fort de la civilisation européenne lettrée se situe quelque part entre 1800 et 1950. Les grands hommes, qu’ils soient hommes de lettres, héros de l’Histoire ou hommes d’Etat, étaient souvent de bons orateurs, d’excellents écrivains. Ils ont remplacé les prêtes d’antan, véhiculant des intentions historique, nationales, culturelles. Le 19ème siècle a voué un véritable culte à l’Histoire. Les chefs d’Etats français ont marqué la littérature tout en prononçant de grands discours. Clemenceau, De Gaulle et Mitterrand se sont signalés. Un président essaie de parler d’un avenir national en se tournant vers le passé et en s’adressant aux aspirations populaires sans être populistes mais en visant le meilleur en chaque citoyen ou du moins, ce qui leur semblait devoir être exprimé en tant qu’aptitudes socialement souhaitables. Les Mitterrand et autres De Gaulle savaient côtoyer leurs contemporains, s’attacher une fidèle amitié, s’enrichir auprès des autres et réciproquement. A l’instar du prophète à l’âme tournée vers Dieu, ils incarnaient les hommes d’Histoire, en étant tournés vers le passé culturel et historique, tout en s’efforçant d’être visionnaire pour l’avenir, le tout en jouant un rôle central pour diriger les hommes et faire de la société un lieu de production partagé, coordonné, équilibré autant que faire se peut. Ce côté spirituel et visionnaire se retrouve dans les écrits ainsi que le verbe à la tribune. Mitterrand a offert une synthèse entre le moule républicain du 19ème siècle et la modernité sociale postérieure aux années 1960. Ouvrant la voie au chapitre pour les classes inférieures et les cultures post-modernistes.

Le président Sarkozy s’exprime d’une étrange manière. Il ne fait pas président, pas plus au G8 de Deauville qu’en mai 2007 au moment de son entrée en fonction. Son verbe manque de souffle, accusant quelques silences chaotiques et des intonations hésitantes. Effet calculé ou bien style atrophié dévoilant le dialogue entre un président issu de son monde et une vision étriquée de l’avenir doublé d’une conception économiste et basique d’une France qui ne chercherait son salut que dans le pouvoir d’achat, le repli identitaire, l’ordre sécuritaire, la compassion victimaire. Sarkozy ne parle pas à la France éthique, spirituelle et culturelle. Il a vécu dans un monde à part, avec des gens aisés, friqués, à Neuilly, dans ses bureaux ministériels, fréquentant des puissants industriels et des célébrités. Il est logique qu’il ait une vision étriquée de l’humain, du citoyen, proche des élites d’un côté, s’adressant à des gens réduits à l’ordinaire avec un verbe vacillant qui ne trompe pas. Les mouvements saccadés de son cou dévoilant la distorsion entre une parole véridique et un verbe forcé. Quant aux discours de bonne facture, ils ne sont pas pensés par le président mais simplement lus, écrit par un Henri Guaino qui lui, porte une écriture imprégnée de savoir historique offrant l’illusion d’un président savant.

Les psychopolipathes sont des acteurs de la vie politique dont on pressent quelques traits pathologiques liés à leur vécu dans un cercle fermé, parfois vicié, sentant à l’occasion le moisi et le renfermé autant que le kitsch des élites parvenues, friquées et frivoles. Le président n’est pas le seul psychopolipathe. Il est bien entouré et même parmi ses adversaires, il y en a un bon nombre. D’ailleurs, on pressent la présence des psychopolipathes dans la sphère journalistique. Combien de médiarques, éditocrates et autres plumitifs de plateau télé discourent sur une France qui n’existe pas, sauf dans leur esprit façonné par le petit monde des dîners en ville et des salles de rédaction. Ces gens ne connaissent pas les Français, ils ne les écoutent pas, ne leurs parlent pas, ne vivent pas à leurs côtés, mais ils ne cessent de dirent que les Français attendent, veulent, sont inquiets… Les Français attendent, leitmotiv d’une classe dirigeante qui s’imagine que la politique doit se calquer sur la tactique d’une firme, répondant aux attentes des consommateurs de l’action publique. Et les journalistes de leur servir la soupe et de mariner également dans leur marécage de sociopathe, livrant de consternantes analyses des événements centrés sur l’instant, sans aucune perspective historique, ce qui se comprend, ces gens là préférant fréquenter les salons où l’on cause, les dîners entre amis, plutôt que la Sorbonne, les savants et les livres d’Histoire. Les fréquentations de ce monde ne volent pas très haut, même si elles se font entre gens de bonne fortune. Sarkozy, entre Clavier, Reno, Bigard et Barbelivien, s’y connaît certainement en valeurs culturelles populaires, mais ignore sans doute les grandes symphonies, le rock progressif et les dialogues de Platon. On peut en dire autant des sarkoboys et des sarkogirls emboîtant son sillage et lui faisant la vague pour récupérer les écumes sous forme de prébendes. Les commensaux sont les mieux récompensés, même s’ils sont des sociopathes, car leur tâche consiste à se mettre aux côtés du prince et non pas à comprendre et défendre le peuple, surtout s’il est indocile. Les médiarques comprennent l’univers des puissants, pas celui des sages, ni celui des citoyens. Gens ordinaires, destinés à l’instruction, mais qu’ils transforment en serviles consommateurs de marques et de discours politiques sirupeux ou insipides.

Le langage est donc d’instrument d’une anthropographie. Anthropique, l’humain, topographique, le lieu. Les hommes n’habitent pas dans le même lieu. La langage est un instrument qui leur fait prendre conscience qu’ils vivent ensemble, dans une société partagée, ou qu’ils se « déloignent », autrement dit, scindent l’être ensemble, l’être avec tous, l’être républicain, pour un être entre soi. Au pays des oligarques et des médiarques, on parle un dialecte français appauvri mais performatif permettant de propager les délires des psychopolipathes. Lesquels inventent avec ce langage performatif le monde dans lequel ils agissent. Leur monde coïncide avec le champ d’action ; il est ajusté à leur mode opératoire. Le langage politique devient tout aussi atrophié que celui de la publicité et des affaires commerciales.

 Les Français attentifs ne s’y sont pas trompés, eux qui ont commencé à capter le sens du langage des dirigeants, journalistes et autres analystes. Ces gens semblent vivre entre eux, s’adressant aux citoyens juste pour faire du profit, se montrer, prendre quelque galon ou bien des voix aux électeurs. La vie des gens ne les intéresse pas. Leur langage traduit leur mode de relation avec la société. Ce mode, c’est l’intérêt, c’est prendre l’autre comme un moyen et non plus une fin. Une attention soutenue montre que les politiques et les journalistes ne sont pas les seuls à s’adresser à la masse pour servir leurs intérêts. Les célébrités, les gens en vue, les animateurs, les intellectuels, viennent souvent sur les plateaux pour vendre ou défendre des causes partisanes. Le langage qu’ils utilisent les trahit, révélant d’une part leur vécu de l’entre soi, d’autre part leurs intentions de se servir des spectateurs auxquels ils parlent.

Pour finir, on méditera sur cette époque de l’image, utilisée, dans des intentions avouées, cachées ou même subconscientes, comme instrument d’idolâtrie, de fétichisme, d’adoration. Rien de bien neuf depuis les princes italiens se faisant tirer le portait par les peintres de la Renaissance. Disons que le processus s’est accentué, métamorphosé, livrant au citoyen du monde le sentiment d’un arrière-monde dont il ne fait pas partie et qui se montre tout en bavardant avec un langage propre à ce « pays oligarchique » séparé de la société.

Le langage peut servir la vérité mais le verbe est atrophié peut transmettre un doux délire psychopolitique. Le monde tangue vers la folie et c’est la question essentielle à étudier.


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