Sarkozy n’a pas fini de faire la noce

par LM
mercredi 9 janvier 2008

Au terme d’une conférence de presse un peu longue et parfois ennuyeuse, difficile de savoir comment le grand chef de l’Etat relancera la croissance ou dopera le pouvoir d’achat, mais une chose est acquise : il va bientôt se remarier, avec Carla. Le reste n’est que littérature.

Ils étaient venus, ils étaient tous là, ou pas loin, rasés de frais, les ongles propres et les pulls très peu serpillières, de Libération ou d’ailleurs, ils étaient venus, le stylo entre les jambes, écouter leur maître à tous depuis huit mois au moins, celui qui leur dicte leurs Unes, leurs éditos, leurs coups de gueule, leurs clichés, leurs longues nuits sans sommeil. Ils étaient venus, à peine accrédités, tous alléchés par le grand raout, annoncé, et le buffet à suivre. Tous en rangs serrés, sages et dociles, derrière l’intégralité du gouvernement, coiffé et souriant, d’ouverture ou de majorité, opinant du chef à chaque saillie du patron, s’efforçant de ne pas trop se faire prendre en train de bâiller, de se gratter le nez, d’être ailleurs pendant que le président parlait. Des journalistes, donc, par centaines, de France mais pas seulement, et des ministres, aux aguets, en quête d’une bonne évaluation, pour certains, tous là pour la conférence des conférences, les vœux des vœux, ceux de monsieur Sarkozy, Nicolas, à la presse. Rien que ça.

Seulement voilà, comme dans nombre d’affiches alléchantes de notre surpayé championnat de Ligue 1, la rencontre a démarré par un long, trop long, round d’observation, un préambule interminable, près d’une heure, soit la moitié du temps prévu, sur la fameuse « politique de civilisation » évoquée quelques jours auparavant lors des vœux à la nation. La moitié du match au sommet entre la presse et Sarko uniquement consacrée à l’exposé du programme du candidat Sarkozy qu’on connaissait déjà par cœur depuis le printemps 2007 et ses multiples répétitions. De quoi s’endormir, limite de demander le remboursement. Mais force est à la patience, on le sait, et le temps vint enfin de lâcher les chevaux, et de laisser les questions surgir à l’improviste, au débotté, d’une femme, d’un homme peu importe, les journalistes pouvaient enfin se libérer. Première question sur les journalistes, justement, et la protection des sources : Sarkozy confirme qu’il fera bien voter une loi sur le sujet, qu’il garantira cette protection des sources, en l’étendant jusqu’au domicile des journalistes. C’est Dasquié qui va être content. La deuxième question... C’est à ce moment là que tout bascule, cette fameuse deuxième question qui restera dans les annales : « Monsieur le président, allez-vous vous marier avec Carla Bruni ? » Remous dans la salle. Tout le monde n’est là que pour cela, et personne ne va être déçu.

Dans un premier temps, Sarkozy fait mine d’esquiver, prétendant qu’un président de la République n’a « pas droit au bonheur ». Ensuite, comme souvent pendant sa conférence, il se compare à ce qui se faisait avant, en l’occurrence à l’ère Mitterrand, en affirmant que lui au moins, ne se cache pas. Il parle de la « chape de plomb » qui recouvrait la vie privée de Mitterrand, sa « deuxième vie », sue mais tue par tous les journalistes. Mitterrand qui partait lui aussi en vacances chez les pharaons, en avion privé, mais sans qu’aucun éditorialiste ne s’en émeuve. Sarkozy se régale, et il a bien raison : personne, dans la salle, n’oserait le contredire. Mitterrand avait muselé la presse comme personne, Sarkozy, lui, l’oblige presque à lui coller aux basques. Mitterrand avait une fille cachée, Sarkozy lui ne cache rien, dit tout, montre tout. Cette chape de plomb n’est plus, alors Sarkozy lâche le morceau, à sa façon : « Avec Carla, c’est du sérieux », affirme-t-il. On est curieux de savoir si Carla partage cette conviction. Elle qui a jusqu’à présent pris plutôt l’habitude de collectionner les hommes. C’est du sérieux, donc, et « oui » il y aura mariage, mais « ce n’est pas le JDD qui fixera la date », raille Sarkozy, manière de dire, vous ne savez que ce que je veux bien vous dire, c’est toujours moi qui contrôle l’information. « Il y a de fortes chances pour que vous l’appreniez quand ce sera déjà fait » insiste-t-il. Et à une journaliste qui lui demande sans doute si c’est déjà fait, Sarkozy présente sa main gauche dépourvue d’alliance. On se marre, on rigole, l’ambiance est légère, la politique est ailleurs, mais pas l’essentiel. Parce que l’immense majorité des journalistes sur place, et des caméras de France 2 qui retransmettaient n’étaient là que pour cela, ce « oui » crucial. Et c’est pour cela que Sarkozy survend sa vie privée : parce qu’elle lui permet sans effort de divertir les journalistes, de les occuper. Pendant ce temps, au moins, ils lui foutent la paix. La paix politique, s’entend.

Le grand moment passé, on peut allègrement avaler quelques menues couleuvres : la fin des 35 heures, la fin de la publicité sur le service public à la télévision. Réactions à ces deux annonces : les syndicats hurlent à la fin de la durée légale du temps de travail, et les actions de TF1 et de M6 bondissent. On parle aussi du retour d’une politique des quotas en termes d’immigration. Rien de très croustillant pour les rédactions de Closer, Gala ou Voici, que du mou, du non sexy, de l’invendable. Sur la TVA sociale, c’est surtout le « terme » qui est mauvais. La France est-elle en faillite ? Non, ce n’est même pas ce que François Fillon voulait dire. Fillon, qui comme pratiquement tous les membres du gouvernement, aura droit à son petit prénom égrené par le chef de l’Etat. Bernard, Rama, Fadela, François, Jean-Louis, Henri... Et puis, parce qu’il reste encore quelques opposants dans la salle, Laurent Joffrin entre en scène.

Pardon, « monsieur Laurent Joffrin » insiste le président, déjà moqueur avant la question. Le rédacteur en chef de Libération, bravache, décide de titiller le président sur sa façon d’exercer le pouvoir. Un retour à la monarchie, selon Joffrin, trop de pouvoir pour un seul homme, qui traite qui plus est son Premier ministre de « collaborateur ». Sarkozy serait en train de mettre en place une « monarchie élective », d’après le patron de Libé. Monarchie élective, Sarkozy se saisit du terme, et décortique : la monarchie, c’est une question d’hérédité. S’il y a hérédité, il n’y a pas élection, s’il y a élection, il n’y a pas monarchie. « De qui suis-je l’héritier ? De personne. Je n’ai volé ma responsabilité à personne. J’ai été élu démocratiquement. Vous croyez que je suis le fils légitime de Jacques Chirac, qui m’a mis sur un trône ? C’est moi qui ai inventé la Ve République ? Le pouvoir personnel, on en parlait déjà au temps du général de Gaulle » répond sèchement Sarkozy, avant de conseiller à Joffrin de s’occuper plutôt de son journal, en panne de lecteurs et de trésorerie, avant de lui lancer : « Vous faites mon pouvoir personnel. »

Joffrin rhabillé pour quelques hivers, restait à terminer la conférence, ce que Sarkozy fit, un brin fatigué, de plus en plus agité de tics, et bafouillant même sur une des dernières réponses. Un Sarkozy debout deux heures, très en verbe, mais qui a eu du mal à tenir la distance. Une seule question d’un journaliste étranger, et au final un peu de bruit pour pas grand-chose : de grands principes, quelques formules creuses, une certaine aisance verbale, pas mal de pugnacité. Sans surprise, du Sarkozy pur sucre qui continue, au fil de ses interventions, de se détacher avec force de ses prédécesseurs, d’imprimer sa différence. On a l’impression qu’il aimerait qu’une fois au moins quelqu’un lui dise (comme dans une chanson de Carla Bruni) : on a jamais vu un président comme vous, monsieur le président. Qu’il est différent. Et ça tombe bien : aucun journaliste ne prétendra le contraire.

Ce président-là ne ressemble pas à ses prédécesseurs. Il n’est ni le fils caché de Chirac, ni le fils spirituel de Mitterrand, encore moins un nouveau de Gaulle. Son ex-femme est sur le point de se remarier tandis que lui-même annonce son prochain mariage. Il emploie des expressions comme « nirvana de bonheur », ou « à force de reculer, on va finir par revenir au point de départ », ou « personne ne sera déçu, les pour comme les contre », ou encore « on aurait eu l’air malin, de se retirer de l’Afghanistan quelques jours avant l’assassinat de Mme Bhutto ». Il oscille entre la brève de comptoir et la saillie vacharde, pour mieux manipuler, parce qu’il est, comme l’avait écrit Laurent Joffrin, « d’une intelligence redoutable ». L’opposition risque de trouver le temps long.


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