Sarkozy n’est plus en grève

par LM
mercredi 21 novembre 2007

Retour aux affaires du président joggeur, qui gérait jusqu’à présent la pénurie de transports en se drapant dans un silence aussi assourdissant qu’inattendu. Devant les maires de France, le chef des chefs a réaffirmé sa volonté de réforme et convoqué Thorez pour demander l’arrêt des hostilités.

Depuis quelques jours, la France vivait une situation exceptionnelle : rien à voir évidemment avec l’absence de métros, de trains, de bus, ni la présence dans les rues de fonctionnaires et autres gaziers banderolés de certitudes caduques, rien à voir avec les gesticulations pré-pubères d’étudiants toujours en manque d’adrénaline et qui se rêvent, c’est de leur âge, derrière quelques barricades avec en main quelques pavés, rien à voir non plus avec les cris d’orfraie de médiocres lycéens, qui ne lisent pas Balzac, mais lui préfèrent Olivier Adam, rien à voir avec ce cirque-là, aussi convenu que les frimas de l’automne ou les faux signes avant coureurs d’un hiver rigoureux et coupant, non, si depuis quelques jours la France vivait une situation exceptionnelle, ce n’était dû qu’au silence savamment entretenu par le locataire de l’Elysée. Depuis plus d’une semaine, Nicolas Sarkozy n’apparaissait plus devant les micros, ni les caméras. Comme s’il avait divorcé de Sarkozy, Nicolas, tsar de tout l’Hexagone, amoureux fou de la petite lucarne et de ses journalistes, envahisseur de toutes les colonnes à la une ou en pages intérieures. Les livres d’histoire retiendront ceci : Nicolas Sarkozy, soudain, mi-novembre 2007, se tut. Jusqu’à hier.

Hier, chacun put reprendre une activité normale. Hier, sur le web ou à la télévision, comme naguère, le président encore très aimé de tous les Français cheminots ou électriciens, professeurs ou chanteurs, le président donc refaisait surface, le tic au bord des lèvres et les mots dans l’ordre, calme et apparemment détendu, pour remettre quelques points sur les i. Le i de gréviste, surtout : « Chacun doit bien comprendre que pour moi dans un tel conflit, je ne veux pas qu’il y ait un vainqueur et un vaincu. Jusqu’au bout je resterai déterminé, la réforme se fera, que nul n’en doute, mais jusqu’au bout je resterai ouvert parce que c’est mon devoir  »(...) "Chacun doit s’interroger sur la poursuite d’une grève qui a déjà coûté si cher aux usagers, qui n’ont pas à être pris en otage d’un conflit qui ne les concerne pas"(...) «  Dans une démocratie apaisée, on dialogue. Dans une démocratie civilisée, on arrête la grève avant de mettre une économie à genoux. Dans une démocratie aboutie, la majorité doit l’emporter sur une minorité très minoritaire, fût-elle violente. » Pour résumer le discours sarkozien : ni vainqueur (sauf lui) ni vaincus (sauf les grévistes), la grève doit s’arrêter, la majorité des Français est contre ce mouvement. Voilà qui devrait, on n’en doute pas une seconde, calmer les esprits. A ceux qui pensaient une seconde que le président trahissait, en son silence, un embarras, il n’est plus guère besoin qu’ils s’illusionnent encore. L’homme de fer est de retour et entend bien libérer le pays. Libérer, oui, tous ces « otages » : "Il y a des millions de Français qui, après une journée de travail, quand il n’y a pas de bus, pas de métro, pas de train, sont exaspérés d’avoir le sentiment justifié d’être pris en otage", et les otages, ça se libère, ça il sait faire, Sarkozy, avec ou sans Cécilia, avec ou sans « preuve de vie ».

"Jusqu’au bout je resterai déterminé. La réforme se fera, que nul n’en doute. Mais jusqu’au bout, je resterai ouvert parce que c’est mon devoir". Sarkozy, qui dit par ailleurs que son gouvernement n’a « jamais cherché l’épreuve de force » (ce qui semble assez vrai) y va de son petit couplet Juppéiste, ici : droit dans ses bottes, droit dans ses réformes. Rien ne le fera changer de cap. Juppé s’y est brûlé, mais il serait étonnant que l’homme de Neuilly connaisse le même destin. D’abord Sarkozy n’est pas Premier ministre, mais président de la République, ensuite la mobilisation n’est pas aussi forte que par le passé (la RATP affichait pour la journée de lundi seulement 18 % de grévistes, mais 90 % chez les agents de conduite ce qui explique l’absence de métro) et enfin Sarkozy a été élu pour faire des réformes, pour faire changer les choses, pour ne pas changer de politique au premier mouvement social venu. Autrement dit, une majorité de ses électeurs le soutiennent sans doute et sans réserve lorsqu’il assure qu’il ne « cédera pas ». Ces électeurs dont la seule crainte, durant le mutisme de la semaine passé, était de voir revenir un président « négociateur » ou déstabilisé, et qui aujourd’hui peuvent être rassurés. Sarkozy n’est pas Juppé, enfin, parce qu’il n’est pas Chirac : il ne lâche pas son Premier ministre, en chute dans les sondages, mais pas si chahuté que cela dans la rue. C’est cela une des plus grande qualité, d’ailleurs, de Sarko : ne pas dénigrer son gouvernement, sauf en catimini (« une bande de nuls ! » l’a-t-on souvent entendu rugir en page 2 du Canard enchaîné), donc ne jamais perdre de vue la route à suivre, celle qu’il s’est fixée. Sarkozy reste en accord avec ses idées, son style, sa pensée. Même après dix jours sans mots, sans images, sans polémique.

Tout cela, bien sûr, est une mauvaise nouvelle pour les grévistes. Les négociations censées s’ouvrir demain précipiteront d’abord et avant tout la fin du mouvement. Sinon, le durcissement viendra sans doute du sommet, avec l’instauration, sait-on jamais, d’un service minimum, de gré ou de force. (Est-ce normal que l’arrêt de travail de moins d’un quart des salariés d’une société empêche celle-ci de fonctionner ?) On ne négocie pas sous la contrainte, un pistolet sur la tempe, tout le monde l’entend. Et Sarkozy ne souffrira pas cette pression. La fin de la grève signe la fin de beaucoup d’espoirs, pour certains, de voir le gouvernement faire machine arrière. Quelques concessions, de ci de là, mineures, seront sans doute consenties, mais rien de plus. Tout cela, bien sûr, est plutôt une bonne nouvelle pour les usagers, qui d’ici un ou deux jours, pourront reprendre une activité normale, travailler sans entrave, librement.

C’est à cela, depuis vingt ans, au moins, depuis que les salariés français ont déserté les syndicats, c’est à cela que sert une grève : mesurer le degré de courage d’un gouvernement, d’une majorité, d’un président. Jauger les dirigeants et leur capacité à faire face, à appliquer leur politique. C’est à cela que sert une grève, et à bercer d’illusions l’extrême gauche, en coma dépassé, qui vit là comme une rémission dans sa triste et longue marche vers la fin. A cela, et comme dirait Jean-Pierre Pernaut, à « emmerder les honnêtes gens, qui travaillent, eux, jusqu’à 65 ans. » A tout cela, à rien d’autre. Mais les plus courtes sont les meilleures : Sarkozy vient de siffler la fin de la récréation sociale.


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