Sarkozy, six mois partout

par LM
vendredi 9 novembre 2007

Déjà une demi année que notre speedy président gouverne le pays, en long en large et en prime time. Si le style s’est imposé, les réformes, elles, se font attendre, les grèves menacent et la croissance ne fait pas le moindre bond. L’unique révolution réside dans la disparition du gouvernement, rien que ça.

Déjà plus de six mois que le petit Nicolas a gravi quatre à quatre les marches du Palais. Six mois depuis le concert gratuit de la Concorde, Mireille Mathieu, Enrico Macias et compagnie, avec Cécilia en fond d’écran. Six mois depuis le yacht de Bolloré, les lunettes noires, les enfants blonds et le lancement de la lettre de Guy Môquet. Six mois si vite passés que les deux mandats de Chirac nous paraissent soudain des siècles, que les deux septennats de Mitterrand nous semblent préhistoriques. Six mois pour donner un grand coup de balai dans les habitudes guindées, dans les conventions et sur les vieux lustres. Six mois durant lesquels on a disséqué, analysé, étudié, paraphrasé, décortiqué comme jamais les faits et la geste présidentiels. On n’avait jamais vu ça. Autant de journalistes, de caméras, de photographes aux basques d’un président de la République. Il faut dire que ce président-là, moins académique que les précédents, moins figé, moins naphtaline, ne reste pas souvent en ses murs, et préfère, loin du Palais, chausser ses lunettes, ses baskets et son tee-shirt, embarquer dans le premier avion venu, se rendre sur le dernier point chaud crucial, se montrer, enfin, à tout prix, à n’importe quelle heure d’audience. Un président qui s’est attaché à se rendre inévitable. Impossible à ne pas voir, parce que partout. Nicolas « Je suis partout » Sarkozy, règne sans partage.

Et ça marche. Parce que, au bout de six mois de tapage nocturne, diurne, et même le week-end, les Français ne se lassent pas. Ils en redemandent. Plus de photos, plus de reportages, plus de vidéos plus ou moins tronquées, plus de petites phrases, plus d’énervement avec les pêcheurs, plus de divorce avec Cécilia, plus de jogging, plus de Ray Ban. Les Français ne se lassent pas, on peut même les soupçonner d’aimer. Le style passe bien. Il faut dire qu’il est difficile de ne pas accorder au président qu’au moins, il s’implique. Tout n’est peut-être pas parfait, mais il est là. Il montre l’exemple, à défaut de montrer le chemin. Il mène la course, mais sans forcément se soucier de savoir si derrière, ça suit. Ainsi, on sait que Fillon, lui, Premier ministre, premier donc après le Premier, n’arrive pas à suivre. Que les rares fois où le chef ne serait pas contre qu’il mouille la chemise, il se fait un peu griller la politesse par le jogger à tics qui démarre plus vite que son ombre de collaborateur. Un Fillon dépité, tête souvent basse, l’air las d’un Juppé en fin de grève, qui se demande un peu, à demi-mots, ou à trois quarts mots même, à quoi il sert. Simple collaborateur ? Ami ? Partenaire ? Secrétaire ? Inaugurateur de chrysanthèmes ? François n’est pas très sûr, mais se désespère. Et il n’est pas le seul. Parce que la grande révolution sarkozienne inscrite d’ores et déjà dans le marbre, c’est cela : la disparition du gouvernement.


Fillon se lâche

Les ministres, les secrétaires d’Etat, tous grillés, tous écrasés par le poids et l’omniprésence du chef. On ne voit que lui, et eux tentent tant bien que mal de figurer, produits de l’ouverture ou pas, ils essaient d’exister, comme ils peuvent, eux que Sarkozy, dès qu’il le peut, ne se prive pas de traiter d’ « incapables ». Dur métier, donc, que celui de ministre sous sa Majesté Sarkozy 1er, qui ne délègue rien, sauf les miettes, ou les casseroles.

Sarkozy occupe donc tout le temps de gouvernement disponible, mais pour faire quoi ? A part les coups d’éclat, très visibles, très montrés, très commentés, quoi de neuf ? Des réformes ? Beaucoup de chantiers, aucune fin de travaux. Des étrangers expulsés ? Hortefeux, très proche de Nicolas Sarkozy, n’a pas atteint son objectif, loin s’en faut : sur la question des expulsions de sans-papiers, la situation n’a pas changé, ou très peu. Le pouvoir d’achat ? Il ne s’améliore pas plus que la croissance ne monte. La réforme de la Justice ? Rachida Dati, chouchou du chef, s’est mise à dos les trois quarts de la magistrature et pas mal de ses collègues UMP. Le droit de grève ? Le service minimum ? On attendra les grands mouvements annoncés durs de la fin novembre pour juger sur pièce, mais on peut émettre quelques doutes. Non, vraiment, qu’est-ce qui a changé sous Sarkozy qui n’existait pas avant ? Rien, ou si peu. Quelques tests ADN par-ci, un musée de l’immigration par-là, pas de quoi désespérer Pompidou. Même au niveau du journalisme, rien n’a vraiment bougé. Ni censure excessive, ni liberté totale. Deux ou trois pressions, par-ci par-là, mais rien de stalinien, loin s’en faut. Non, vraiment, si le spectaculaire a bien envahi l’écran, on n’a assisté à aucun changement radical. Et c’est peut-être là que la déception se niche. Déception pour ses partisans qui attendaient et attendent encore un virage prononcé, déception chez ses opposants aussi, qui n’ont pas trop de grain à moudre dans l’immédiat.

C’est que, contre beaucoup d’attentes, Nicolas Sarkozy, impulsif, instinctif mais pas bête, a semble-t-il choisi une sorte de méthode douce. Sur les réformes des régimes spéciaux de retraite, sur les sans-papiers, sur la réforme de la carte judiciaire, sur la réforme des universités, il avance, certes, mais tranquillement. Sans pour autant se cacher, sans se dissimuler : il se montre, il est là. Pour déminer, désamorcer, en imposer aussi, peut-être. Pour affronter, avant d’expliquer. On n’avait jamais vu un président autant sur le terrain. Sur n’importe quel terrain. Un président qui vient se faire chahuter par les cheminots, ou les pêcheurs, crânement, loin des bureaux et des dossiers. En rappelant à chaque fois que « lui, au moins » il « vient ». En prenant à partie, sans gants, ceux qui le molestent. Chez ses prédécesseurs, les exemples de telles rixes étaient rares, chez lui elles sont déjà légion. On attend avec une certaine impatience Sarko dans les amphis, qui commencent à se réveiller. Il y a gros à parier que le zébulon de Neuilly ne décevra pas ses fans. Les confrontations, il aime ça, ça se voit, et c’est ce qu’il fait le mieux : s’agiter, gesticuler, parler fort. La politique est ailleurs, diront certains, mais il n’empêche que ce style fonctionne. Il fonctionne parce qu’il surprend, il surprend parce qu’il est nouveau ici. Un style bien plus proche d’un Hugo Chavez que d’un Tony Blair, d’un Lino Ventura que d’un de Funès. Loin de l’ENA et de sa langue de bois. Un nouveau discours, une sémantique jusqu’ici plutôt réservée aux repas de famille qu’aux réceptions de l’ambassadeur.

Six mois, donc, que Sarkozy est partout, tout le temps. Une sorte de matière première made in France, une espèce d’aliment de base de l’information. Un président sans partage, sans retenue, sans calcul, qui fonce, bille en tête, apparemment sûr de son fait. Dont on peut encore se demander, toutefois, s’il construit véritablement quelque chose ou s’il ne fait que brasser de l’air. Réponse d’ici 2012.


Sarkozy insulté par les pêcheurs au Guilvinec

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