Ségo, c’est plus fort que toi !
par Thucydide
vendredi 27 janvier 2006
Ségolène Royal, nouveau produit marketing au sommet de la courbe des intentions d’achat, à laquelle je cède généreusement mes prétentions sur le slogan (détourné des consoles de jeu Sega) qui sert de titre à cet article, sera prochainement « guignolisée », sa marionnette étant déjà dans les cartons. La nouvelle pourrait paraître anecdotique, pourtant, elle est loin de l’être. Si certains hommes politiques ou artistes s’étouffent d’indignation quand on les caricature (ce qui, en général, ne fait qu’attiser les moqueries), d’autres, plus sagaces, ont bien compris que c’est pour eux une forme de consécration, qui peut parfois se transformer en promotion.
Une consécration d’abord, parce que ce faisant, le caricaturé s’implante de manière plus profonde et durable dans le bestiaire populaire, ce qui est une condition indispensable pour exister petit à petit, surtout auprès de ceux qui, très nombreux, ne prêtent qu’une attention superficielle à la question. L’ancrage est ainsi assuré, et ceci, malgré une absence réelle d’ « épaisseur » politique. Concernant Ségo, cette absence d’épaisseur a déjà été maintes fois avancée ici-même, mon propos n’est pas de l’évaluer, mais de noter que c’est loin d’être une faiblesse de marketing, bien au contraire. Le procédé est bien connu des publicitaires depuis longtemps : avant de vous révéler l’identité d’un produit, on vous le placarde en gros pendant quelques jours, histoire de vous faire mariner un peu et de vous donner envie de savoir ce qu’il y a derrière (« Demain, j’enlève le bas », vous vous rappelez ?). Après le slogan sans grand rapport avec le produit vendu (style : « la force tranquille »), l’appât en forme de devinette entre en politique. Un moyen très malin pour se procurer de la tranche de cerveau disponible en retardant stratégiquement le besoin de se positionner clairement. Il ne reste plus qu’à fixer le tableau au mur, fonction remplie par les sondages et, maintenant, la « guignolisation » (sans présumer d’aucune préméditation de cette dernière).
Promotion, ensuite, même si, pour Ségolène Royal, seul l’avenir nous le dira. Car même sous la caricature ou le dénigrement, les préférences des auteurs des « Guignols » peuvent non seulement transparaître, mais clairement peser sur le jeu électoral. Rappelons-nous, c’était en 1994-1995 : Edouard Balladur au zénith des intentions de vote, Jacques Chirac au nadir. L’affaire semblait « pliée », mais tout le bel édifice s’affaisse inexorablement au cours de la campagne électorale. Revisitée par des Guignols au sommet de leur forme, celle-ci s’est transformée en affrontement entre "Couille-Molle" le Ganelon en gants blancs (et son âme damnée Sarko) d’une part, et d’autre part, "Pile-Poil", brave gars abandonné, un peu maladroit et un peu filou, sorte de pied-nickelé qui aime les pommes, les vaches et la tête de veau. On se rappelle sans peine lequel a franchi -« pile poil »- le cap du premier tour. (Les Guignols modifieront par la suite le personnage, entre autres pour lui faire enfiler le collant d’un justicier sans peur ni reproche qui accourt à l’appel de Supermenteur.)
On le voit, il n’y a pas que durant la campagne de 1981, avec ses images subliminales (et illégales) de Mitterrand, que les messages inconscients s’insinuent dans notre jugement. Passé révolu, influence négligeable, me diriez-vous ? Voire... Laquelle trouvez-vous la plus sympathique parmi les marionnettes des « présidentiables » actuels ? Celle du roquet vindicatif agitant un kärcher en vociférant, ou celle du mannequin pour sous-vêtements sexy qui, « le brushing dans le vent », fait fantasmer les dames ? Et donc, saurez-vous, le moment venu, faire la part de cette influence subconsciente qui s’imprime sur vos tranches de cerveau martelées par les spasmes du rire ?