Ségolène Clinton vs Nicolas Giulliani : l’américanisation des présidentielles françaises

par Benoît PETIT
mardi 28 novembre 2006

Effet de la mondialisation ? La campagne présidentielle française ressemble de plus en plus à une élection américaine... Lâchers de ballons, paillettes, primaires médiatisées, spots publicitaires, il ne manque plus que les fanfares festives pour que le tableau soit complet. Notre système politique, fondé sur l’approche gaulliste de « l’exception française », s’est progressivement - et singulièrement - américanisé. Un comble pour un pays dont le président de la République de cette dernière décennie se revendique héritier de la pensée du Général.

Comme les Américains, nous avons notre candidat républicain bien à nous, Nicolas Sarkozy : l’homme à gauche sur la photo avec Georges W. Bush ; le président d’un mouvement - conçu pour être le parti unique de la droite - qui organise de très onéreuses com’-conventions et qui distribue des tongues UMP l’été sur les plages ; le tribun charismatique dont les discours reprennent méthodiquement les thèmes et les méthodes des think-tanks républicains... Sur la forme comme sur le fond, la proximité avec les cousins du GOP est flagrante.

Sur la forme, tout d’abord. Personne ne peut contester la tonalité sécuritaire des discours de Nicolas Sarkozy. Pour la plupart des thèmes qu’il aborde, la structure dialectique est précise : susciter un sentiment de peur, créer une impression de proximité avec les gens (grâce au vocabulaire), construire une image d’homme providentiel (à la fois compétitif et actif).

Sur le fond, surtout. Les problématiques mises en avant sont les mêmes des deux côtés de l’Atlantique : promotion de mesures sécuritaires, appels à la discrimination positive, renforcement des rapports entre la sphère publique et la religion, idéalisation des modèles économiques, sociaux et environnementaux libertariens (conception d’un marché soumis à peu de contraintes de régulation, véritable alpha et oméga pour tout progrès social et environnemental), conservatisme moral et rationnalisé (cf. notamment ses positions sur le mariage homosexuel et l’homoparentalité)...

Le candidat à la candidature UMP applique - avec talent - l’exemple donné par les principaux conservateurs républicains, et particulièrement l’ancien maire de New-York (et candidat probable à la Maison-Blanche en 2008), Rudolph Giulliani. Ce dernier est actuellement fortement critiqué sur les résultats de sa politique de maire : si les uns reconnaissent une baisse du sentiment d’insécurité dans les rues de Manhattan (quartier aisé), d’autres, de plus en plus nombreux, dénoncent - à juste titre - l’augmentation simultanée du racisme, des violences policières, des entorses aux libertés civiles, ou encore des communautarismes... A y regarder de plus près, ces critiques pourraient être transposées au bilan du ministre de l’Intérieur.

Et comme cela se passe au Parti républicain, le candidat dominant aux primaires est concurrencé par des tendances minoritaires, dont le discours est davantage centré sur une vision plus souple de l’économie de marché, sur une sensibilité sociale plus affirmée, ainsi que sur une conception volontariste en matière de défense nationale et de politique étrangère.

L’UMP a été conçu comme le GOP : il s’agit d’un voile pudique jeté sur les différentes luttes d’influence et de pouvoir qui animent la droite et le centre droit. Comme aux Etats-Unis, ce sont aujourd’hui les conservateurs et les libéraux qui ont le vent en poupe, mais demain, le vent pourrait fort bien tourner !

Nous avons également notre candidate démocrate tout droit venue du Poitou-Charentes, Ségolène Royal. Le rapprochement saute aux yeux entre le couple qu’elle forme avec le précédent homme fort du parti, et celui des Clinton (d’un point de vue strictement politique, et non personnel).

Comme Hillary, Ségolène dégage une image d’élue déterminée, indépendante, et à l’écoute des gens. Mais comme Hillary, elle est aussi porteuse d’un discours parfois conservateur, souvent consensuel, et teinté de social-libéralisme.

Comme Mme Clinton, la candidate socialiste s’appuie sur le réseau politique que son compagnon a constitué depuis la fin des années 1990. Mais comme Mme Clinton, elle est contrainte de se démarquer politiquement de son conjoint, afin d’exister au sein de son mouvement... Les quelques libertés prises avec le projet du parti renforcent l’indépendance de Ségolène par rapport à la direction socialiste ; dans le même esprit, les positions plus à gauche d’Hillary sur l’assurance-maladie, sur la famille, et sur la défense, la distinguent de la présidence de son mari, Bill.

Et puis, toutes deux partagent un point commun non négligeable : elles incarnent à elles deux la possibilité pour une femme d’accéder pour la première fois aux fonctions suprêmes de leur pays. Alors que les hommes doivent prouver leur capacité de rupture, elles sont naturellement une rupture.

Les similitudes sont également nombreuses dans les rapports de force internes qui animent le Parti socialiste français et le Parti démocrate américain. Même si l’influence des courants libéraux-sceptiques est plus forte chez nous que chez eux (quoique...), les clivages internes se constituent malgré tout autour de l’opposition avec les sociaux-libéraux.

Finalement, en organisant ses primaires médiatisées, le Parti socialiste français assume sa structure globale dont la vocation est d’organiser les rapports d’influence à gauche et au centre-gauche... une forme d’anti-clône de l’UMP, en somme.

Ségolène Clinton versus Nicolas Giulliani, voilà le scénario (probable !) qui se déroulera en 2007 en France, en 2008 aux Etats-Unis... Même les rôles secondaires sont ressemblants : candidatures écologistes et centristes-indépendantes viendront certainement animer l’arrière-fond du débat, mais resteront cantonnées au niveau du témoignage.

Force est hélas de constater que peu de choses distinguent la structure des systèmes politiques américain et français, si ce n’est, peut-être, le goût des Français pour le pluralisme. Et encore, avec le mécanisme des cinq cents signatures et la réforme du financement public des partis, tous les moyens sont mis en œuvre pour étouffer le peu de diversité qui nous reste.

Plus il y aura de candidats à l’Elysée, chacun porteur d’un projet et d’un ensemble de valeurs spécifiques, plus nous nous prémunirons du risque d’américaniser définitivement notre sphère politique... Ce n’est pas de l’anti-américanisme primaire que de dresser ce constat : c’est tout simplement retrouver notre french touch .


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