Ségolène, Dominique et Laurent s’imposent la méthode syllabique

par LM
vendredi 20 octobre 2006

Trois humains, en uniforme de candidats politiques, droits comme des i sur lesquels mettre les points, dans un décor de jeu télévisé : on attend une téléportation imminente, mais rien ne vient. Ce n’est pas Star Trek, c’est la mise sur orbite du trio socialiste qui se lance à la conquête de l’Elysée.

C’est quoi cette mise en scène ? Ikea fabrique aussi des pupitres ? Drôle de look en tout cas que ce plateau télévisé, entre « + Clair » et « En aparté ». Un certain dénuement, mais surtout une forte odeur d’amidon là-dedans. Tout est droit, et pas que les plis du pantalon, et pas que les revers du tailleur. La caméra cadre les candidats puis se lance dans de faibles travellings pour nous laisser entrevoir le haut du crâne bien peigné du public, silencieux comme une tombe. On ne tousse même pas, on n’applaudit pas une seconde. Tout est carré, prévu, minuté. La première question : « Pourquoi êtes vous candidat ? » est posée tour à tour à Ségolène, à Dominique et à Laurent. Chacun répond dans le temps qui lui est imparti en ar-ti-cu-lant bien, trop bien, sans doute une des premières manifestations de la méthode syllabique généralisée. B-a-ba. So-cia-lis-te. Socialiste. Pas mieux. Ségolène : Or-dre jus-te. Ré-pon-se à tout, re-do-nner un sens. Pour Dominique : So-ci-al dé-mo-cra-tie. Che-min pour le pa-ys. Vain-cre la droi-te. Pour Laurent : dé-bat dé-mo-cra-ti-que. I-né-ga-li-té, in-jus-ti-ce. On vérifie l’antenne, le décodeur, voir s’il marche correctement, ou s’il décroche parfois, comme la TNT qui a tendance à ha-chu-rer certaines paroles, certaines images.

A part ça, quelles idées ? Du nouveau du neuf, du révolutionnaire ? Rien de tout ça. Chacun s’emploie à démontrer que ça ne va pas bien, que « les Français ont des difficultés », qu’ils ont besoin qu’on leur « redonne confiance », qu’il faut « relancer la recherche » (la recherche, c’est l’horizon du forestier, pas du myope, dixit Fabius), tous sont d’accord aussi sur le fait que la France peut relever la tête, qu’on peut arriver au « plein emploi dans dix ans » selon Strauss-Kahn. Chacun, pour argumenter, de défendre son petit bilan, Ségolène dans le Poitou, Strauss-Kahn au ministère de l’économie, Fabius... Fabius a un ami dans les Vosges, qui lui a parlé de la fusée Ariane... Le potentiel est là, le potentiel existe, la France est « magicienne » selon Ségolène, qui « croit que la création d’emplois c’est quand chacun est à sa place »... Ségolène veut décentraliser. A part ça, quelles idées ?

A part ça, rien. Des exemples de petites réalisations de-ci de-là, chacun avec ses chiffres, parfois avec ses documents, du baratin, des chiffres, des chiffres sur des aides, des augmentations, des enveloppes, « moi je ferai ceci », « moi j’augmenterai cela », 100 euros par ici, 1500 par là, la mienne est mieux que la tienne, c’est celui qui dit qui y est. Les trois, rapidement, se mettent d’accord, Ségolène « va dans le bon sens » selon DSK, miss Royal lui renvoie l’ascenseur et seul Fabius, s’il les salue, voit en ses deux acolytes des « compétiteurs ». Rien ne se passe, ni téléportation, ni plongée dans l’espace-temps, ni nouvelle planète en vue. L’emploi est évoqué, les 35 heures aussi, les bas salaires... Les 35 heures d’Aubry sont défendues par Strauss-Kahn et Fabius, mais montrées du doigt par Ségolène Royal, qui avait peut-être lu les déclarations récentes d’Aubry qui disait (voir Le Canard enchaîné de la semaine dernière) que si les socialistes apportaient massivement leur soutien à Royal elle (Martine Aubry) se « jetterait dans la Seine »... Fabius veut « généraliser » les 35 heures, Ségolène, elle, veut les « adapter ». A part ça, quoi de neuf ? Les costumes peut-être, on était habitué à plus kistch dans Star Trek. A part ça, vraiment rien, et surtout pas, ni chez Ségolène ni chez Dominique ni évidemment chez Laurent, de trace quelconque de « nouvelle politique ». Rien de neuf, vraiment, de l’occasion de première main, peut-être, mais pas du neuf.

Alors, les commentateurs se sont rabattus sur ce qu’il restait et ont salué la « dignité » du débat, la « qualité » des interventions et « l’aisance » de Ségolène Royal, qui selon Libération a traité « d’égale à égal » avec ses deux comparses. Et alors ? On s’attendait à quoi ? A une partie de catch dans la boue, Ségolène en string noir et Dominique et Laurent en Rocket Men ? Les questions étant préparées par avance, donc traitées avant d’être posées, les candidats ont eu l’occasion de répéter leur texte, d’apprendre par cœur leur laïus. Ne leur restait plus qu’à réciter, le plus clai-re-ment possible leur projet. En étant le plus pré-cis et com-pré-hen-si-ble possible. Ce n’était pas un débat, c’était une suite d’exposés, argumentés et travaillés. On n’a rien appris, rien vu, et on n’en sait pas plus sur la capacité de Royal à affronter un « vrai » débat avec éventuellement quelques questions « vaches », comme il est de règle en pareil cas, on n’en sait pas plus non plus sur la capacité de Strauss-Kahn à contrer la dame. En fait, ce premier débat n’a rien appris qu’on ne sût déjà : Ségolène, si elle doit être rattrapée, le sera peut-être par DSK. Fabius, lui, comme prévu, est hors sujet, hors course, le plus aigri des trois, puisque le premier battu.

Mais la chaîne parlementaire, regardée ce soir-là comme jamais, avait mis les petits plats dans les grands avec un « Après débat » animé par Pierre Sled (celui qui présentait une émission style « Guiness Book sur la plage » sur France 3) avec comme intervenants les vieilles citrouilles de l’analyse politique, comme Gérard Careyrou, ou le spécialiste de l’argent gaspillé, de Closets, tous débattant longuement sur ce débat sur lequel il n’y avait rien à dire, finalement. Cette façon de « refaire le match » ne faisait que mettre un peu plus en lumière sa pauvreté.

Il y a toujours un moment dans Star Trek où le commandant demande à monsieur Spok « ce qui se passe ». S’ensuit un énoncé compliqué embrouillé et imbitable sur un mystérieux bidule qui présenterait un dysfonctionnement important. On ne comprend rien mais c’est voulu : il n’y a rien à comprendre.

Mardi soir, il n’y avait rien à attendre de ce débat, et c’était sans doute, aussi, voulu. L’attirance de la planète Elysée était sans doute trop forte pour que les trois petits candidats se hasardent à lâcher le frein. Peur de s’écraser, peut-être.


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