Ségolène Royal achète la presse

par Hubert Arnandeau
mardi 22 mars 2011

Certainement pour la lire…

Plutôt sympathique, cette annonce du Conseil Régional Poitou-Charentes. Les personnes âgées vont pouvoir lire le journal.

Parmi tous les dispositifs mis en place par cette collectivité, et qui sont tous prioritaires, bien évidemment, celui-ci ne fait pas exception à la règle instituée par Ségolène Royal depuis qu’elle est en poste.

C’est un dispositif qui s’adresse en direct à la population.

Après les vélos électriques, les récupérateurs d’eau, les ordinateurs, la pilule du lendemain, les brûleurs thermiques individuels contre les mauvaises herbes, les tickets-sports et autres gadgets électoraux, la collectivité dirigée par l’ex-future candidate proposent au troisième âge de lire le journal.

Il faut pour cela que le bénéficiaire s’engage à partager son journal avec deux autres personnes et il le recevra à son domicile pendant une année.

C’est du moins ce qu’affirme la lettre l’Essentiel en date du 28 Janvier 2011 (newsletter du Conseil Régional).

Les raisons invoquées sont louables et recevables.

La Région a fait du droit à l'information de proximité pour tous une de ses priorités. Or un constat s'impose : pour certaines personnes, et particulièrement pour des personnes retraitées, des difficultés sociales, un trop grand isolement ou une précarité financière rendent complexe cet accès à l'information de proximité (sic).

Forte de ce constat, la Présidente de Région offre un abonnement gratuit aux 1000 premières personnes qui se manifesteront auprès des services de la Région.

Les contribuables de Poitou-Charentes seront certainement sensibles au fait que, grâce à leurs impôts, les quotidiens régionaux vont pouvoir se payer une petite bouffée d’oxygène.

Et ils en ont besoin. Autrefois, dans la Vienne, deux quotidiens se livraient une guerre féroce. La Nouvelle République et Centre presse.

Les deux journaux existent toujours mais au prix d’un rapprochement qui a laissé nombre de journalistes et photographes sur la touche, direction Pôle Emploi.

Désormais, les deux quotidiens offrent, en matière de pluralisme, une version quelque peu étriquée. Seuls les titres changent.

La politique éditoriale est la même ainsi que les articles de fond. Les réseaux de correspondants locaux ont été « optimisés », pour employer le langage en vogue chez les incinérateurs d’entreprises.

Le citoyen n’a donc que le Net pour s’instruire et approfondir ses connaissances de la politique locale, pour autant qu’il le désire.

Pour être juste, cette région ne fait pas exception en la matière. Dans le nord de la France, en Paca, en Midi-Pyrénées et tant d’autres provinces, la situation est à peu près similaire.

Les contribuables sont appelés aux urnes et aux bourses

Le budget n’est pas neutre : entre cent et deux cent mille euros pour la presse régionale.

Mais ils apprendront certainement, non par leurs journaux mais à l’aide d’un simple calcul arithmétique, que cette action leur coûte en fait bien plus cher qu’un simple abonnement offert à leurs concitoyens.

En effet, il faut, pour bénéficier de cette mesure, envoyer un dossier. Ce dossier sera instruit par un premier fonctionnaire pour mesurer son éligibilité. Ensuite, il sera procédé au versement, lequel exigera l’intervention d’un autre employé qui validera l’écriture comptable et transmettra au Trésorier-payeur, lequel effectuera le versement. Ce qui mettra au moins trois personnes dans la boucle.

Le coût pour chaque abonnement offert se trouve multiplié par environ 1,5.

Les effectifs de la Région ont explosé depuis que Madame Royal est en responsabilité. Car il en est ainsi pour tous les dossiers et aides directes que la Présidente met en place avec l’entier assentiment de son assemblée.

Laquelle est, de temps en temps, consultée, « démocratie participative » oblige.

Parfois, les élus, notamment ceux d’Europe Écologie, sont informés par la même presse qu’ils ne sont plus en responsabilité sur tel ou tel dossier.

Mais dans l’ensemble, cette assemblée de godillots marche droit. Les arbitrages politiques ne se prennent plus avec la présidente mais avec le directeur général des services, lequel règne en maître sur l’application à la lettre des consignes venant de Paris.

Les élus locaux se taisent, avalent les couleuvres et affrontent sur le terrain la grogne de plus en plus évidente de la population.

Certains, parmi les socialistes les plus en vue, lèvent les yeux au ciel. D’autres ruminent leur rancune, les plus nombreux voteront pour leur présidente avec ferveur en 2012, mais à seule fin de s’en débarrasser. Au national, on peut espérer qu'elle nous laissera en paix, disent les plaisantins.

En droit public, on se demande bien comment une collectivité territoriale peut ainsi verser des aides directement à un citoyen. Mais l’ex-secrétaire d'Etat et députée honoraire, comme elle le proclame sur tous les fronts, a transformé cette stratégie peu commune en tactique gagnante.

Ainsi, la presse quotidienne régionale (PQR) bénéficiait déjà d’encarts publicitaires sur des pages entières, vantant les décisions et actions du Conseil Régional.

Elle se voit offrir de surcroît un petit poumon d’oxygène avec ces 1000 abonnements offerts par la Région.

Cette presse serait ensuite bien peu reconnaissante si, d’aventure, elle se permettait d’émettre la moindre critique vis-à-vis de l’action de la Région.

De mauvais esprits diront que c’est là une manière bien peu convenable de circonscrire la presse.

Ségolène Royal aurait tort de se gêner, au vu de l’exemple donné au niveau national.

Les grands groupes de presse, en parfaite collusion avec les capitaines d’industrie bénéficient d’aides sans commune mesure avec ce qui se passe en région.

Cela donne lieu à des échanges de postes, retours d’ascenseurs, chaises musicales et nominations dont l’indécence ne provoque même plus la plus petite indignation.

Le mercato d’hiver entre grands groupes de presse a vu d’improbables changements, collusions entre presse écrite, radiophonique et télévisuelle. Le cirque habituel !

Mais Ségolène Royal s’est entouré de spécialistes des médias régionaux et nationaux (Une de France 3, une de France Inter), notamment. Attachée de presse, chargée de mission de prospective.

Si l’aventure ségolénienne s’achève sur un nouvel échec en 2012, il y a fort à parier que ces deux travailleuses retourneront dans leur corps d’origine, le service public, avec prise en compte de leurs annuités pour le calcul de leurs retraites.

En attendant, cette annonce fait le bonheur des retraités et personnes à petits revenus. Elles pourront retisser le lien social autour d’elles.

N’est-ce pas finalement le seul but recherché ? Et Honni soit qui mal y pense, comme le dit déjà une autre perfide !

Hubert Arnandeau


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