Ségolène Royal un peu plus loin dans la déconstruction
par Jean-Michel Aphatie
mercredi 17 janvier 2007
Ségolène Royal, candidate du Parti socialiste à l’élection présidentielle, était l’invitée de RTL, ce matin, à 7 h 50.
Le dialogue avec la candidate et son entourage est régulier. Plusieurs opportunités d’expression sont régulièrement évaluées, en fonction de l’actualité. Hier, en tout début d’après-midi, c’est l’un des membres de son équipe de campagne qui m’a contacté en me demandant si RTL accepterait de recevoir Ségolène Royal le matin. La candidate ressentait la nécessité de préciser le rythme et les modalités de sa campagne. Elle savait aussi qu’il lui appartenait de faire des mises au point concernant le paiement de l’impôt sur la fortune qu’elle acquitte, avec François Hollande, son compagnon, depuis deux ans.
Après avoir réfléchi un quart de milliardième de seconde, et encore, j’exagère, j’ai indiqué à mon interlocuteur que RTL serait ravi d’accueillir Ségolène Royal ce matin, ce qui a été fait comme vous l’entendîtes, y compris avec les auditeurs, entre 8 h 30 et 8 h 50.
Sur le fond des choses, beaucoup d’enseignements sont à retirer de cette interview.
Au micro, en dehors aussi, lors du petit déjeuner qui a suivi, dans l’attente d’un retour en studio pour répondre aux questions des auditeurs, Ségolène Royal a réaffirmé que le rythme de sa campagne ne serait pas modifié. "Débats participatifs" jusqu’au 11 février, synthèse ensuite des propos tenus, programme fin février, début mars.
Si elles ont leur cohérence, la méthode et la feuille de route semblent susciter beaucoup d’interrogations parmi les responsables socialistes. Faute d’avoir un programme précis à défendre, ils se sentent un peu désoeuvrés, presque inutiles. Eux qui ont vécu les campagnes précédentes en répétant un catéchisme souvent fumeux, écrit préalablement dans des salles souvent enfumées, ceci n’expliquant pas forcément cela, ils ne savent plus là quoi faire, quoi dire, comment occuper leur temps et nourrir leur campagne. D’où quelques états d’âme qui ont créé quelques tangages.
Donc, Ségolène Royal a recadré le tout, sur le thème de la patience. Elle en a profité aussi pour recadrer François Hollande, premier secrétaire du PS qui, dans deux interviews retentissantes, a fait preuve d’une grande créativité en matière fiscale. Lui qui a paru proposer une augmentation tous azimuts des impôts, en fait c’était plus subtil que cela mais c’est un peu ce qui est resté, n’engage pas du tout la candidate. Elle a même certifié qu’il ne la gênait pas. On n’ira pas jusqu’à dire qu’il lui rend service.
Lors de son dialogue avec les auditeurs, Ségolène Royal a été un peu plus loin dans la déconstruction du seul document de référence dont disposaient jusqu’à présent les socialistes, à savoir leur programme, qui ne décrivait certes pas l’achèvement du monde mais qui résultait tout de même de longues nuits de tractations, et que Jack Lang lui-même trouvait très bien.
Ce programme, par exemple, évoque la généralisation des 35 heures. Eh bien, Ségolène Royal, elle, a "du recul" par rapport à la formule. Et si elle dit que les 35 heures ont pu représenter quelque chose de positif, elle assortit ce qui a ressemblé à une précaution oratoire d’un assassinat en règle de la réforme, évoquant une "application uniforme et technocratique" des 35 heures. Normalement, Martine Aubry doit accueillir la candidate dans le Nord vendredi prochain, pour ce qui était annoncé comme une réconciliation. La température pourrait bien être fraîche.
Autre point : le Smic. Le projet socialiste prévoit de le fixer à 1500 euros bruts avant la fin de la prochaine législature. Ségolène Royal a formulé les choses de telle manière qu’elle a paru se dissocier de cet engagement, préférant mettre l’accent sur les résultats d’une négociation salariale, qu’elle initierait si elle était élue.
Dernier
point, pas mince, passé inaperçu dans la totalité des réponses.
Ségolène Royal dit que la dette est "un énorme problème, sans doute l’un
des plus importants que nous aurons à résoudre." La formulation est
juste, la prise de conscience salutaire. Mais partir de là, c’est
évidemment reconnaître que très peu de réformes pourront être mises en oeuvre.
Demeure le gros du morceau : l’ISF.
Donc, Ségolène
Royal et François Hollande sont assujettis à l’impôt sur la fortune.
Ici, tout se mêle, les symboles et la réalité, pour souligner
l’incommensurable bêtise avec laquelle la société française aborde les
questions liées à l’argent et à la richesse.
Ségolène Royal et François Hollande sont-ils riches ? Évidemment, non. Ils ont accumulé un patrimoine somme toute ordinaire pour un couple que l’on pourrait caractériser comme appartenant aux classes supérieures d’une société. Mais on stigmatise tellement l’enrichissement dans notre société, nous avons en fait tellement peu réfléchi collectivement à ce qu’est l’enrichissement d’une société, à la création des richesses à l’intérieur d’une société, que voilà le couple Royal-Hollande victime tout à coup de la phraséologie qu’ils ont eux-mêmes contribué à véhiculer. Ainsi, par exemple, cette expression a frappé de nombreux esprits. C’était le 11 juin 2006, sur le plateau de France 2, le premier secrétaire du PS a dit ceci : "Je n’aime pas les riches, j’en conviens." Pour quelqu’un qui, fût-ce modestement, acquitte l’ISF, la phrase prend un relief particulier. Une psychanalyse à trois sous pourrait conduire à évoquer un désamour de soi. Mais les habitués de ce blog le savent, la psychanalyse à trois sous n’est pas le genre de la maison.
Cet épisode nous renseigne aussi sur l’ISF lui-même. Appeler "impôt sur la fortune" une taxation qui résulte de l’achat de logements au cours d’une vie par des personnes qui exercent des métiers de bon niveau relève quand même de la crétinerie politique la plus absolue. Avoir de la fortune, c’est autre chose, c’est comme avoir de la cuisse, de l’arôme ou du coffre. Être fortuné, c’est quelques millions, et pas trois propriétés. Il faut l’appeler "impôt sur le patrimoine", ce serait plus juste. Il faudrait surtout prendre conscience, ce serait encore plus juste, de la bêtise de cet impôt lui-même, de ce qu’il dit de nous, nous tous qui vivons ensemble en France, de la forme de jalousie qu’il révèle par rapport à ceux qui accèdent à l’aisance, ce qui n’est pas un crime, un péché ni une faute, mais ce qui est au contraire source d’espoir et sentiment de récompense après une vie, du moins de longues années de travail.
Tiens, on le supprimerait l’ISF, je ne pleurerais pas. On sortirait de son assiette la résidence principale, je trouverais cela intelligent. Surtout, amis blogueurs, ces dernières phrases, ne les répétez pas à Jean-François Kahn, sinon il va encore écrire que je soutiens Nicolas Sarkozy. Et puis, pour tout vous dire, je ne paie pas l’impôt sur la fortune, trop pauvre pour ça, endetté jusqu’au cou pendant encore une paire d’années pour un appartement acheté il y a peu. Mais bon, je ne vais pas raconter ma vie parce que moi, je ne suis pas candidat à l’élection présidentielle. Enfin, pas encore.