Séquence électorale : un grand gagnant, un petit gagnant, et de très nombreux perdants

par Fergus
mardi 20 juin 2017

Ouf ! Après les deux tours de la primaire de la droite, les deux tours de la primaire socialo-radicale, les deux tours de la présidentielle et les deux tours des législatives, voici venu le temps des bilans de cette interminable séquence électorale. Et le moins que l’on puisse dire est qu’elle a réservé d’innombrables surprises. Avec, à la clé, des résultats sur lesquels personne n’aurait misé la moindre pièce...

Le 19 novembre 2016, à la veille de la primaire LR-UDI, Sarkozy pensait encore être en mesure d’être désigné par son camp pour reprendre ce qu’il estimait être son bien : la présidentielle de la République, usurpée à ses yeux par Hollande le temps d’un quinquennat. De son côté, conforté par les enquêtes d’opinion qui en faisaient le grand favori de cette consultation interne, Juppé affichait sa sérénité. À l’évidence, c’est lui qui allait sortir vainqueur de de scrutin avant de devenir en mai le prochain chef de l’État : une formalité, eu égard à la décrépitude du parti socialiste. Quant à Fillon, il était bien décidé à jouer sa partition, mais dans un rôle d’outsider sans réelle chance de l’emporter. On a vu le résultat : Sarkozy éliminé dès le 1er tour, c’est Fillon qui a surclassé Juppé le 27 novembre et obtenu de ce fait l’investiture de la droite pour la présidentielle.

Exit Sarkozy, ex-Président de la République ! Exit Juppé, ex-Premier ministre !

Le 21 janvier 2017, à la veille de la primaire PS-PRG, c’est Valls qui tenait la corde après que Hollande eût été empêché de se représenter en raison d’un bilan jugé très négativement par les Français et qui aurait, à n’en pas douter, conduit à un cinglant échec du Président sortant. Son principal adversaire, Montebourg, était quant à lui assuré sur le papier d’une présence au 2e tour face à l’ex-Premier ministre, et bien malin celui qui aurait pu dire lequel possédait les meilleures chances d’investiture dans un parti fracturé par des idéologies contradictoires et des ambitions antagonistes. Or, contre toute attente, c’est un troisième larron, en l’occurrence le falot Hamon, qui est sorti vainqueur de ces deux tours en forme de jeu de dupes.

Exit Hollande, ex-Président de la République  ! Exit Valls, ex-Premier ministre !

Dès lors, c’est « un boulevard » qui s’ouvrait pour Fillon dont le profil rassurant de notaire provincial ancré sur des valeurs catholiques de bon aloi – dont une exemplaire probité en rupture avec les pratiques de Sarkozy – était de nature à rassembler une majorité de Français sur son nom lors de la présidentielle, puis une solide majorité de députés issus des rangs de la droite LR-UDI comme le voulait la tradition d’alternance de la Ve République.

C’était compter sans le Canard enchaîné : le 25 janvier 2017, le volatile satyrique lâchait une bombe contre Fillon en révélant comment le M. Propre des Républicains avait, durant des années, fait prospérer sa PME familiale en salariant à prix d’or sur des fonds publics son épouse Penelope pour un emploi (présumé) fictif d’assistante parlementaire. Deux autres bombes, larguées les 1er et 8 février, étaient venues compléter le tableau nauséabond d’un système d’enrichissement à diverses facettes parfaitement bien rodé et dans lequel étaient impliqués également deux des enfants du couple – Marie et Charles – ainsi que le patron de la Revue des Deux mondes, Ladreit de Lacharrière.

Exit Fillon ? Pas encore, mais ce n’était plus, affirmait-on dans la médiasphère, qu’une question de semaines, voire de jours.

Du moins le croyait-on car l’on voyait mal comment un candidat plombé par d’aussi graves accusations pouvait se maintenir dans la course électorale. Poussé de toutes parts, le candidat LR avait fini par admettre qu’il se retirerait s’il était mis en examen par les magistrats du Parquet national financier. Début mars, Fillon était même au bord du renoncement, et sans doute se fût-il retiré pour éviter un crash sans précédent à son parti s’il n’avait bénéficié du soutien déterminé des ultra-cathos de Sens commun et de l’activisme en coulisse de Sarkozy, bien décidé à savonner jusqu’au bout la planche de Juppé, le plan B de LR. C’est ainsi que lors du rassemblement du Trocadéro le 5 mars 2017, organisé par les caciques de Sens Commun, s’affichèrent ostensiblement à la tribune en soutien de Fillon des proches de l’ex-Président, manifestement plus enclin à favoriser la défaite de son camp avec le Sarthois que la victoire de son ennemi juré bordelais qui eût sapé ce qu’il lui restait d’influence et rejeté ses « amis » hors du jeu politique. 

Le Trocadéro aurait-il pu n’être qu’un baroud d’honneur pour le candidat de LR ? On aurait pu le croire, car le 14 mars 2017 Fillon était de facto mis en examen pour « détournement de fonds public », « complicité et recel de détournement de fonds publics », « complicité et recel d’abus de bien sociaux », et « manquements aux obligations de déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ». Des chefs d’accusation auxquels étaient venues s’ajouter le 21 mars de nouvelles mises en examen pour « escroquerie aggravée » et pour « faux et usage de faux  ». Jamais dans l’histoire de la Ve République on n’avait vu un candidat à la présidence affublé par la Justice – sous couvert, cela va de soi, de la présomption d’innocence – d’une telle batterie de casseroles.

Exit Fillon ? Définitivement non.

Reniant sa propre parole et fort du soutien de Sarkozy, le candidat LR avait décidé de se maintenir au lendemain du Trocadéro en provoquant le renoncement définitif de Juppé qui, jusqu’au 5 mars, s’était tenu prêt à revenir dans la course au cas où Fillon aurait jeté l’éponge. Qui plus est, la date limite de dépôt des candidatures pour la présidentielle – le 17 mars – était dépassée : les jeux étaient faits, rien n’allait plus à la table du grand casino politique. Rendez-vous le 23 avril pour le 1er tour de la présidentielle.

L’EXCEPTIONNEL PARCOURS DE MACRON

De son côté, Macron avait parfaitement mené sa barque et d’autant mieux profité de la conjonction d’éléments favorables à ses ambitions qu’il a bénéficié de nombreux soutiens médiatiques. En lançant son mouvement En Marche ! le 6 avril 2016, le ministre des Finances n’imaginait pourtant pas pouvoir se qualifier dès 2017 pour le 2e tour de la présidentielle. À l’évidence son objectif n’était pas là, mais consistait – en vue de 2022 – à préempter le centre orphelin de candidat indépendant, et à capitaliser sur sa candidature – annoncée le 16 novembre – les intentions de vote des nombreux Français en rejet des partis de gouvernement afin de disposer pour l’avenir d’un socle électoral solide. Macron n’était alors qu’un candidat de réserve qui se voyait en successeur de Juppé après l’unique mandat de celui-ci.

En quelques jours, tout ce scénario a été balayé par les électeurs de la primaire LR-UDI qui ont rebattu toutes les cartes en éliminant Juppé et en désignant en Fillon un candidat d’une droite dure qui ouvrait tout grand un espace au centre pour celui qui se revendiquait « ni de droite ni de gauche ». On connait la suite : plus que jamais soutenu par une majorité des médias, porté par une réelle curiosité d’une part croissante de nos compatriotes, et servi par les déboires judiciaires de Fillon, Macron s’est progressivement imposé comme le favori de cette présidentielle encore réputée « imperdable » par les Républicains début janvier 2017. Et cela en faisant taire tous ceux qui, dans une partie de la presse et sur de nombreux blogs et sites citoyens du web, n’ont longtemps vu en lui qu’une « bulle » prête à éclater ou une « baudruche » sur le point d’exploser.

Macron vainqueur de la présidentielle face à Le Pen le 7 mai 2017, encore fallait-il qu’il soit en mesure de gouverner en s’appuyant sur une majorité de parlementaires acquise à sa cause et aux réformes qu’il entendait mettre en œuvre. En nommant la transfuge LR Philippe au poste de Premier ministre le 15 mai, le nouveau Président a fait exploser l’unité des Républicains et jeté les bases d’un très large rassemblement. Pour autant, là encore, de nombreux journalistes et blogueurs ont émis de sérieux doutes sur la capacité du tandem exécutif à obtenir une majorité de députés LREM-Modem, a fortiori absolue, et cela en parfaite méconnaissance de l’histoire de la Ve République au cours de laquelle un Président nouvellement élu a toujours disposé de cette majorité.

Comme l’on pouvait le penser, il n’y a pas eu la moindre difficulté pour Macron et son gouvernement lors des deux tours de scrutin des 11 et 18 juin 2017 : avec 350 élus, les députés LREM et Modem offrent à l’exécutif une majorité absolue très large, malgré un recadrage entre les deux tours né de la crainte d’un pouvoir trop hégémonique. Compte tenu des résultats, l’apport du Modem n’est même plus une nécessité pour le Président et son Premier ministre. Dès lors et compte tenu des déchirements de LR et de la décomposition du PS, la seule réelle opposition à la volonté de réforme libérale de l’exécutif ne pourra venir que de la rue. Encore faudrait-il que les Français soient déterminés à se mobiliser en masse, ce qui est loin d’être acquis. Réponse probablement en septembre au moment où devrait être finalisé le texte de la nouvelle loi Travail.

LES PARTIS A L’HEURE DES BILANS

En termes de bilan, cette longue séquence électorale n’aura fait que deux vainqueurs : Macron et le parti LREM, mais aussi le Modem à un degré moindre. Élu à la présidence de la République, Macron, inconnu des Français il y a encore 3 ans, aura réussi le plus spectaculaire « hold-up » politique de l’époque politique contemporaine, pour reprendre sa propre expression, empruntée au langage sportif lors d’un meeting angevin* tenu le 28 février. Chef d’État à 39 ans, et doté d’une majorité absolue de députés acquis à sa cause, Macron est évidemment le grand vainqueur de cet interminable marathon électoral.

Mais le Modem tire également son épingle du jeu : en rejoignant LREM au sein d’une alliance pour la majorité présidentielle, le parti de Bayrou enraye le processus de disparition qui le menaçait ; avec 42 députés, le Modem pourra même disposer à l’Assemblée Nationale d’un groupe parlementaire et des importants moyens qui vont avec, notamment en termes de temps de parole et d’habilitation à déposer des propositions de loi.

Tous les autres partis sont perdants, exception faite de la France Insoumise qui, avec 17 députés, disposera d’un groupe, ce dont Mélenchon s’est publiquement réjoui. Mais on est loin des perspectives qu’avait pu laisser entrevoir le score du 1er tour de la présidentielle, perspectives qui avaient amené le leader de la FI à rêver d’un premier rôle dans l’opposition assis sur des dizaines d’élus. En réalité, il n’y a ni défaite ni victoire pour la FI, mais une base de développement qui pourrait faire augurer des lendemains prometteurs pour ce parti populaire.

Inutile de s’attarder sur le cas du Parti Socialiste : non seulement le PS aura perdu 90 % de ses élus au terme de 5 années de hollandisme et près des trois-quarts de son financement public, mais il n’a plus ni chef ni ligne politique. A-t-il seulement un avenir ? Ou subira-t-il le sort du Parti communiste, réduit à sa dizaine de députés et quelques bastions locaux de plus en plus rares qu’il tente de conserver au gré d’alliances à géométrie variable selon les scrutins.

Autre parti en crise, le Front National. Et ce ne sont pas ses 8 députés qui éviteront les règlements de compte internes qui marqueront les prochaines semaines. Car le FN est très en deçà de ses objectifs affichés en début d’année, et la déplorable image d’incompétence laissée par Le Pen lors de son débat face à Macron n’est pas pour rien dans cet échec. Pire encore : le parti ne sait plus quelle position adopter sur l’Union Européenne et l’euro. Or, cette clarification sera nécessaire, mais elle risque de créer une fracture entre le clan Philippot et celui de ses adversaires.

Chez Les Républicains l’heure est également à la soupe à la grimace. Malgré un sursaut de leur électorat entre les deux tours des législatives, des dizaines d’élus sont passés à la trappe, et les caisses du parti vont se ressentir douloureusement de la claque infligée par LREM au vieux parti droitier. D’ores et déjà, c’est une dangereuse fracture qui est en germe : D’un côté, les élus Macron-compatibles : sous la houlette de Solère, ils pourraient former leur propre groupe parlementaire avant, probablement, de créer leur propre parti politique. D’un autre côté, les anciens sarkozystes : emmenés par Wauquiez, ils resteraient sur une ligne droitière dure qui, à terme, pourrait devenir compatible avec l’aile modérée du FN. Il risque d’y avoir des réunions tendues au siège de LR dans les prochains jours, et cela d’autant plus que la formation du gouvernement Philippe II pourrait accélérer le processus de schisme. 

En l’état, nul ne peut évidemment dire ce que sera le quinquennat de Macron. Mais une chose est sûre : ce marathon électoral, même s’il a pu paraître interminable, aura été passionnant de bout en bout. Mais il aura également débouché sur une évidence : en l’absence d’une réforme significative de la loi électorale, c’est la démocratie qui sera de plus en plus bafouée. Il est en effet devenu intolérable qu’une formation politique ayant recueilli 15 % des inscrits aux législatives puisse se retrouver avec une confortable majorité absolue alors que des partis dont le candidat a fait quasiment jeu égal lors de la présidentielle avec le Président élu ne bénéficient que d’un groupe modeste pour l’un (La France Insoumise), voire pas de groupe du tout (Front National). Ne pas réformer la loi électorale serait une faute majeure, possiblement vectrice de grands désordres à venir. Macron ferait bien d'y penser très rapidement. 

* « Est-ce que quelqu'un peut penser raisonnablement que, élu Président, il aura une majorité présidentielle uniquement avec son parti  ? Moi je n'y crois pas. Non seulement ce n'est pas possible, mais ce n'est pas souhaitable ! Parce que ce serait un hold-up ! » (lien)


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