Suite du yo-yo électoral

par Pierre Arrighi
mardi 12 juin 2007

Après le retour aux urnes de la présidentielle, l’abstention record des législatives. La vague est bien bleue mais la représentativité réelle du Parlement est déjà bien affaiblie.

La présidentielle a fait dire aux commentateurs et aux hommes politiques bien pensants de tous bords, que les Français s’étaient réconciliés avec la politique et avec les élections. Le record de l’abstention au premier tour du scrutin législatif plombe sérieusement cette hypothèse superficielle.

De fait, on en revient à la situation "normale". Les sondages avaient indiqué qu’une moitié des électeurs de la présidentielle avait voté par défaut, en suivant la logique du vote utile et avec une tension qui avait déjà caractérisé le référendum sur la Constitution européenne et qui traduit une personnalisation, une immédiateté, une mentalité de pari et une certaine forme d’impuissance dans le désespoir. Les 40 % d’abstentionnistes, les 44 % de femmes, les 45 % d’ouvriers, les 55 % de non-diplômés qui n’ont pas voté cette fois-ci au premier tour, c’est-à-dire au tour clé d’un scrutin législatif, ont montré, une fois de plus, qu’ils ne se sentaient pas, qu’ils n’étaient pas représentés.

Ce n’est pas seulement la certitude de ne pas être représenté qui pèse. C’est aussi l’impression de ne rien pouvoir changer, de ne pas pouvoir influer sur le cours des choses, ne serait-ce que de façon minime, par le vote. L’espoir politique est un luxe et les gens n’ont pas envie de se désespérer inutilement, de trop s’investir pour après se démoraliser. Lorsque le sentiment de non-représentation s’associe ainsi au sentiment de verticalité politique, l’abstention bat des records.

Ce cocktail était absent lors du scrutin européen et lors du vote présidentiel. En effet, les gens avaient eu, là, malgré tout, l’impression de pouvoir influer, de pouvoir dire quelque chose. C’est quand ça n’est pas totalement joué que la différence entre la droite et la gauche s’estompe. Mais dès que la situation se referme, dès qu’il apparaît qu’un scrutin n’offre plus aucune chance, ne serait-ce qu’illusoire, de peser, alors l’abstention revient en force.

Car aujourd’hui, misère de la politique, ce qui fait voter c’est cette illusion de peser et non le choix serein d’adhésion à celui qui vous représente.

Pourquoi et comment Nicolas Sarkozy a-t-il réussi à gonfler l’électorat de droite ? Certes, il a piqué les thèmes de Le Pen. Mais il a surtout canalisé la frustration de son électorat. Car le vote Le Pen c’est un vote de frustration primaire. De son côté la gauche n’a pas su apporter à sa base, ce pourquoi elle est à gauche, c’est-à-dire, une voie de révolte et de transformation de la société par en bas.

Il ne s’agit pas, et pour la droite et pour la gauche, lorsqu’on représente tout au plus un tiers de l’électorat en termes d’adhésion réelle et que le système déforme à ce point la carte politique, uniquement de projets. Il s’agit aussi, pour gagner, d’attirer avec habileté. Ou de bâtir, à long terme, les représentations manquantes.

La droite est maintenant embarrassée car 60 % de la population va peu à peu s’opposer à ce que l’on brusque les choses d’en haut. Et François Fillon va se raidir. Ce processus inéluctable a été conjuré momentanément par le président qui récupère les frustrations d’une partie de la population, en les ramenant à de la frustration "républicaine" et à ce qu’il appelle "ouverture".

Par ailleurs, le micro-espoir Bayrou est resté coincé dans un espace déjà restreint, sans sauter pour proposer un chemin de représentativité nouvelle. Car le discours sur la diversité ne peut pas fonctionner dès lors qu’une partie de la population n’est plus en mesure de générer politiquement une voix structurée et que le système lamine systématiquement les astuces, de plus en plus étroites et de moins en moins autorisées par le vote.


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