Sus au globish ! Cultivons le français du XXIème siècle

par arretsurlesmots
lundi 26 janvier 2009

Faire un debriefing en one to one, développer le B to B, assurer le backup avant son day off, et ce, asap (as soon as possible), risque d’être de plus en plus compliqué. L’anglais comme langue corporate connait quelques déboires. Attaquées pour non-respect de la loi Toubon, des entreprises ont perdu en justice.

Dès 1975, les parlementaires soucieux de préserver la langue française face aux mots anglais passés trop vite dans le langage courant adopte la loi Bas-Lauriol. Cette loi allonge la longue liste des textes mort-nés, sans réelles mesures d’application, elle tombe rapidement en désuétude. Il faut attendre la motivation de quelques parlementaires, et un ministre en charge simultanément de la culture et de la francophonie pour voir ce projet de loi réapparaitre.

En 1994, Jacques Toubon fait de l’adoption de ce texte « une question de société, une question pour la place de la France et pour son avenir. » Le principe de cette loi est « de sortir du modèle unique anglo-marchand qui est en train de se répandre dans un certain nombre de pays. » Rien que ça. Le débat à l’assemblée nationale n’est pas très virulent. Les parlementaires ne sont pas contre le projet, ils sont simplement assurés qu’une fois encore cette loi va finir dans un placard sans avoir aucun impact sur l’arrivée de nouveaux termes anglo-saxons. 

Sans grande difficulté nait donc la loi nº 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française plus connue sous le nom de loi Toubon. En quelques mots, cette loi prévoit que toute annonce, affiche, publicité visible dans les lieux publics ou dans les médias soit en français ou traduite dans notre langue de manière visible. Le détail de la loi est bien sûr plus complexe (lire ici), il prévoit aussi un quota de créations francophones à la radio et à la télévision ainsi que des mesures protégeant les travailleurs.

Si les parlementaires ne se sont pas opposés à cette loi, la presse notamment étrangère va railler sa publication. En France on évoque un « nationalisme linguistique », un « chauvinisme de la langue » ou une « fierté nationale mal placée ». Les critiques les plus virulentes viennent de nos amis anglais. Avec des titres en français comme « Ne Parlez Pas Anglais » ou « Why france should be linguistically laissez-faire »1 les journalistes outre-manche se moquent de notre langue que l’on préserve comme une espèce protégée. L’amende prévues en cas de non respect de la loi (entre 3000 et 20000 francs de l’époque soit actuellement entre 500 et 3000€) est présentée comme démesurée et ridicule. N’ayant pas peur des clichés les anglais présentent Jacques Toubon (dénommé All-good) avec une baguette sous le bras et ce devant la Tour Eiffel expliquant que c’est l’image qu’il donne de la France. Avec un peu d’humour un journaliste de The Independent conclut son article par la formule suivante : « Any Anglo-Saxon with a soupcon of savoir-vivre would see the lack of chic in venturing up a linguistic cul-de-sac so palpably vieux jeu. »2

Pourtant le France est loin d’être le seul pays à avoir légiférépour protéger sa langue. On peut prendre le cas du Quebec, du Mexique, de la Grèce, de la Catalogne ou encore de la Lituanie. Ce dernier pays interdit toute enseigne rédigée dans une autre langue que la langue officielle. Le Mexique, fort de 98 millions d’habitants, a cru bon se protéger de l’anglais. Les lois et règlements mexicains exigent non seulement l’usage de l’espagnol sur tout produit destiné au consommateur, mais ils vont jusqu’à prohiber l’anglais ou toute autre langue que l’espagnol sur les produits fabriqués au Mexique. Pour ce qui est des produits étrangers, un règlement imposait dès 1974 des caractères plus petits que l’espagnol. 

La loi française a parfois été très protectrice pour les salariés. Elle constitue un recours en matière de droit au travail, à l’information, à la santé. A titre d’exemple, Europ Assistance a perdu en octobre dernier un procès qui l’oblige dès à présent à traduire un des logiciels mis à la disposition des employés. On a aussi vu des entreprises étrangères devoir adopter le français comme langue de travail, des études venant prouver que l’utilisation de termes anglais lors des réunions génère une double conséquence négative. D’une part certains salariés ne comprenant pas toujours les informations sortent de réunions sans en avoir saisi le sens ce qui peut avoir des conséquences plus ou moins graves. D’autre part cette pratique de l’anglais crée une sorte de discrimination et une hiérarchisation des employés en fonction de leur compétence linguistique ce qui défavorise particulièrement les employés plus âgés.

Si l’aspect protecteur de la loi est plutôt une réussite, force est de constater que ce texte n’a pas endigué la diffusion de l’anglais. Les termes de la nouvelle technologie sont essentiellement issus du monde anglo-saxon et les publicités utilisent toujours aussi souvent des slogans en anglais. Comme le cas de la Française des jeux qui bien qu’étant une entreprise publique diffuse actuellement cette publicité avec son slogan « j’ai la win ».

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir mis les moyens. L’un des corollaire de la loi Toubon est la création de la très sérieuse commission générale de terminologie et de néologie chargée de proposer des équivalents aux termes anglais importés massivement en France. Si cette commission peut se vanter de quelques réussites comme la diffusion du terme baladeur en lieu et place du walkman elle compte à ce jour quelques glorieux échecs dus à sa lenteur de fonctionnement. En moyenne il faut compter sept mois avant qu’un terme proposé à la commission ne fasse son entrée au journal officiel. Une procédure d’urgence a permis à la commission de proposer le terme de « téléchargement pour baladeur » pour podcasting mais cela n’a pas empêché que la périphrase proposée ne soit pas utilisée. Le vocabulaire paraissant au Journal Officiel s’impose pourtant à l’administration et aux établissements publics, depuis sa création en 2006 la commission a proposé sept cents équivalents à des termes anglais.

Pour ne donner qu’un petit exemple si vous voulez vous plier aux propositions de la commission ne dîtes plus : Je check mes mails, je supprime mes spams et si je suis pas trop dans le rush, je ferai un post sur mon blog avant le brainstorming sur notre startup et le B. to B. Mais dîtes plutôt, je vérifie si je n’ai pas reçu de courriers électroniques (si vous êtes dans le coup dîtes courriel), je supprime l’arrosage et si je ne suis pas trop en épreuve, je ferai un billet sur mon bloc-note avant le remue-méninges sur notre jeune-pousse et l’entreprise à entreprise en ligne (EEL). Il n’est pas dit que tout le monde vous comprenne du premier coup… 

Pour permettre la diffusion de ce vocabulaire, la commission propose (ici et ça vaut le détour !) un dictionnaire des équivalents français des termes importés, on laisse bien sûr de côté les mots présents depuis longtemps et déjà digérés par notre langue. Méfiez-vous, si vous ne prenez pas soin de corriger vos erreurs de langage vous risquez de vous retrouver couronné du prix de la carpette anglaise décerné par l’académie du même nom dirigée par Philippe de Saint-Robert, président de l’association pour la sauvegarde et l’expansion de la langue française.


1Pourquoi la France devrait avoir une politique linguistique plus souple.

2Tout anglosaxon avec un soupçon de savoir vivre verrait le manque de chic des cette politique linguistique qui est un cul de sac manifestement vieux jeu.


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