Tony Blair socialiste ? Et moi je suis pape !

par morice
lundi 14 janvier 2008

Tout le monde a noté ce week-end avec quel sourire carnassier et quelles mains largement tendues notre président renaissant a salué son récent ami « socialiste » Tony Blair, invité à l’UMP. Outre que c’est exactement ce qui ferait retourner le général de Gaulle dans sa tombe, la démonstration affichée d’un prétendu socialiste ralliant (un de plus) le groupe de « rupture présidentielle » a de quoi faire rugir. Car Tony Blair est aussi socialiste que je suis moi-même pape. Démonstration.

Rappelons-nous tout d’abord les faits et le personnage. Avant d’être élu, Tony Blair et son parti avait subi l’affront d’être battu à quatre reprises par les conservateurs. L’homme avait bien tenté une "modernisation" de son parti, mettant même du rose à la place du rouge, mais on lui avait répondu du fond des urnes "simple customisation", faudra repasser plus tard lui font comprendre les électeurs. Jouant alors son Jospin télévisuel à la veille d’une élection cruciale, Blair s’était alors décidé à éliminer totalement de son vocabulaire le mot "socialiste", devenu ringard selon lui et son "staf de com" nouvellement créé, et à parler seulement de "nouveau parti"  : "Nous avons fait campagne en tant que Nouveau Parti travailliste, et nous gouvernerons en tant que Nouveau Parti travailliste" dit-il triomphant, le soir même de sa victoire. Le "New Labour", ça faisait déjà plus moderne et nettement moins socialiste. Pour réaliser sa transition et emprunter aux conservateurs leurs idées, en les repeignant façon Blair, notre homme avait besoin d’un homme de main. Ce fut Peter Mandelson, une sorte d’Eric Besson en mieux, ce qui n’est pas difficile à trouver sur la place publique, même à Trafalgar Square. Un battant plutôt que notre Besson national, perpétuel endormi, un Mandelson qualifié même récemment "d’agité" par Dominique Bussereau, un des secrétaires d’Etat plutôt falot de Nicolas Sarkozy. L’homme était surnommé depuis longtemps le "prince des ténèbres" : en ce sens se serait plutôt un Claude Guéant, le machiavélisme en plus. Les coups tordus en plus aussi : l’homme a démissionné deux fois du gouvernement, pour deux histoires d’argent, Guéant se chargeant seulement d’être le garde du corps supplémentaire de Cécilia en Lybie. C’est Mandelson qui a repeint le parti de Bair de nouvelles couleurs, parmi lesquelles ne figurait plus aucun rouge. Ce qui n’a pas manqué de faire jaser, et de lui créer de belles inimitiés au sein de ses amis de gauche. Il est aujourd’hui tellement apprécié au sein même de son propre parti que la première décision de Gordon Brown a été de supprimer toute référence au New Labour... et de ressortir comme logo une rose redevenue... rouge ! A propos de logo, celui de Blair, pas trop réussi, s’était vu appliquer une accusation de plagiat par Excite. S’il fallait résumer un parti par son logo, ce qui est toujours possible, nous pourrions dire que celui de Blair jouait la carte mode branchée, qui correspond exactement au placement de l’image de Blair souhaité. Brown revient aujourd’hui à davantage de rigueur, ce qui n’est pas pour déplaire à son aile gauche, laminée par les années de blairisme. Se relever d’un retournement complet de valeurs ne doit pas être simple, on peut lui souhaiter bon courage pour raccrocher ses wagons au petit monde de Ken Loach, qui était jusqu’ici le fonds de commerce des travaillistes. Enfin, les vrais.

Le lendemain des élections de 97, en Angleterre, les gens de gauche ont la gueule de bois. Ils ont gagné sur le papier, mais à quel prix : "Le ’Nouveau Labour’ était devenu un parti de capitalistes, d’affaires, et de marchés. L’un des anciens ministres travaillistes de la vieille école, Roy Hattersley, résuma la situation avec une amertume éloquente : ’lorsque j’ai adhéré au parti travailliste, c’était une croisade. Aujourd’hui, c’est une opportunité commerciale.’" En France ce sont les gaullistes et les vraies personnes de droite, pas celles qui ont succombé au clône parfait de Tony Blair, qui ont besoin de glaçons sur l’occiput. Et s’il n’y avait que cela, chez les anciens travaillistes ; après vinrent les promesses non tenues : Blair annonça en premier par exemple que les impôts n’augmenteraient pas, pour les pauvres... mais aussi les riches, ce qu’en France on a traduit depuis par "bouclier fiscal". Chez Blair, c’est Gordon Brown lui-même qui s’y est collé pour trouver d’autres moyens de renflouer les caisses de l’Etat, sans toujours toucher à la fortune, à ramasser taxe sur taxe, à en devenir l’invisible taxman, immortalisé sur internet par un Taxman Pacman à mourir de rire. Les impôts n’augmentaient pas, les taxes si. Au final, le contribuable anglais était le grand perdant de l’ère Blair.

Question travail, également, d’étranges similitudes de programmes apparaissent : Blair par exemple, déclara à peine élu que c’en était fini de l’Etat providence, et que les chômeurs devaient se retrousser les manches, comme dirait ici Christine Lagarde, pour se trouver un travail. Mieux, ou pire encore pour les travailleurs, Blair instaura le principe de la radiation du chômeur des versements de l’Etat s’il refusait trois fois de suite un travail proposé. Ne cherchez pas plus loin où notre bon président a trouvé cette idée géniale, c’est bien ici. Question école idem : en Angeterre, les conservateurs s’étaient illustrés juste avant l’arrivée de Blair en mettant en place des inspecteurs qu’on s’attendait donc à voir disparaître sous le New Labour... pas du tout : Blair renforça au contraire leurs prérogatives et remit au goût du jour les vieilles recettes sur l’apprentissage de la lecture ou de l’écriture, jugées trop "modernes" auparavant, même sous l’ère conservatrice ! Les instituteurs anglais étaient atterrés : même sous l’ère Thatcher, de sinistre mémoire, ils avaient sauvegardé plus de libertés. Ne cherchez pas non plus où Xavier Darcos a trouvé ses idées géniales sur le retour en arrière éducatif.

Chez Blair, tout reposait sur une idée de base somme toute assez simple : tout ce qu’il fait lui était "nouveau", dans le sens différent de ce qu’il y avait "avant". On ne sait pas exactement comment l’on dit "rupture" en anglais, mais ça y ressemble comme deux gouttes d’eau : "Il appelle son parti ’Nouveau Travaillisme’ parce qu’il croit que ’nouveau’ signifie ’meilleur’. Il pense que changer quelque chose, c’est l’améliorer. Il aime parler de modernisation, car il croit que ce qui n’est pas neuf doit être remplacé par quelque chose qui l’est. Il change la constitution, le statut de l’Ecosse et du pays de Galles, la façon de voter, et bien d’autres choses parce qu’il pense qu’elles sont démodées. Il croit sincèrement que la Grande-Bretagne qui va rentrer dans le nouveau millénaire se doit de se réinventer et de se rénover." Chez nous, depuis quelques jours, notre président s’est autopersuadé (bien aidé par son âme damnée Guaino) qu’il devait être le champion d’une nouvelle civilisation, rien de moins : c’est encore plus prétentieux que ne l’était Tony Blair, et ça induira les mêmes dérives sur le modernisme pour le modernisme, ou le retour en arrière jugé comme étant alors un acte d’une modernité absolu.

Bref, vous l’avez compris, Blair et Sarkozy c’est kif kif bourricot, et le "socialiste" vanté par le second a depuis longtemps franchi le Rubicon, pour n’être plus qu’un homme de droite avec une étiquette de gauche. Nicolas Sarkozy, qui aime autant se faire prêter des yachts ou des villas que Tony Blair, qui fait de même, dans l’autre sens, avec ses ministres de gauche repeints largement au rouleau de droite. Les deux pratiquent l’amalgame des genres : l’industriel Bolloré, prêteur de Falcon et de yacht, s’apprête à fourguer à la Poste, organisme d’Etat, des dizaines de milliers de voitures électriques, mais c’est un pur hasard paraît-il. Blair, lui, avait décidé comme en France l’application d’une sorte de loi Evin sur la publicité du tabac lors des rencontres sportives : "cool", se sont dit les Anglais, à part qu’il y avait une exception pour l’automobile à ce principe. Au début, personne n’a compris pourquoi, Blair ne pratiquant pas les GT ou autres GTO comme François Fillon. En cherchant un peu, on a fini par trouver : le grand patron de la formule 1, Bernie Ecclestone, avait refilé un million de livres au parti de Blair pendant la campagne électorale.

Enfin et c’est là où ça devient plus grave, Tony Blair a sauté à pieds joints dans les traces du soldat Bush, parti bille en tête "en croisade contre le terrorisme", à en envoyer un fort contingent de soldats dans une guerre perdue, et même sur deux théâtres de conflit. Comme W. Bush, le soir du 11 Septembre il enfourche à grandes enjambées le vélo d’Al Quaida et de Saddam Hussein. Jurant mille dieux que ce dernier possède bien des armes de destruction massive. Hélas, le 5 octobre 2003, dans le Times, un de ces anciens ministres, devenu le premier, Gordon Brown... toujours le même, lâche le morceau : "Tony Blair a reconnu en privé (devant Gordon Brown) deux semaines avant la guerre d’Irak que Saddam Hussein n’avait pas d’armes de destruction massive opérationnelles." Blair, toutou de Bush et fieffé menteur, l’image fait le tour du monde et les journaux sortent les caricatures à tour de bras (sauf les tabloïds anglais, tous va-t-en-guerre, car ils savent qu’ils n’ont jamais autant vendu que pendant la guerre des Malouines). A un conseil des ministres où elle s’annonce démissionnaire, "Estelle Morris, alors secrétaire d’Etat à l’Education, a ’courageusement’ fait état d’un sentiment public d’inquiétude : la Grande-Bretagne ne faisait que suivre Bush". Quelque temps plus tard, en pleine campagne électorale, en France, Laurent Fabius reprend la formule choc en l’attribuant à Nicolas Sarkozy, devenu caniche, qui s’empresse de lui donner raison dans les semaines qui suivent son élection en allant par deux fois montrer allégeance à l’ex-gouverneur du Texas, qui en profite pour lui faire remarquer qu’en Afghanistan, ça manque de troupes et de matériel. Deux jours plus tard, la France détachait trois Rafales à Kaboul. Le début d’un engrenage. Les Anglais depuis ont résolument choisi la voie du désengagement de l’Irak, qui devrait être suivi par celui de l’Afghanistan. Espérons que le blairisme contagieux de notre président ne le conduira pas à faire la même erreur au Proche-Orient.

En fait Tony Blair est bien le double de Nicolas Sarkozy, élu par un pillage systématique des idées des adversaires, accaparées à son seul profit. Tous deux ont réalisé le hold-up parfait de leur propre parti, c’est une évidence. Cela ne répond pas encore, remarquez, à notre question fondamentale, ou plutôt si : "Tony Blair est-il socialiste ? Non, il ne l’a jamais été. Il ne croit pas à la propriété publique ni à l’action collective. Il s’oppose à tous les principaux objectifs des syndicats. Il a combattu les valeurs de base et les intérêts de tous les groupes de tradition socialiste. Il soutiendra l’économie de marché et le libre-échange. Il étendra le rôle du secteur privé et encouragera les entreprises à saisir toutes les occasions pour faire mieux que le secteur public" en concluait en 1999 le judicieux Cercle Frédéric Bastiat, auquel nous empruntons les citations. Il m’étonnerait beaucoup que cela ait pu changer depuis, et que notre homme, désormais catholique, ait revendu son âme à un autre diable. Nicolas Sarkozy en continuant de taxer Tony Blair de "socialiste" continue à faire, lui, ce qu’il fait de mieux : à nous mentir, à nous présenter les choses comme ça l’arrange. Manifestement, aujourd’hui, il en faisait des gorges chaudes. J’en conclus donc ce soir que je suis pape. Pourvu que Bigard ne soit pas dans les parages....


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