Tous contre Mélenchon !

par Alan C.
mercredi 11 avril 2012

Jean-Luc Mélenchon est sur la pente ascendante et cela déplait, dans les états major des partis politiques traditionnels comme dans ceux des journaux à large diffusion, qu’ils soient quotidiens ou hebdomadaires.

De LO à EELV, on jalouse la percée du Front de gauche

Curieusement, c’est par ses camarades de gauche que JLM est le plus vertement pris à partie. Pour Nathalie Arthaud, aucun doute possible, c’est un social-traître ! Le 10 avril, elle déclare ainsi dans les colonnes du Parisien : « Jean-Luc Mélenchon est un illusionniste […] Ce n’est pas un révolutionnaire ». Quelques jours auparavant, le 2 avril, la candidate de Lutte ouvrière lançait au micro Jean-Jacques Bourdin : « Mélenchon c'est la politique réchauffée de Mitterrand ». Philippe Poutou est un peu moins vindicatif, mais pour lui, aucun doute, ce « professionnel de la politique » est un vendu ! Et de répéter inlassablement que ces salopards du Front de gauche iront à la soupe dans un gouvernement Hollande, alors que Mélenchon lui-même a dit qu’il n’irait pas, et que des signes de plus en plus clairs montrent que le PCF se dirige peu à peu vers la même attitude. Poutou a d’ailleurs bien du mal à susciter l’enthousiasme jusque dans son propre camp, plusieurs responsables nationaux du NPA ayant appelé à voter pour Mélenchon.

Côté EELV, on a droit à du pétage de câble dans les règles de l’art ! Pour Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste au Sénat, le candidat du Front de gauche est carrément « conservateur » et « clientéliste » (4 avril dans l’émission « Questions d'info »). Une critique assez surprenante venant du maître incontesté de la tambouille électorale au parti vert… Le 26 mars Cécile Duflot n’y était pas non plus allée de main morte, accusant le Front de gauche de verser dans « l’ultra-personnalisation », quand bien-même JLM refuse qu’on crie son nom en meeting (dépêche AFP du 26 mars). La palme de la caricature revient comme toujours à Daniel Cohn-Bendit, évidemment prompt à forcer le trait, qui dans un entretient donné au Monde le 9 avril n’hésite pas à verser dans la surenchère : « L'émergence de cette gauche, jacobine, centralisatrice et caricaturale est pain bénit pour Nicolas Sarkozy. Cela lui permet de désigner à l'opinion cette gauche littéralement gangrenée par la question nationale, bloquée idéologiquement sur la question européenne, et fondamentalement anti-Occident ».

Cette colère de la part des dirigeants d’EELV ressemble à s’y méprendre à une grosse crise de jalousie. Quelle idée, en même temps, de conclure un accord politicien et électoral avec le PS avant même que l’élection n’ait lieu ? Pas étonnant dans ces conditions qu’Eva Joly plafonne à 2 % dans les sondages quand dans le même temps Mélenchon s’envole jusqu’à 15 % ! La grosse crainte d’EELV, c’est en fin de compte de se faire souffler sa place de principale force de la gauche après les socialistes, ce qui n’annonce rien de bon pour la carrière politique des arrivistes qui se pressent en masse au parti écologiste pour entrer à l’Assemblée nationale ou dans un probable futur gouvernement Hollande… Quand on éprouve tant de facilité à renier ses convictions pour des postes, on est d’autant plus vulnérable aux grandes déclarations irrationnelles. En interne, certains sont pourtant fort sceptiques par rapport à cette tactique de diabolisation à outrance du candidat du Front de gauche, comme le député européen Jean-Paul Besset qui, dans un courrier adressé aux membres du conseil fédéral d’EELV le 4 avril, pointe du doigt une stratégie de diabolisation "sous prétexte de concurrence électorale" et conclut en expliquant que l'évolution de Mélenchon "vaut mieux que quelques minables coups de griffe". Il se murmure même que Nicolas Hulot serait tenté par le vote FDG ! C’est dire à quel point l’assise d’EELV sur le microcosme de l’écologie politique s’effrite…

Au PS, on ne sait pas trop sur quel pied danser. Fabius a proposé une série d’attaques en piqué, Marie-Noëlle Lienemann lui a rétorqué qu'il fallait ouvrir les discussions avec Mélenchon. Alors on se contente de ne pas trop en parler. On appelle au vote « efficace », on dit au bon peuple que c’est bien d’être en colère, mais qu’il faut quand-même pas déconner, et on pointe en substance une forme d’irréalisme de la part de Mélenchon. Les socialistes n’avaient sûrement pas prévu un Front de gauche aussi fort la veille du scrutin présidentiel. Ils n’avaient sous doute pas non plus envisagé une force à gauche si difficile à corrompre, après l’accord qu’ils ont fait avaler aux cadres d’EELV… On prend également soin de ne pas trop brusquer les électeurs de Mélenchon, qui se reportent pour l’instant massivement sur Hollande au second tour dans les enquêtes d’opinion. Bref, on attend de voir comment ça va se passer.

De la droite à l’extrême-droite, on applique avec zèle la stratégie de l’épouvantail

Alors qu’elle méprisait encore vertement Jean-Luc Mélenchon il y a quelques semaines, refusant notamment de débattre en direct sur France 2 avec le candidat du Front de gauche, qu’elle trouvait trop bas dans les sondages par rapport à elle, Marine Le Pen a décidé de monter au créneau. Certaines enquêtes la relèguent maintenant en 4ème position au premier tour et ça, elle ne peut le tolérer. Sur le plateau du JT de France 2, elle sort les crocs : « Jean-Luc Mélenchon, c'est le nouveau Bernard Tapie", "le gros bourgeois qui joue le populaire pour essayer de ramener au parti 'bobo' qu'est le Parti socialiste les voix de ceux qui travaillent et de ceux qui souffrent de cette politique depuis 30 ans ». Mazette !

D’après Bayrou, qui s’effondre sous la barre des 10 % dans les enquêtes d’opinion, Mélenchon est un affreux gauchiste qui veut creuser la dette. Et bien entendu du côté de l’UMP, si on a un temps vanté les qualités de tribun de JLM à des fins purement électoralistes (dès fois que ça gêne François Hollande), on a décidé de passer sans plus de fioritures à la phase suivante. Voila donc Hollande devenu otage de Mélenchon ! Le second serait même carrément amené à réécrire le programme du premier entre les deux tours !! (dixit Xavier Bertrand le 6 avril dans Le Figaro). Pas sûr que ça dissuade les électeurs de foutre Sarkozy dehors tout ça…

Les éditocrates se lâchent

Du côté des quotidiens et des hebdomadaires, on ne digère décidemment pas cette réécriture d’un scénario que les « grands reporters » et autres « observateurs de la vie politique » avaient écrit à l’avance. On connaissait déjà les saillies tout en finesse du Monde, avec son dessin de Plantu associant Le Pen à Mélenchon et ses gros titres débiles à la sauce « Le Pen – Mélenchon, le match des populismes » (édition du 8 février).

Mais depuis certains ont décidé de sortir l’artillerie lourde. Christophe Barbier ne s’est ainsi pas privé de vomir sa haine sans modération dans les colonnes de son Express le 14 mars, insultant à loisir le candidat du Front de gauche au travers d’une tribune intitulée « Pour en finir avec Mélenchon », dans laquelle il abuse de métaphores douteuses : « [il] aime les effets de manches, y compris les manches de pioche, mais le plus grave est ailleurs : son idéologie, trotsko-marxo-protecto-nationaliste, pourrait bien polluer l'éventuel quinquennat de François Hollande ». L’Express remet le couvert le 5 avril à travers la plume d’Emilie Lévêque, qui fustige le « très cher programme » de Mélenchon, avec une grille de lecture dans la plus pure tradition de la pensée unique néolibérale, cela va sans dire. Je passerai outre les appels navrant de Libé et du Nouvel Obs au vote « utile », et la grotesque polémique qui enfle depuis hier au sujet d’une supposée altercation entre JLM et un journaliste de la BBC qui l’accuse de l’avoir traité de « connard » (on a bien entendu immédiatement droit aux envolées corporatistes, la parole du journaliste en question ne faisant bien évidemment aucun doute, et à quelques archives bien saignantes datant d’il y a plusieurs mois pour montrer à quel point le candidat du Front de gauche est méchant avec ces pauvres journalistes qui font tous honnêtement leur travail).

Il n’empêche, tout le monde ne semble pas d’accord pour se liguer contre le nouvel homme à abattre. L’observatoire des médias Acrimed a ainsi lancé un pavé dans la mare ce mardi 10 avril, accusant les « éditocrates », d’être ligués « contre Mélenchon » (http://www.acrimed.org/article3802.html). Ca nous change !

Bref, Mélenchon et le Front de gauche dérangent. Cette irruption d’une gauche anticapitaliste forte et en plein ascension déplait fortement aux tenants du système en place qui ne supportent pas de voir le paysage politique traditionnel remis en question. Reste à savoir jusqu’à quel point ces bouleversements vont se traduire dans les urnes dans moins de deux petites semaines…


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