Trullemans, l’accommodement déraisonnable de M. Modrikamen

par Malika NN
samedi 28 décembre 2013

Le patron du petit Parti Populaire semble particulièrement doué pour faire des choix politiques malheureux. Tout le Royaume connaît l'histoire d'un certain Laurent Louis, élu par accident sur les listes du PP, et puis projeté sur la trajectoire de différents partis, y compris les siens, jusqu'à échouer dans l'infréquentable galaxie de Dieudonné. Paradoxalement, plus le PP prétend grimper dans les sondages, plus la solitude politique de son président s'accentue. Par le choix de Luc Trullemans comme tête de liste aux élections européennes de 2014, Modrikamen annule lui-même, d'un seul geste, tous ses efforts de dédiaboliser, modèle Marine, son parti (et le pronom possessif prend ici tout son sens).

Très nerveux sur les plateaux télé, où il est associé à l'égérie frontiste (que jadis il portait aux nuages de la République), il se défend ardûment de l'étiquette d'extrême droite dont le PP est affublé. Même si personne n'a oublié qu'ils manifestaient avec le mouvement d'extrême droite Nation. L'ancien avocat propulse pourtant sur le devant de la scène, dans le mépris total des militants de base (juste bons à coller des affiches) un ancien présentateur météo qui pique des lettres prétendument ironiques des forums français d'extrême droite. Trullemans nous raconte presque que cette lettre lui a été envoyée par "Les 3 Suisses", sans avoir même pas la capacité d'esprit de voir que le texte parle de SOS Racisme et MRAP, entités françaises, preuve qu'il mentait. Comme il probablement mentait pour son agression.

Accablé par les réactions critiques, il revient sur cette lettre et dit qu'il s'agissait de l'humour. Passant outre le fait qu'il n'assume même pas ses opinions, et fait volte-face pour garder sa place chaude à l'IRM, Trullemans s'inscrit dans la même lignée d'un autre membre du PP, Ruddy, qui singeait des prières musulmanes dans une vidéo de mauvais goût. Lui aussi, postulait que c'est une blague. Cette récurrente invocation de l'humour comme arme politique n'est pas sans rappeler les spectacles antisémites de Dieudonné, qui franchit toute frontière sous prétexte du rire.

Le PP semble l'adepte de la rigologie, la thérapie de la franche rigolade, mais trébuche sur la connaissance de fond des dossiers. Tout se réduit à la question de l'immigration, panacée universelle. Le PP n'a pas l'air d'être au courant d'autres problèmes du pays en période de crise : licenciements massifs dans les usines, diminution du pouvoir d'achat, l'inégalités salariales constantes homme - femme, les coûts excessifs du travail, pour ne donner que quelques exemples. L'obsession tourne invariablement autour de l'immigration maghrébine, mais non seulement, car Trullemans évoque aussi dans ses mantras xénophobes le fait qu'à partir du 1er janvier 2014, les Roumains et les Bulgares auront le droit de travail en Belgique.

Le candidat aux élections européennes, en parfait touriste politique, ignore joyeusement les principes fondamentaux de l'UE, comme la libre circulation des travailleurs, établie par l'article 45 du traité sur le fonctionnement de l'UE et développé par le droit dérivé et la jurisprudence de la Cour de Justice européenne. Ce n'est pas la nébuleuse institutionnelle européenne (à laquelle Trullemans aspire pourtant) qui décide la date d'application, mais les Etats Membres individuellement. La Belgique est parmi les derniers pays européens à accorder cette libre circulation des travailleurs, en enlevant les restrictions possibles pour une période de maximum sept ans depuis l'adhésion.

Quand on lit sur son profil FB qu'il compte "mettre de l'ordre dans tout ça", on est partagés entre un sentiment de dépit pour son populisme de bas étage et celui de pitié pour son incompétence. Surtout quand il fait croire aux grégaires racistes qui le soutiennent qu'il pourrait avoir le moindre impact sur les principes fondateurs de l'UE, comme la libre circulation des travailleurs. Certes, la lecture des traités européens est une activité beaucoup moins marrante que les lettres racistes qui font fondre de plaisir les islamophobes sur Facebook, et ça n'attire pas l'attention de la presse populaire. Mais quand on lorgne sur une place au Parlement européen, ça pourrait s'avérer une activité potentiellement utile.

Fini le flirt avec Geert Wilders et Marine le Pen, nous dit-on. Mais ce n'est pas en changeant de bougie qu'on a inventé l'électricité. L'heure est aux avances presque amoureuses que le PP fait maintenant aux partis qu'il critiquait autrefois pour leur mollesse, le MR et le CdH. Déclarant à ses débuts une croisade contre l'establishment en place, s'identifiant à la droite (de plus en plus) décomplexée, prêt à coopérer avec le NVA au démantèlement de la Belgique, le PP a changé radicalement de discours. Modrikamen se dit disposé à gouverner (si l'électeur lambda amnésique décidait de lui accorder les voix nécessaires) avec les deux partis mentionnés. Il fait semblant d'oublier avoir déclaré que le MR serait un bateau ivre, qui se laisse aller au gré des circonstances, sans cohérence aucune. Qu'il serait prêt à se saborder en reniant tout simplement ses valeurs de base, montrant une unité de façade.

En matière de cohérence, Modrikamen est donc très mal placé pour donner des leçons. Il mise sur Trullemans pour accroître la visibilité médiatique du PP. Son calcul, somme toute très simpliste, est qu'en bien ou mal, l'essentiel est d'en parler.... Cela illustre le manque de maturité politique du président pépiste, de sérieux, sa totale obsession d'acquérir une place dans le paysage politique belge et, non dernièrement, son goût du pouvoir. Le PP souffre d'une crise d'identité politique, en tout cas, d'une identité avouable. Et quand ils l'avouent, elle se lit entre les lignes d'une lettre extraite des sites de l'ultra droite frontiste. Il se veut fréquentable, mais vise l'électorat du feu FN belge divisé dans une myriade de mini partis extrémistes, en adoptant la même rhétorique creuse de solutions.

Trullemans fait de la haine des étrangers son ascenseur social et Modrikamen, en prenant position en sa faveur, cautionne ces propos. Un suicide moral et éthique qui ne cadre pas avec les prétentions de nettoyage du parti des éléments radicaux. L'on se souvient du divorce de son ancien vice-président, Philippe Chansay Wilmotte, pour visions très étroites sur l'immigration. Pourtant, Modrikamen choisit un Trullemans très médiocre pour lisser l'image du parti, c'est choisir un boucher pour enseigner l'opération cardiaque. Un Trullemans qui, voici quelque temps, affirmait que le PP est plus modéré depuis qu'il est là, rien que ça, retenez votre souffle. Mais, suite aux derniers déboires avec la lettre raciste, nous dit qu'il va se modérer. Qui modère qui alors ? L'on pouvait se demander, mais la logique n'a jamais été le point fort de ces personnages.

Depuis l'affaire Fortis, Modrikamen a prouvé, à plusieurs reprises, que son désir de visibilité médiatique a dépassé le rationnel. Trullemans n'est qu'un pion de plus dans sa ruée vers la notoriété publique, une petite marionnette qui ne comprend même pas qu'il est là pour faire plaisir au président et qu'il sera rejeté juste après les élections, car il n'aura pas réussi à obtenir un quart de million de voix pour un poste de député européen. L'ancien présentateur et néanmoins fonctionnaire de l'IRM est le cheval perdant du PP, qui sabote l'image du parti, y compris parmi les Belges "de souche", pour reprendre le syntagme.

Modrikamen s'entoure de yesmen pour se donner l'impression d'avoir en permanence raison, qui peuplent les pages Facebook pour mettre des j'aime sur des commentaires présidentiels. Il se sert de ses membres comme des petits miroirs pour lui renvoyer l'image qu'il aimerait voir de lui. Et ces ambitions irraisonnables vont jusqu'à sacrifier lui-même son propre parti. 


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