Un président de droit divin

par Sylvain Reboul
jeudi 27 décembre 2007

Dans son discours au pape, lequel lui a accordé un titre ecclésiastique catholique, Nicolas Sarkozy prétend défendre l’esprit la loi de 1905 sur la laïcité qui, je le rappelle, interdit à l’Etat et donc à son chef de soutenir un culte quelconque. Or, dans ce discours, il fusionne ouvertement sa fonction avec celle du titre hiérarchique religieux que l’Eglise lui a conféré pour annoncer que le christianisme, confondu du reste avec le catholicisme, était depuis Clovis la religion de référence traditionnelle de la France et qu’à ce titre elle méritait en effet le titre de « fille aînée de l’Eglise ». Comment comprendre un telle contradiction manifeste et que peut signifier sa vision d’une laïcité « positive » sur fond de cette contradiction ?

Une phrase de son discours est particulièrement significative de cette vision :

"Aujourd’hui encore, la République maintient les congrégations sous une forme de tutelle, refusant de reconnaître un caractère cultuel à l’action caritative, en répugnant à reconnaître la valeur des diplômes délivrés dans les établissements d’enseignement supérieur catholique, en n’accordant aucune valeur aux diplômes de théologie, considérant qu’elle ne doit pas s’intéresser à la formation des ministres du culte. Je pense que cette situation est dommageable pour notre pays."

Ainsi, la République devrait, selon notre président, reconnaître la valeur des diplômes délivrés par les universités catholiques (donc la plus importante est celle d’Angers). Or, qu’en est-il aujourd’hui selon la loi de 1905 et ses modalités d’application ultérieures ? Celles-ci accordent par contrat à ces universités le droit de préparer lesdits diplômes que les étudiants doivent passer devant des jurys des universités publiques ; ces jurys peuvent admettre des enseignants de ces universités privées dans la mesure où ils disposent des titres publics requis pour le faire. Transformer ces universités privées religieuses en centres de délivrances de diplômes publics reconnus par l’Etat, comme aussi valides que des diplômes passés dans les universités publiques, paraît ouvrir une boîte de pandore. De deux choses l’une en effet : ou bien cette autorisation vaut pour toutes les religions selon la vision "positive" de la neutralité laïque conforme à l’esprit sinon à la lettre de la loi de1905 et donc devrait valoir pour toutes les religions, islam compris, ou bien cette reconnaissance ne vaut que pour les universités catholiques en contradiction avec le principe de la neutralité laïcité. Ce qui signifierait que cette laïcité dite "positive" serait positivement anti-laïque.

Mais une autre interprétation est encore possible : il s’agirait d’abolir les diplômes d’Etat et de privatiser entièrement l’enseignement supérieur et, pourquoi pas, le secondaire quand on sait que le bac est en droit le premier diplôme de l’enseignement supérieur et de proche en proche l’école en général. L’État se contenterait alors de valider tous les diplômes selon des procédures programmatiques et des exigences pédagogiques contractuelles négociables, comme c’est déjà le cas pour nombres d’écoles supérieures privées. L’école publique résiduelle gratuite serait alors réservée aux élèves dont les parents ne pourraient pas financer les écoles privées ou dont les principes laïcs et républicains s’opposeraient à la privatisation, religieuse et/ou commerciale, de l’éducation des citoyens.

De telles dérives, pour être mises en œuvre, devraient, de toute manière, faire l’objet d’une abolition de la loi de 1905, voire d’une modification de la Constitution. La contradiction entre la vision dite positive de la laïcité et la loi laïque existante serait, en effet, inévitable.

Or, Nicolas Sarkozy va plus loin : il affirme que l’État devrait aussi reconnaître la valeur républicaine des diplômes de théologie. Cela peut signifier deux choses : soit que la République, pour reconnaître une autorité publique à ces diplômes, devrait se soumettre aux diktats des théologiens patentés par les Eglises qui les délivreront, soit que l’État serait habilité à décider du contenu républicain de ces diplômes de théologie, ce qui ferait donc de celui-là une autorité théologique qui devrait s’intéresser, comme Nicolas Sarkozy l’a dit par ailleurs à propos de l’islam, au contenu de la formation des ministres du culte. Ce qui veut dire que la République, dans le plus style gallican, se doterait d’une religion officielle pour chaque religion particulière ou pour le moins d’un droit de regard sur le contenu des enseignements théologiques.
On ne voit pas en quoi l’État républicain, dans un tel cadre, pourrait prétendre encore s’affirmer laïc.

Une deuxième passage de son discours nous révèle les présupposés idéologiques de cette remise en cause de la loi sur la laïcité ; je cite :

"Bien sûr, ceux qui ne croient pas doivent être protégés de toute forme d’intolérance et de prosélytisme. Mais un homme qui croit, c’est un homme qui espère. Et l’intérêt de la République, c’est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes qui espèrent. La désaffection progressive des paroisses rurales, le désert spirituel des banlieues, la disparition des patronages, la pénurie de prêtres, n’ont pas rendu les Français plus heureux. C’est une évidence. Et puis je veux dire également que, s’il existe incontestablement une morale humaine indépendante de la morale religieuse, la République a intérêt à ce qu’il existe aussi une réflexion morale inspirée de convictions religieuses. D’abord parce que la morale laïque risque toujours de s’épuiser quand elle n’est pas adossée à une espérance qui comble l’aspiration à l’infini. Ensuite et surtout parce qu’une morale dépourvue de liens avec la transcendance est davantage exposée aux contingences historiques et finalement à la facilité. Comme l’écrivait Joseph Ratzinger dans son ouvrage sur l’Europe, ’le principe qui a cours maintenant est que la capacité de l’homme soit la mesure de son action. Ce que l’on sait faire, on peut également le faire’. A terme, le danger est que le critère de l’éthique ne soit plus d’essayer de faire ce que l’on doit faire, mais de faire ce que l’on peut faire. Mais c’est une très grande question".

Sur le fond de sa vision religieuse et morale de la société dans laquelle les incroyants ne sont mentionnés que pour être tolérés, Nicolas Sarkozy n’hésite pas ici à mettre en cause, malgré le fait par lui réaffirmé de l’existence de l’incroyance qui doit être respectée (et c’est la moins qu’il puisse dire aujourd’hui), la morale laïque en affirmant que la morale authentique ne peut être que religieuse et qu’une morale purement laïque ou rationnelle - à savoir, sans référence à une transcendance surnaturelle - est nécessairement limitée dans ses ambitions à ce que l’on peut faire. Elle manque en effet, selon lui, du sens de ce qui doit être fait au nom d’un idéal divin "infini" et d’une espérance supérieure post-mortem, laquelle permet aux hommes de supporter les souffrances ici-bas sans trop se révolter, dans l’espoir d’être sauvés. Cette vision traditionnelle de la morale reprend ce que disait Locke à propos des athées, déclarés par lui asociaux car incapables de se soumettre à des valeurs communes incontestables ; mais à la différence de ce dernier qui contestait l’autorité politique du pape, considérée comme nécessairement anti-démocratique, notre président fait de l’autorité du pape une autorité politique, que, par le titre de chanoine de l’Eglise, en tant que président, il s’engage de faire respecter, en se prononçant contre la désaffection des Français vis-à-vis du culte et en promettant de favoriser la croissance des ministres du culte.

Nous sommes donc bien, malgré des dénégations qui ne peuvent tromper que ceux qui ne savent ou ne veulent pas lire, en face d’une remise en cause radicale par Nicolas Sarkozy du principe républicain de la séparation de l’Eglise catholique et de l’État, sur la forme et sur le fond. Sa vision religieuse de la société, plus tolérante à l’égard des autres religions qu’à celui de l’athéisme dont la mention est aussitôt disqualifiée au nom d’une morale religieuse intrinsèquement supérieure. Elle exige que le christianisme, confondu avec le catholicisme (les églises protestantes ne sont même pas mentionnées, alors que les guerres de religions sont une des origines de l’affirmation française de la laïcité), soit admis comme la religion majoritaire et donc dominante de la République française sous l’autorité spirituelle du pape. Elle fait de la France une nation par essence catholique, au même titre que les Africains sont jugés, dans son discours de Dakar, par essence inaptes au progrès. En cela, elle renoue avec l’antique alliance entre le monarque républicain - élevé au rang de chanoine catholique ou prêtre de haut rang - et le pape considéré comme le guide moral des Français, croyants ou non.

Cette entrevue et ce discours "vaticanesques" visent à changer pour le moins de République sans le dire, en consacrant le président en tant que monarque élu et grand prêtre catholique de droit divin.

Cette profession de foi sarkozyste ouvre la possibilité virtuelle d’une restauration d’une sorte de République de droit divin, inacceptable pour tous les défenseurs de la laïcité, croyants ou non.


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