Un secrétaire d’Etat à la prospective : une bonne chose si...

par Philippe
vendredi 18 mai 2007

Un secrétaire d’Etat à la prospective et une bonne chose si on ose traiter des sujets qui fâchent ou apporter des réponses qui fâchent et si la prospective n’en reste pas à un rapport mais travaille à se faire approprier pour entrer dans la stratégie de l’Etat.

Le vendredi 18 mai, en même temps que l’annonce des quinze ministres, un secrétaire d’Etat à la prospective, Eric Besson, a été nommé. C’est une excellente nouvelle...

  1. si l’on se situe d’entrée en prospective par exemple avec la question : Que sera la France dans vingt ans, en 2027 ? Si la question est de savoir ce que sera la France à la fin du quinquennat, cela n’a aucun intérêt, on le sait à peu près. Car la prospective est un art extraordinaire dès lors qu’elle est pratiquée avec audace.
  2. Si l’on accepte d’imaginer la prospective comme une rupture et non comme la continuité - impossible et non souhaitée - d’aujourd’hui. La prospective est surtout ce qui n’est pas prévu.
  3. Si l’on accepte de voir la France différemment, replacée dans un contexte européen et mondial où les zones géographiques compteront plus que les Etats au niveau mondial et où les Etats seront les racines au niveau local. Et si l’Europe s’effondrait ?
  4. Si l’on accepte de se poser des questions qui fâchent comme par exemple : que va devenir une France où le catholicisme s’effondre (dans vingt ans, il n’y aura quasiment plus de prêtres) et où le protestantisme évangéliste et l’islam croissent ? Que va devenir une France où il faudra autoritairement limiter la construction de pavillons au profit d’un habitat groupé car le mitage territorial est une catastrophe ? que va devenir une France où la saturation automobile autant que la pollution demanderont de limiter la circulation individuelle motorisée ?
  5. si l’on accepte de se poser des questions qui troublent : Faut-il développer des micro-usines ou des méga-usines, donc par exemple favoriser les livraisons par camion ou les liaisons par train, ou favoriser des productions saisonnières ou annuelles ? Faut-il attacher les patients à un lieu de soin car s’il est facile pour un Français de migrer, il est difficile pour un hôpital de suivre ? Faut-il attacher à une personne ou une famille le droit de polluer en incluant les transports et l’habitat comme on l’attache à un industriel ?
  6. Si l’on accepte les débats nationaux dans lesquels le conventionnel ne doit pas interdire l’iconoclaste. Ainsi par exemple, la question des OGM est une véritable question, non seulement pour l’alimentation et la santé des Français, mais aussi pour l’avenir de nos sciences et l’avenir de nos assiettes et de nos véhicules motorisés. On a vu par le passé l’Allemagne revenir sur ses lois écologistes qui mettaient en péril sa compétitivité. Ainsi par exemple, le réchauffement climatique ne fait pas l’unanimité autour de lui, certains pensent que l’on va vers un refroidissement et d’autres pensentque le réchauffement portera en lui des conséquences positives. Est-on certains de prêter autant l’oreille à chaque partie ?

Or un détail est gênant dans cette nomination. Le secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre est chargé de la prospective ET de l’évaluation des politiques publiques.

Il est à craindre dans cette fonction que l’évaluation des politiques publiques l’emporte sur la prospective.

Pourquoi ? Parce que le nouveau président, Nicolas Sarkozy, est un homme de résultat. On ne peut pas l’en blâmer, loin de là. Mais dans toutes les structures opérationnelles, dès lors que la culture du résultat est attribuée à un individu, la prospective est laissée de côté. Et dès lors que l’on fait de l’évaluation des politiques passées, il est plus facile de travailler sur des chiffres existants - quand bien même ils sont parfois contestés, n’est-ce pas l’Insee - et de sortir régulièrement des tableaux et clignotants que de travailler sur la prospective, sortir des rapports... et ne pas passer à l’acte.

Le secrétariat d’Etat auprès du Premier ministre, chargé de la prospective ET de l’évaluation des politiques publiques, peut donc soit devenir une sorte de tableau de bord de chiffres et clignotant digne d’un Airbus, soit un secrétariat Théodule sortant des rapports savants qui rempliront les étagères de ses nouveaux locaux.

Il eût été préférable de nommer un secrétariat d’Etat chargé de la prospective et de son appropriation.

Car dans le fond, la prospective reste lettre morte tant qu’elle reste au niveau... de la prospective. La prospective est active dès lors qu’elle est appropriée, adoptée et donc entre dans la stratégie, ici dans la stratégie de l’Etat. Tant qu’elle reste non appropriée, elle s’assimile à du roman, de la fiction, quand bien même aurait-elle le talent de Jules Verne ! Quand elle entre dans la stratégie de l’Etat, donc dans sa vision, alors elle est adoptée par le plus grand nombre. Adoptée et critiquée, car nulle prospective n’est vérité.

Gageons que le nouveau secrétaire d’Etat, qui avait eu l’audace de critiquer le chiffrage du programme de gauche de la candidate à la présidentielle, saura un temps s’éloigner des chiffres pour aller vers les lettres et regarder plus loin que la fin du quinquennat ou du double quinquennat en s’attachant à faire passer le message, à le faire s’approprier !


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