Un voile sur Bruno Le Maire et son indécence commune

par Sylvain Rakotoarison
mercredi 2 novembre 2016

« J’ai toujours préféré la clarté à la confusion. » (24 octobre 2016 sur LCP).
 



Sans doute l’un des plus intelligents, avec Alain Juppé, des candidats de la primaire de "Les Républicains", avec cette pseudo-jeunesse qui flirte avec le renouveau (j’écris pseudo-jeunesse car à un an près, Valéry Giscard d’Estaing était déjà élu à l’Élysée en 1974), Bruno Le Maire, l’homme au regard d’acier, aurait pu, aurait dû être la révélation de la primaire LR de 2016.

Et pourtant, non, il ne le sera certainement pas. Ce ne sera pas la révélation, ce sera la déception. Une grande déception, presque plus intellectuelle que politique ou électorale.

Depuis le premier débat de la primaire LR, Bruno Le Maire a montré sa réalité, étonnante : une baudruche qui, intellectuellement, reste très limitée. Sachant répéter à longueur de phrases le mot "renouveau" au point d’en donner la nausée à ceux qui l’écoutent, Bruno Le Maire a démarré sa marche vers le pouvoir personnel le 11 juin 2014 lorsqu’il s’est présenté à la présidence de l’UMP. À l’époque, il n’y avait pas d’autre candidat qu’Hervé Mariton…jusqu’à ce que Nicolas Sarkozy décidât d’entrer dans la course (de "rentrer" dans la course). Bruno Le Maire refusa de s’incliner et a obtenu le 29 novembre 2014 un score plus qu’honorable avec le soutien de 29,2% des 155 285 adhérents qui se sont exprimés.

En fait, son ambition, il l’a fait mijoter depuis au moins 2007, le jour où il a décidé de quitter les coulisses de la pouvoir pour aller sur l’avant-scène, en reprenant la circonscription de Jean-Louis Debré nommé Président du Conseil Constitutionnel par Jacques Chirac. Rapidement ministre, mais pas de fonctions essentielles (Affaires européennes, puis Agriculture ; on a dit qu’il ne s’était pas vraiment impliqué dans ce domaine agricole). Il était parmi les personnes citées pour succéder à François Fillon à Matignon en novembre 2010 puis à Christine Lagarde à Bercy en juin 2011 (François Baroin l’a doublé au sprint).

Il lui aurait manqué un ministère essentiel, régalien, avant de quitter le pouvoir en 2012, pour prétendre à la magistrature suprême. Pour mettre en accord ses propositions et sa situation personnelle, il a d’ailleurs démissionné de la haute fonction publique le 3 octobre 2012 (Quai d’Orsay). Mais il était déjà député puis ministre depuis 2007. Il était cumulard de 2010 à 2016 (conseiller régional aussi). Cette "exemplarité" est donc récente.



Bruno Le Maire a voulu concourir à la présidence de l’UMP dès la défaite de 2012 mais n’a pas reçu assez de parrainages. Refusant de prendre position entre François Fillon et Jean-François Copé (comme NKM), il a pu se présenter vierge, neutre, pour le tour d’après.

Il y a deux ans, il a ainsi commencé à créer une structure, ou plutôt, un réseau d’élus locaux et associatifs relativement imposant sur tout le territoire national. Les soutiens dont il peut se prévaloir, notamment de certains centristes, ont des raisons bien particulières (il a aidé très activement Hervé Morin dans sa conquête du conseil régional de Normandie ; Yves Jégo, boudé par les militants de l’UDI, se cherche une autre locomotive, etc.). Sa candidature à la primaire LR fut annoncée formellement le 23 février 2016 à Vesoul : « Ma décision est simple, solide, inébranlable. Oui, je suis candidat à la Présidence. ».

Lors du premier débat de la primaire le 13 octobre 2016, Bruno Le Maire a montré un flou qui surfait sur de l’incompétence. En confondant (volontairement ?) les emplois publics et les emplois aidés, il a sciemment voulu induire ses auditeurs en erreur (ce qu’ont dénoncé immédiatement Alain Juppé et Nicolas Sarkozy avec un petit sourire de joie).

Apôtre du renouvellement, il avait ôté la cravate pour ce premier débat. Mais cela faisait "trop". Après les nombreuses critiques sur son jeunisme démagogique, finalement, il s’est rhabillé dans les émissions qui ont suivi ce débat. Il est de nouveau réapparu cravaté. Simple respect de ses interlocuteurs dans un pays qui a encore du mal à faire tomber la veste (on préfère plutôt les retourner !).

Invité de Jean-Jacques Bourdin sur BFM-TV et RMC le 19 octobre 2016, Bruno Le Maire a continué à dire des âneries. Par exemple, il a parlé de "peuple de droite". Non seulement il n’a jamais existé de "peuple de gauche", mais il existe encore moins de "peuple de droite" (et encore moins de "peuple de l’écologie" que la candidate à la primaire EELV Michèle Rivasi ne cesse d’évoquer). Tous ceux qui partitionnent le peuple français en factions politiciennes vont à l’encontre de l’esprit républicain qui, justement, refuse tout communautarisme, religieux mais aussi politique, ethnique, etc. Incohérence de vouloir dénoncer le communautarisme musulman et de parler (très stupidement) de "peuple de droite".



Autre exemple, Bruno Le Maire a évoqué cet espoir fou de réformes en 2007, lors de l’élection de Nicolas Sarkozy, cet immense espoir qui aurait été déçu. Cela pour tacler ses concurrents Nicolas Sarkozy et François Fillon. Sauf que… il faudrait quand même rappeler que, d’une part, il a été ministre dans le quinquennat Sarkozy, oui, mais d’autre part, ce besoin de réformes, de renouvellement, était-ce parce que le quinquennat précédent était dans l’immobilisme ? Qui a gouverné pendant deux ans entre juin 2005 et mai 2007 ? Dominique de Villepin, Premier Ministre. Et qui fut son principal collaborateur, son directeur de cabinet ? Bruno Le Maire… Le Maire vs Le Maire ! Docteur Bruno et Mister Le Maire.

Dans la grande émission de David Pujadas et Léa Salamé "L’émission politique" du 20 octobre 2016, Bruno Le Maire a reconnu que le premier débat avait été une "journée sans", mais qu’il avait encore de la ressource. Ses déclarations ultérieures dans les médias ont montré qu’il pédalait complètement dans la semoule de son programme (pourtant très consistant, plus de mille pages, un pavé dans la mare, peut-être trop consistant pour quelqu’un qui aspire à être libéral mais qui veut jusqu’à régenter les loups dans les montagnes).

De plus, oui, certes, tout le monde a le droit d’être faillible, mais au contraire du candidat François Hollande qui revendiquait la normalité, être Président de la République, cela nécessite d’être exceptionnel, et on peut se demander ce qu’adviendrait un Président Bruno Le Maire enfermé dans une "journée sans" en cas de crise internationale grave…





Revenons sur les emplois aidés. Bruno Le Maire a le don de mélanger les choses. Il l’a fait aussi sur d’autres sujets (voir plus loin). Le sachant très intelligent, je ne peux mettre cet état de fait que sur le compte d’une malhonnêteté intellectuelle qui, selon moi, est disqualifiante. Il veut supprimer tous les emplois aidés (qui bénéficient, rappelons-le, à des personnes particulièrement précaires et qui en ont vraiment besoin) parce qu’il veut en finir avec le traitement social du chômage. Certes, mais tant qu’il y a du chômage, il faut bien aider les personnes les plus fragiles.

Le 20 octobre 2016, le journaliste de France 2, François Lenglet, lui a indiqué qu’il y a eu 441 000 emplois aidés en France en 2015 et que cela a coûté environ 4 milliards d’euros à la dépense publique. Bruno Le Maire a alors expliqué que ces 4 milliards d’euros seraient mieux utilisés dans l’éducation et la formation. En clair, si l’on suit son raisonnement, cela signifie que chaque personne qui avait un emploi aidé en 2015 pourrait avoir un budget de formation de …seulement 9 000 euros, ce qui ne va pas aller très loin dans leur reclassement…

De même, il n’a pas été plus convaincant avec les petits jobs qu’il propose au salaire de 5 euros par heure (il a laissé Charline Vanhoenacker s’amuser sur le sujet dans sa chronique finale) ni avec la baisse de la CSG à 6% qui favoriserait avant tout les hauts revenus.

Mais les considérations économiques de Bruno Le Maire, s’il les défend assez mal et avec un grand flou, ne le distinguent pas sérieusement de ses autres concurrents de la primaire. Alors, il a choisi de se distinguer sur un sujet ultra-sensible de l’époque, les vêtements. Ou plutôt, l’islam politique. Il voudrait faire interdire le port du burkini sur les plages (au risque d’empêcher également les plongeurs avec palmes et tuba de ne pas avoir trop froid dans leurs exercices sportifs).

Au cours de "L’émission politique" le 20 octobre 2016 sur France 2, Bruno Le Maire, à plusieurs reprises, a défendu l’interdiction du voile dans les espaces publics. Attention, pas des employés mais des passants, des usagers, dans les salles d’attente des caisses d’allocations familiales, dans les rames du métro, dans les grands magasins, etc.

À plusieurs reprises, il a utilisé le mot "voile" et a vu s’écarquiller les yeux de ses interlocuteurs journalistes qui n’en revenaient pas de cette mesure particulièrement attentatoire aux libertés individuelles (le droit de se vêtir comme bon semble). Certains ont commencé à parler de "police des vêtements". Un peu impressionné par tant de questionnement, Bruno Le Maire a prudemment fait un pas en arrière en parlant de "niqab" et pas de "voile". Ah ? Mais le "niqab", je le croyais déjà interdit, comme la "burqa"…

Ce repli n’était que tactique. Quelques jours plus tard, le 23 octobre 2016 dans l’émission "Questions politiques" sur la nouvelle chaîne Franceinfo, avec France Inter et "Le Monde", Bruno Le Maire a continué à dire n’importe quoi, en disant qu’il voulait interdire dans les espaces publics alternativement le "voile" ou …le "tchador", cette fois-ci !



Et surtout, il a trouvé une nouvelle expression qu’il a ressortie souvent dans la même émission : la "décence commune". Pour lui, la "décence commune", c’est de ne pas porter de voile (j’ai souvenir de ma grand-mère lorraine, très décente, qui en portait, comme sa génération, et qui n’était pas du tout musulmane). Et de faire l’analogie avec un individu qui se déplacerait tout nu !

De même, invité de Brigitte Boucher le 24 octobre 2016 sur LCP, dans l’émission "Politique Matin", Bruno Le Maire a continué sa croisade contre le voile, et contre l’islam politique qui s’étendrait depuis vingt ans (on ne sait pas s’il parle du terrorisme islamiste ou seulement des musulmans en France). Il a ainsi parlé des "provocations vestimentaires" pour en revenir à sa proposition d’interdiction du voile dans les lieux publics.



Cette fois-ci, il a admis que le "niqab" et la "burqa" étaient (déjà) interdits mais que la loi n’était pas appliquée. Alors, comme remède, il a proposé de transformer cette infraction en délit. Sauf que si la loi sur l’infraction est déjà peu appliquée, pourquoi, si cela devenait un délit, la loi serait-elle mieux appliquée ? Les policiers n’auraient-ils pas mieux à faire en pourchassant les (vrais) candidats au terrorismes ?

Il y a un manquement de logique flagrant chez Bruno Le Maire sur la "question" du voile (je mets "question" comme lorsqu’on parlait de la "question juive", notons néanmoins que dans la société idéale de Bruno Le Maire, la kippa aurait encore le droit d’être portée publiquement). Si la loi n’était pas convenablement appliquée, il ne conviendrait pas de faire une nouvelle loi, mais de veiller, en tant que pouvoir exécutif, à ce que la loi existante soit d’abord correctement appliquée.

Bref, ce Bruno Le Maire, pourtant une brillante mécanique intellectuelle, normalien, énarque, grand littéraire, auteur d’ouvrages très cultivés et même philosophiques sur le pouvoir politique, prend à l’évidence ses interlocuteurs pour des demeurés lorsqu’il maintient sans arrêt des confusions mentales, tant sur les emplois publics et les emplois aidés, que sur le voile, tchador, niqab, burqa. Pourtant, ce même 24 octobre 2016 sur LCP, il a osé dire : « J’ai toujours préféré la clarté à la confusion. ». Eh bien, je n’en suis pas si sûr !

Indécence commune de tout confondre, indécence commune de vouloir miser toute son argumentation politique sur une police des vêtements, complètement indaptée au réel défi du terrorisme islamiste, en confondant sans arrêt "voile", "niqab", "burqa" et "tchador", juste pour entretenir la peur et le ressentiment, et pour essayer d’attirer à la primaire des électeurs qui, de toute façon, n’auront pas les mêmes valeurs que "la droite et le centre" au moment crucial de l’élection présidentielle.

Loin d’être le renouveau, loin d’être un jeune, loin d’être un candidat sérieux, respectueux des Français à qui il s’adresse, il est au contraire le symbole relissé de la langue de bois, de la duperie et de l’incompétence. Il fait tout ce que les gens rejettent avec fracas en voulant voter pour la politique du pire. Il fait de la politique politicienne des années 1980, avec les mêmes ficelles, avec les mêmes ambiguïtés, avec les mêmes malhonnêtetés intellectuelles.

En ce sens, Jean-François Copé est plus facilement cernable car on comprend l’ambitieux dont l’ambition dévore tout sur le passage, comme un rouleau compresseur, et qui l’assume clairement, tandis que Bruno Le Maire fait semblant d’être …un homme nouveau, juste au service des Français qu’il ne respecte pourtant pas par ses propos confus et malhonnêtes.

Cela m’étonne de devoir l’affirmer ici mais cela sert à cela, une campagne électorale, cela sert à se dévoiler, peut-être plus qu’à se révéler. Ce n’est pas un hasard si la troisième place qu’il avait conquise dans les sondages, il l’a reperdue immédiatement après le premier débat de la primaire, au profit de François Fillon, dont le sérieux et la précision dans le projet politique sont indiscutables..

Le 19 octobre 2016 sur BFM-TV, Bruno Le Maire a dit : « Aller à l’élection, c’est assumer le risque de la gagner… » puis, il s’est rattrapé en ajoutant : « …et de la perdre ». Oui, si Bruno Le Maire devait gagner cette primaire LR, la France serait conduite à en "assumer le risque"…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (01er novembre 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Les confusions entretenues du projet de Bruno Le Maire.
Bruno Le Maire et le Brexit.
Nouveaux leaders.
Dominique de Villepin.
Débat Bruno Le Maire vs Pierre Moscovici (14 novembre 2011).
Premier débat de la primaire LR 2016.
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Nathalie Kosciusko-Morizet.
Jean-François Copé.
Jean-Frédéric Poisson.
L’élection présidentielle 2017.


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