Une bataille, mais pas la guerre
par rahsaan
lundi 23 avril 2012
Le Front de Gauche n'a pas remporté la victoire espérée : passer devant le FN. Mais il s'est imposé comme une force politique qui compte. Demi-échec, ou petite victoire : quoi qu'il en soit, tout reste à faire car l'avenir s'annonce plein d'espoirs.
Bien sûr, c'est une déception. 11%, c'est trop peu. Un score-plancher. On est quand même devant Bayrou... Pas terrible-terrible...
Mais, avouons-le aussi, on avait fini par se monter la tête. On était grisé, il semblait qu'il n'y avait plus de limite à la progression dans les sondages... 10, 13, 15, 17% !... Sans parler des vrais-faux sondages des RG avec un Mélenchon à 22% ! C'était joué, on était au deuxième tour... Et ce soir, 20 heures sur la place de Stalingrad, le discours a été bref, le ton amer. La nuit tombait déjà sur les drapeaux rouges.
Le Front de Gauche vient d'entrer d'un coup dans l'âge adulte. Après l'élan printanier, le temps des cerises, les moissons s'annoncent amères... Le PS ne va pas tenir compte du programme de Mélenchon. Les socialistes empâtés à la Cambadélis trouvent ça sympathique mais immature, tandis que Pierre Moscovici promet d'entendre les revendications. La vérité, c'est qu'ils ignoreront les attentes du Front de gauche. Inutile de se voiler la face.
Hollande va continuer, imperturbable, sur sa lancée : pas de remous, rassurer tout le monde. La chêvre et le chou... Après la force tranquille, la force pépère ! D'ailleurs, à quoi bon se fatiguer, puisque tout le monde rentre dans l'écurie sans condition ? Même pas besoin de batailler. C'est le rassemblement naturel, inéluctable. Les financiers peuvent rallumer leurs cigares, la menace rouge est écartée. Populo est prêt pour la tonte.
Il y avait les victoires à la Pyrrhus, qui sont obtenues dans un tel bain de sang qu'elles promettent une défaite à coup sûr à la prochaine bataille. On a maintenant la victoire à la Hollande : celle qui fait presque oublier qu'on a gagné tellement l'enthousiasme n'y est pas.
La belle union du Front risque d'être ébréchée. Malgré l'enthousiasme populaire, il n'est pas certain non plus que les législatives se montrent favorables. On se dirige vers un parti socialiste assis fermement sur les sièges, les bras à l'aise sur les accoudoirs. Pas trop d'accord dans les circonscriptions, donc pas d'espoir d'avoir un beau parti de "montagnards" pour pousser Hollande vers la gauche.
Triste contraste, donc, d'un front de gauche magnifique en campagne, dans les meetings, d'un front qui a ravivé la gauche, la vraie, qui a fait revivre l'esprit de la Révolution et de la Commune, mais qui n'est pas prêt pour concrétiser cette adhésion dans les élections. Le Front du peuple n'est pas (encore ?) fait pour se couler dans le moule des institutions. La preuve de cela, c'est que Mélenchon a dit que, face à une présidence PS, il choisirait toujours la mobilisation syndicale au gouvernement. Le front de gauche est donc à mi-chemin d'un parti éligible et d'un syndicat unitaire : excellent pour réveiller les enthousiasmes et agir sur les mentalités, pas armé pour se faire élire.
Le FN a remporté le match de la troisième place. Même dans certaines régions ouvrières, il reste nettement devant le FdG. Mais il ne faut pas oublier que le FN existe depuis plus de trente ans, et que depuis plus de dix ans, il s'est très bien implanté dans les milieux ouvriers. Lui ou ses idées, ses thèmes de campagne, qui se sont inscrits durablement chez les ouvriers laissés sur le carreau de la mondialisation, synonyme pour eux de désindustrialisation. Donc il faut tenir compte de l'échelle de temps : considérez que Jean-Luc Mélenchon n'est connu du grand public que depuis un an à tout casser, et en réalité, plutôt six mois... Donc voyez le score : six mois pour 11%, contre 19% en plus de dix ans de FN fort ! Admirez le travail accompli en si peu de temps et vous verrez que les mobilisations magnifiques de la campagne ne se sont pas perdues... L'aspiration est là, mais encore trop jeune, pas assez implantée dans le paysage politique, pas encore assez ancrée dans les esprits. Ca ne fait que commencer ! Imaginez ce qui peut arriver si ça continue à ce train-là, ou même un peu plus lentement ! Non, la rivière a bien débordé de son lit et elle n'y retournera pas de sitôt.
A l'heure qu'il est, il n'est tout simplement pas raisonnable de se laisser aller au pessimisme ! Ce serait trahir l'espoir insufflé dans cette campagne. "Faites pas cette gueule !... La bataille continue. Il y a des hauts et des bas.·Et bah, là, c'est le bas..."
Ne lâchons rien ! Quel mouvement a autant l'avenir devant lui ? Autant de marge de progression ? Autant la capacité de dynamiser les énergies et de réveiller les consciences ? Quel mouvement peut tellement changer l'opinion des gens avant même d'être élu ?... Nous avons mangé notre pain blanc. Maintenant, il va falloir se heurter au système et au risque de divisions internes. Quelle entreprise humaine n'a jamais connu la défaite ? Quel projet n'a pas eu besoin de prendre patience face à l'inertie des gens, la résignation des uns, la défection des autres ?
Ah, nous avons été si gourmands, si impatients ! Mais quoi ? Il faudrait renoncer au premier échec ? Vous n'êtes pas sérieux, allons. C'est à notre tour de faire un geste pour un parti et un candidat qui ont rallumé la flamme dans le coeur de dizaines de milliers d'entre nous. L'heure est venue de montrer que le rêve de la fraternité ne va pas s'évanouir de sitôt. Il faut soutenir le soldat Mélenchon dans cette épreuve : il faut lui rendre la pareille, lui dire que maintenant, nous sommes là et nous n'allons pas le laisser tomber ! Lui dire que c'est notre victoire à tous et que si nous subissons un revers, nous le subissons ensemble.
C'est maintenant qu'il va falloir trouver un second souffle et de la force pour aller loin, dans la durée. Souvenez-vous en : nous avons déjà gagné, bien au-delà de ce que l'on pouvait imaginer il y a un an. Nous avons gagné car la gauche a prouvé qu'elle n'était pas diluée dans le centrisme. Elle existe encore, elle revit, après vingt ans passés dans un état de plus en plus comateux. L'idée est de retour que si on le veut, on ne se laisse pas faire. On peut vaincre la résignation. On peut dire non et obtenir des changements quand on ose les exiger. La finance n'est pas toute-puissante.
Oui, après l'avoir scandé de meeting en meeting, le temps est venu d'entrer en résistance.